Agathe

losteo

AGATHE

 

Agathe arrive avec 18 minutes de retard, son portable à l’oreille :

«  Ça y est maman, j’suis arrivé, j’crois qul’ostéo m’attends, j’te rappelle en sortant »

Excusez-moi pour le retard, ct’abruti de taxi il m’a fait traverser la Seine pour aller du 16eme au 8eme, il m’a pris pour une touriste, j’ai pourtant pas une tête de touriste…

Visiblement, Agathe se sent particulièrement énervée par son retard, dont elle tient à faire porter l’exclusivité de la responsabilité au taxi, je choisis donc de lui répondre avec un calme digne d’un politicien face à un journaliste-Mélenchon excepté bien sur.

Ce n’est pas grave…Je peux prendre moi-même parfois quelque retard.. Vous êtes donc  Agathe de T, la fille de Madeleine ? »

Oui Oui C’est ça …  Lance Agathe, un peu apaisée mais  avec une fierté assez peu contenue, d’une part de porter le nom qu’elle porte et d’autre part d’afficher un physique si séduisant, particulièrement mis en valeur par sa petite robe en coton Jean Paul Gauthier juste courte comme il faut pour optimiser le charme de ses 248 mois.

L’espace d’une demi-seconde elle teste le regrd que je porte sur elle, et visiblement déçue, décide de se rapprocher du miroir de l’entrée afin de vérifier de haut en bas et de bas en haut si elle n’avait pas négligé quelque détail de sa précieuse apparence.

Car en effet, impossible de ne pas voir Agathe, quand Agathe entre dans une pièce, vous ne voyez plus la pièce : vous ne voyez qu’Agathe.

Pour les hommes, c’est dans le désordre : des sueurs froides disséminées dans tout le corps, des palpitations cardiaques avec arythmie, et un très fort balbutiement dès qu’il s’agit d’essayer de parler…

Pour les femmes, c’est différent, quelque chose entre le dédain, la curiosité, ou un intérêt subit pour le meurtre.

Personnelement, j’avais le choix de n’être ni un homme ni une femme mais un thérapeute, et là le tableau s’avérait nettement moins glamour : cernes sous les yeux vainement dissimulées par un maquillage excessif, torsion du bassin avec rigidité lombaire, signant l’existence de perturbations somato émotionnelles du bas ventre, pieds en dedans, hanches en fermeture, et haleine de Stuyvesant Rouge.

Finalement, je me contentais de prendre un air détaché avant de lâcher : Qu’est-ce qui vous amène en consultation? 

C’est samedi, j’étais invitée à une soirée chez ma copine Carla, enfin j’veux dire chez ses parents.

Tout allait bien, on avait bien fait la fête, peut-être un peu trop d’ailleurs, et le soir  on a décidé de se baigner dans la piscine... et là ct’abruti de Hugo il m’a poussé par derrière et je me suis défoncé le bassin et le petit doigt en tombant sur le rebord  hyper dur en ciment ou chaipaquoi.

J’arrivais pas à me relever, alors Arthur et Léo, ils m’ont allongé sur le divan et ils m’ont mis de la glace.

Et ce matin j’avais toujours hypermal, c’est pour ça que ma mère vous a appelé pour un rendez-vous en urgence.

Donc, si je comprends bien,  vous souffrez du bassin et d’un doigt, de quel côté se situe-t-il le doigt blessé?

Comment ça de quel côté ?

Eh bien le petit doigt de la main droite ou de la main gauche ?

Mais j’sais plus moi ! Vous avez d’ces questions ! dit-elle en levant les yeux vers le ciel.

Bon ce n’est pas grave on va examiner les deux mains…

Asseyez-vous sur la table, je vais  vous examiner !

A ce moment, Agathe ne se fait pas prier et bondit telle une féline sur la table, ce qui me permit d’établir une première évaluation de la gravité de ses lésions du bassin…

C’est ce doigt ?

Oui oui aïaïaïe !

Mais ce n’est pas le petit doigt, c’est l’annulaire !

Comment ça c’est pas un petit doigt, vous le trouvez gros, mon doigt ?

Non, c’est vrai, il n’est pas gros, mais ce n’est pas l’auriculaire !

Je pense qu’il s’agit d’une entorse, je vais vous le syndactiliser, c'est-à-dire le solidariser au doigt voisin  par un petit strapping, de façon à faciliter la cicatrisation naturelle de l’entorse.

Aaaaah bon ! Ok si je suis guérie après c’est bon !

A ce moment, je sors une bande de strapp en 8mm de large du placard, et commence à préparer les bandes…

C’est quoi ça ? interroge Agathe.

Ce sont les bandes pour le strapping.

Et vous voulez coller ça sur MA MAIN ?

Effectivement, oui pour vous soigner…

Ah mais là, je crois que ça va pas le faire,  n’imaginez pas une seconde que je vais sortir ce soir avec ce machin !

Bon Ok, on va trouver une solution intermédiaire : je vous manipule le doigt, vous place la syndactylie, et vous la gardez quelques heures jusqu’à ce soir, puis vous l’enlevez juste pour sortir. Ça marche ?

Ok Ça marche !

Je m’exécutais donc en manipulant précautionneusement le doigt très légèrement blessé d’Agathe, puis je plaçais deux bandes autour des deux doigts serrés l’un contre l’autre.

Puis je passais derrière Agathe afin de tester la mobilité de son bassin, en pratiquant le test de flexion assis pouvant objectiver le cas échéant une dysfonction ostéopathique du sacrum.

Je vais examiner votre bassin, pourriez-vous vous penchez-vous en avant, s’il vous plait, en enroulant lentement la colonne de la tête au bassin !

J’observe donc à ce moment la mobilité parfaite du bassin d’Agathe, ne révélant  aucune anomalie, et poursuit :

C’est bon, vous pouvez vous redresser !

Alors, Docteur ? Vous avez trouvé quelque chose ? Une entorse du sacrum ? Vous allez me synctyliser ?

Non, non, rien de grave, et la syndactylie n’est pas d’usage concernant le bassin, quoique dans certains cas on pourrait trouver facilement des volontaires…

 Non j’ai vu un petit bleu à gauche, il doit s’agir d’une simple contusion, je vais vous passer un peu d’huile essenssielle d’Arnica et vous devriez vous sentir mieux dès demain.

Je termine ma séance par quelques manipulations articulatoires basiques des sacro-iliaques d’Agathe, assorties d’une application d’Arnica, comme promis.

Les consultations pour des motifs futiles sont fréquentes en ostéopathie comme je pense elles le sont en médecine générale.

Hypochondriaques, hypersensibles, ou pioupious comme on les appelle dans le midi, ces patients s’inquiètent dès que leur corps ne leur délivre pas un message de bien-être parfait.

Quelle attitude le thérapeute doit-il adopter dans ces cas ?

 Ma vocation étant de soigner, je choisis généralement de rester à l’écoute de mes patients, quel que soit le niveau de bénignité de ses blessures.

Le plus souvent, on ne retrouve effectivement que des affections de gravité modérée à propos desquelles il convient de rassurer nos patients, tout en leur apportant un petit traitement adapté.

Dans quelques rares cas, le petit arbre du bobo anodin peut cacher la forêt constituée par une grosse pathologie peu démonstrative dans les examens conventionnels, et là il ne faut pas se faire piéger.

Donc, comme disait Pasteur , « Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours »  , restera la devise des bons praticiens.

                                                

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