ADOLESCENT
sistaj
Je me réveille encore une fois avec ce nœud au ventre qui me foudroie
Le pire ! C’est que je ne sais même pas pourquoi.
Une nouvelle journée s’offre à moi
Et je sais déjà qu’elle sera sans joie.
Je donne l’air de jouer les rabats joie
Pourtant je ne me plains pas auprès de ceux qui me côtoient,
Me voient souvent maladroit et mettent ça sur le compte de l’émoi.
Et moi ? Je ne les contredis pas.
Quel visage vais-je montrer aujourd’hui ?
Je suis un être apeuré par des angoisses non fondées
Et je vais donner l’image d’une personne qui se réjouit de futilités.
Je vais me fondre dans la masse de tous ces collégiens
Dont la vie ne m’inspire qu’envie
Car elle semble sans souci.
J’arbore chaque jour un sourire différent :
Sourire d’enfant, sourire poli,
Sourire charmeur ou ravageur
Pour dissimuler mes contrariétés, mes chagrins cachés.
« Bientôt quinze ans et tu te conduis toujours comme un enfant ! »
C’est ce que ne cessent de me répéter mes parents.
Et ils ont bien raison.
Déraison est mon surnom.
J’veux faire le grand et je pleure dans le noir.
C’est déconcertant de s’apercevoir que la souffrance est sans raison.
Je ferme souvent les yeux et m’adresse à l’Etre Suprême
Qui règne sur Terre et dans les Cieux :
« Dieu Seigneur ! Dites moi pourquoi ! Pourquoi a-t-il fallu que je sois moi ? Pourquoi suis-je sur cette Terre ? Je n’ai absolument rien à y faire. J’aurais aimé n’être rien. Ne rien ressentir, ne rien espérer. N’être rien. Ma vie est inutile. Je souris, je ris, je fais semblant que tout va bien alors que rien ne va. Dieu Seigneur je vous en prie. Si vous entendez mon cri, ma prière, emportez moi, emmenez-moi vers l’au-delà. »
Pour chaque moment de bonheur,
La proportion de malheur est d’un pour dix.
C’est un indice officieux inventé par moi-même.
L’adolescence joue tout sur l’apparence.
L’âge mais aussi le visage sont ingrats.
Protubérance d’acné qui entraîne les railleries
De ceux qui sont épargnés.
Sourires figés pour dissimuler le mal qui me ronge
Et surtout pour éviter de voir rouge.
J’attends d’être seul pour craquer car un Homme ça ne pleure pas.
Et ma voix qui ne mue pas,
Et mon corps si frêle.
Freluquet, je joue à l’effronté
Pour ne pas avoir à affronter le regard des autres.
J’attaque les plus chétifs avant d’être touché.
C’est impératif ! L’adolescence, c’est la jungle.
La peur de se faire épingler fait qu’on anticipe les moqueries
Dont on pourrait être l’objet.
Au risque de devenir cinglé je joue au jeu de l’autodérision.
Les autres trouvent ça marrant !
Ils rient avec moi au lieu de rire de moi.
Ca change tout.
Le burlesque n’empêche que ça me blesse
Car je sais la part de vérité concernant ma beauté.
J’ai quatorze ans.
Tout en me préparant,
Je regarde mon reflet dans le miroir
Et tente d’apercevoir un quelconque attrait.
Rien n’attire mon regard.
Un nez biscornu, des lèvres charnues…
Aime toi et les autres t’aimeront certifie l’adage. Ils doivent me détester.
La gorge nouée, je tente de ne pas pleurer. En vain.
Je me convaincs que le vilain petit canard que je suis
Se transformera en cygne.
Mais pour l’instant, aucun signe d’embellissement.
Je fixe à nouveau mon reflet.
Mes yeux sont embués de larmes.
J’ouvre avec fracas l’armoire à pharmacie
Et dans un grand vacarme je m’empare des somnifères
Que j’avale d’un trait d’un seul.
Je réalise aussitôt la gravité de mon geste
Dicté par la détresse.
Je n’entends plus que le battement de mon cœur qui s’emballe.
La terreur m’envahit.
« Dieu Seigneur, pardonnez mon geste que je regrette du plus profond de mon être. »
Le côté obscur de ma vie s’efface, faisant place à tout ce qui l’embellit :
La complicité qui me lie à mes amis, car j’en ai tout de même,
Ma mère lorsqu’elle me sert fort dans ses bras
Et qu’elle me dit qu’elle m’aime,
Les câlins que m’offre ma petite sœur Kelly
Et la douceur des baisers qu’elle me donne chaque matin.
Je l’entends d’ailleurs qui m’appelle.
Quel imbécile je fais !
Je n’ai pas compris que les moments difficiles servent à nous faire apprécier
Chaque minute de bonheur qui illumine notre vie.
Je me sens défaillir.
« Maman !»
Un dernier cri de détresse tandis que je m’affaisse.
J’entends les pas de ma mère qui court jusqu’à moi.
« Sébastien !
Vite une ambulance ! Une ambulance !»
Mon père nous a rejoint un téléphone à la main.
Je sens ma mère qui me serre et qui pleure.
Tout devient flou autour de moi. Mais je m’en fou.
Ne t’inquiète pas Maman. Tout va bien maintenant.
On va s’occuper de moi.
Dieu Seigneur m’est témoin.
Je m’engage à respecter la vie, à respecter ma vie et à tout faire pour inverser l’indice officieux que je me suis inventée.
Désormais pour une journée de tristesse dix autres seront remplies de bonheur.