Adieu pin-up
christopher-noodak
Pour mon ami Crom.
La photo s'afficha en grand, sur tout l'écran. Benjamin faillit en tomber de son siège, percuter la table et se vautrer lamentablement sur le sol. Il se rattrapa de justesse, empoigna la souris de son ordinateur qui lui échappa des mains pour tomber sous le bureau, entre ses jambes et celle de ses collègues. Il bafouillait, cherchant sous les chaussures, entre les câbles reliant les ordinateurs à tout un fatras d'adaptateurs et de prises. Il sentait la sueur couler sur son front, ses mains devenir moites, plus encore que d'habitude. Le temps lui était compté. Son responsable allait revenir.
Vite, vite ! Il jura, se mit à quatre pattes. Les femmes à coté de lui le regardèrent bizarrement. Il avait déjà, elles en avaient parlé entre elles, de drôles de manie, mais alors là ça dépassait les bornes. Jusqu'à ce qu'elles lève les yeux sur son ordinateur. Leurs bouches s'arrondirent à l'unisson.Les mots ne suffisaient plus, mais leur regard en disait long. Elles n'étaient plus amusées, délicieusement choquées, outrées, malmenées, abasourdis... Non ! Elles n'en pouvaient plus, tout simplement. Il fallait trouver un moyen d'éliminer Benjamin, coûte que coûte. Cette photo devait être la pièce à conviction numéro 1, le clou du spectacle. Celle de droite, une grosse brune, rua alors sous la table tellement fort que les autres standardistes marquèrent un temps d'arrêt. L'autre, celle de gauche, une petite blonde, s'y mit aussi. Elles ruaient toutes les deux, sous le regard interrogateur de leurs collègues. Tant pis, tant pis. Fi des autres qu'elles se disaient. Cet avorton, ce vicieux, ce pervers devait disparaître, quitte à des sacrifices. Danton n'avait-il pas dit (et l'une des deux étudiait l'Histoire) « De l'audace, de l'audace, encore de l'audace et la France est sauvée » ?! Elles allaient sauver la France elles, du moins celle en jupe. Ce satyre devait être viré séance tenante, et pour cela ne pas retrouver sa souris. Et elles ruaient, ruaient. Encore, encore ! Elles s’encourageaient l'une et l'autre. Les bureaux, en fait un seul qui courait tout le long de la salle avec des cloisons verticales pour former des box, tremblaient. En dessous, Benjamin se battait de toutes ses forces pour retrouver la souris garante de son salut. Malgré les cahots, les coups à répétition de la table tressautant pour mieux lui retomber sur la tête, il tenait bon. Il encaissait les ruades, les genoux, les pieds en travers de sa route comme Achab les remous de la mer en affrontant Moby Dick. Ca y'est, ça y'est... Il la tenait cette salope ! Ha ha ! Posant une main, puis deux sur le rebord du bureau Benjamin se hissa tant bien que mal sur sa chaise et posa sa souris sur le tapis. Elle ne réagissait plus ! Il tapa dessus comme un dément, avant de réaliser que son câble n'était plus relié au port USB. Au loin, dans la salle d'à coté, la chasse d'eau retentit. Son responsable avait fini. Benjamin crut qu'il allait hurler. Son regard, celui d'un condamné, se posa sur sa voisine, la brune, dont il avait toujours lorgné les seins. Ils tressautaient encore de l'effort que cette poufiasses avait du fournir. Une goutte de sueur trônait au milieu, en équilibre entre les deux. Benjamin déglutit. Concentre toi mon vieux, concentre toi... Il avait besoin de ce boulot pour garder son appartement, sinon il retournerait chez ses parents. Fini les vices et la débauche, anneaux vibrants et serre-couilles ; il en serrait quitte pour des devoirs (quelle horreur), du ménage et une tête de loup. Mais môman marmonnait-il déjà, immergé malgré lui dans cette perspective d'avenir peu réjouissante. Sortant de sa torpeur, il vit alors ce qui pouvait causer sa perte.
La brune tenait dans sa main la partie du câble à raccorder à l'ordinateur. Benjamin écumait, c'était le combat de sa vie. Un duel homérique, Saint George versus le Dragon. Il s'élança. Carnage rugit-il dans un effort ultime. La blonde, pressentant l'horreur, se jeta sur son cou, stoppant son élan. Benjamin battait des bras, ses mains se refermant sur le vide, tout près du but. La brune ne put s'en empêcher, elle rit. Benjamin, dont la gorge serrée ne pouvait qu'émettre des gargouillements inaudibles, suppliait. Il entendait, résonner comme mille, les pas de son responsable sur le lino. Il l’entendait rire, alors qu'il échangeait une poignée de main cordiale avec la DRH. Il allait franchir la porte d'un moment à l'autre. La brune, avec une délectation sadique, s'enfourna alors le câble entier dans la bouche. Benjamin n'en croyait pas ses yeux, qui s'injectaient de sang. Son corps maintenu par la petite blonde dont le poids reposait entièrement sur lui, ses pieds faisaient du sur-place. Elles voulaient sa mort les salopes !
Alors, stoppant tout effort, il fondit en larmes. La pression de son corps se relâcha totalement, la blonde perdit l'équilibre. Elle s’aplatit sur le sol avec un bruit sourd. Mais qui en aurait voulu çà Benjamin ? C'était un homme brisé, anéantit. Il jeta un dernier regard sur la photo du crime. Celle de trop, entre deux appels pour se ménager une pause, lui pauvre travailleur comme il le répétait tout le temps. Elle était pourtant bien placée, cette bite de cheval. Dans un beau rectum, fiché au bout d'une blonde aux gros seins terrassée par l'extase. Et puis, fallait le comprendre. Il y pouvait rien, c'était plus fort que tout. D'accord, il était malade. Mais il ne recommencerait plus, promis. Si si, il était sincère. C'est du moins ce qu'il tentait d'exprimer avec les yeux. Il fit tressaillir les coins de sa bouche, juste un peu, pour leur donner l'inclinaison qu'il voulait. Une moue adorable. La brune sembla se radoucir. Il ne restait, de toute façon, que quelques secondes à son collègue, elle pouvait bien être agréable. Monumentale erreur, Benjamin n'attendait que ça. Il lui envoya un direct droit dans le ventre. Elle ouvrit la bouche, prise de haut-le-cœur. Il enfourna alors les mains directement dans sa gorge. Elle serra les dents. Il lui mordit le nez. Elle prit sa respiration. Il sortit alors le câble, triomphant, pour le brancher à l'unité centrale. Hop, sur la croix. Adieu Pin-up et l’Étalon noire se dit-il, ému. L'ordinateur retrouva son fond d'écran, neutre, et Benjamin soupira. Jamais il n'avait autant aimé le désert des fonds d'écran Microsoft. Satisfait, il reprit son téléphone, comme si de rien n'était. « Sushi resto bonsoir... ». Au même moment il se rendit compte qu'il lui manquait son portable. Avec le beau fond d'écran. Une partie fine dans les orties dimanche dernier. La blonde, les dents déchaussées, ricana. Le responsable l'avait pris pour le sien.
- il est parti téléphoner, lui dit-elle.
Benjamin sentit la sueur couler sur son front. Les autres avaient repris leur conversation, sauf un, plus les filles qui le regardaient. Benjamin avait l'air absent.
- Mais môman... marmonnait-il.