Ainsi disparu Georges
galinas
Cela faisait bientôt une heure que Georges était dans le bar. Le plus souvent les yeux perdus dans le vague. Lorsque son regard vint rencontré celui de la serveuse, elle lui faisait signe du doigt, l'invitant à s'approcher. Elle avait sortie une vieille bouteille qu'elle servait déjà dans un large verre. Le liquide bleuté tournoyait et semblait répondre d'un bruit claire au glougloutements insistants de la bouteille. Quand le verre fut plein, il releva les yeux vers la serveuse qui le conviait à gouter au breuvage. Ni une ni deux, Georges s'exécuta. L'odeur qui s'en échappait lui rappelait la chaire en décomposition et l'intimait l'idée de le boire d'une seule traite. Georges n'était pas d'humeur à marchander avec ses gouts. Un verre est un verre, tant que celui ci put être alcoolisé. Ce fut d'ailleurs sa première réflexion si tôt la dernière gorgée terminée. Mise à part la nausée qui semblait venir, aurait-il au moins droit à l'ivresse? Georges contempla le verre vide de longues secondes, essayant tant bien que mal de retenir un violent haut le coeur puis, malgré la raideur qui gagnait tout son cou, tenta de relever la tête.
Allons Georges, pensa-t-il, tu en as déjà bu des piquettes, des liqueurs frelatées, des tords boyaux, c'est pas ce petit remède de grand-mère qui va te faire vaciller.
Tout son champ de vision était devenu flou, et après un effort surhumain de focus oculaire, il décela une silhouette dans un des recoins du bar. Bien que l'établissement paraissait subitement vide, mise à part l'étrange vision, le bruit si familier à ce genre de gargote était toujours présent. Quasi assourdissant. De la silhouette floue, on apercevait que les yeux, si nets et fixes. Georges ne pouvait s'en défaire. Ils étaient d'un bleu sombre et profond. À vous glacer le dos. Ils semblaient le juger. Alors Georges essaya de tourner la tête, mais ses yeux, eux, restaient bloqués sur ceux de l'étrange individu. Drôle de définition pour une chose qui n'avait pas vraiment forme humaine. Était-ce humain d'ailleurs? À peine cette idée l'effleurait que, soudainement, les deux étranges yeux se fermèrent et le silence se fit. Seul les sons de son souffle demeurait. Il se sentait comme sous l'eau, plongé dans sa propre profondeur, il s'écoutait, pour la première fois. Chaque sons étaient les siens, et uniquement les siens. Certains venaient de son ventre, d'autre de ses articulations, de sa nuque, de ses dents. Georges écoutait ce triste corps. Ce n'était plus vraiment le sien, du moins, il ne pouvait plus le diriger. Ses yeux et sa tête, ses mains, son torse, tous se mouvaient sans qu'il ne put avoir le moindre contrôle. Il était devenu le spectateur de son propre regard. Et pourtant il voyait. Et entendait. Et du fond de sa pensée, cru d'ailleurs percevoir un étrange grondement, étouffé et lointain. Après analyse, ce grondement se fit de plus en plus précis. Il semblait se rapprocher, à vive allure, faisant vibrer violemment ses tympans. Il devint monstrueux. Puis, les murs du bistrot se transformèrent en immense cascade et, au moment même où l'eau toucha le sol, retentit une musique grandiose qui, jouée par au moins milles musiciens, semblait tout droit sortie de l'esprit de Strauss. Le souffle produit par l'alliance de l'eau et de la musique lui griffa les yeux. Il se sentait pleurer, sous le coup de l'émotion et de la douleur, ses paupières refusants de se fermer. La silhouette refit sont apparition et, arborant un large sourire, se mit à tournoyer sur elle même tout en s'approchant peu à peu de georges. Ses traits s'affinèrent. Il pouvait deviner maintenant une tête de chat, posé sur un costume de bouffon, et dont les mains et les pieds restaient indéfinissables. Bientôt à son contact, tout le corps de georges se mit à tourner, et il pu ainsi voir le reste du bar, qui avait pris des proportions immenses, avec une profondeur et une hauteur de plusieurs centaines de mêtre. Il y avait là une scène où s'activait des centaines d'artistes. Trapézistes, jongleurs, danseurs, musiciens, funambules. Tous semblaient jouer pour lui, sous un flot ininterrompu de confétits multicolore. Cette folle parade était éclairée par deux puissants projecteurs, placés de part et d'autre de ce qui autrefois était un bar, et qui, maintenant, était devenu une immense salle de theatre dont on avait oublié de construire le toit. Georges pouvait deviner, malgré la lumière intense, qu'il faisait nuit noire et sans le moindre nuage. Cela donnait un plafond étoilé merveilleux. Face à cet incroyable spectacle, il restait stupéfait. Il lui était impossible de réfléchir clairement. Et au bout de quelques minutes, un puissant cri se fit entendre. Voyant la myriade d'artiste s'arrêter et se tourner vers lui, georges comprit alors que la personne qui venait de crier n'était autre que lui-même, bien qu'il n'en eu aucune intention. Tous restaient figés. Pareils à des statues, dont le regard était tourné vers sa petite personne. Les confettis, la musique, le spectacle, tout s'était arrêté. Seul un léger bruit de pas raisonnait à présent. Georges vit alors descendre de la scène un violoniste habillé en costard et noeud papillon noir. Il s'approchait de lui, lentement. Rendu à quelques mètres de Georges, le violoniste s'arrêta, et d'une voix grave et calme, lui demandât : « Il y a-t-il un problème georges? ». Si il y avait un problème? Bon dieu, oui, qu'il y avait un! Il n'y avait que ça d'ailleurs, depuis qu'il avait goutté à cette boisson dégueulasse. Tout comme vous, georges se demandait à quoi tout cela pouvait rimer. Qu'est ce qu'on pouvait bien lui vouloir, à ce type sans histoires. Et tout comme vous, georges fut dans l'impossibilité de parler au violoniste qui, se trouvant sans réponse, conclu l'entrevu par : « Dans ce cas là… ». Après un long soupire, le violoniste remis son instrument sur l'épaule tout en inclinant légèrement la tête puis, tenant l'archet du bout des doigts, vint le déposer sur les cordes sans un bruit. Il était maintenant le seul éclairé par un unique projecteur, le reste étant plongé dans le noir total. On ne voyait plus que lui. Au bout de quelques secondes, l'archet se mit à bouger très lentement et on entendit la première note qui semblait durer une éternité. Arrivé à un bout de l'archet, le violoniste rejoua la même note, jusqu'à ce qu'il doive recommencer, et recommencer encore. Cette simple note se répétait sans aucune pause, de plus en plus rapidement. Le violoniste atteint un rythme incroyablement rapide et la note jouée était devenue insupportable. On ne percevait presque plus le mouvement de son bras. Les crins qui formaient l'archet se brisaient les uns après les autres. Bientôt la mèche avait complètement disparue, tout comme la note de musique, et seul le bois de l'archet frottait avec le violon. Les cordes elle-mêmes avaient cédées. Le violon se creusait petit à petit, laissant échapper une fine fumée. Le bruit produit par ce frottement semblait pénétrer Georges jusqu'au plus profond se son crâne. Ce spectacle ridicule pris fin lorsque le violon fut coupé en deux. Une partie de l'instrument tomba, et le violoniste jeta celle qu'il tenait encore aux pieds de georges. Le bruit de l'objet rebondissant sur le sol raisonna fortement dans ce lieu maintenant si sombre et vide. Le visage du violoniste était fermé, son regard noir porté sur Georges. « C'est ça que tu voulais georges, n'est-ce pas? C'est ça que tu voulais? » Lui demanda-t-il d'un ton accusateur. À cet instant, il se sentit si petit. De plus en plus petit. Le violoniste, après avoir doublé, triplé de taille, était devenu si immense qu'on ne le distinguait même plus. Georges était devenu un simple atome, perdu dans l'univers. Et il n'était plus assujéti aux sensations terrestres qu'avait pu avoir son corps par le passé. Il avait ni chaud, ni froid, aucune douleur, rien. Il était une simple âme perdu dans l'espace.
Vous raconter la suite de son histoire serait vous mentir. Nous perdîmes trace de Georges définitivement par la suite. Chercher un atome au confins de notre univers connu n'est pas une mince affaire. Surtout en admettant la possibilité qu'il puisse se trouver bien plus proche qu'on ne le pense. Dans une goutte d'eau, sur une feuille de papier, à l'intérieur même de votre intestin. Non, décidément, tenter de retrouver Georges aurait été une perte de temps. C'est pourquoi, nous, historiens des âmes, trop longtemps affiliés aux domaines littéraire et poétique, préférons nous concentrer sur l'idée, plutôt que sur la matière. Qui était Georges? Peu nous importe. Le voilà parti. Puissions nous maintenant boire en paix, discuter, aimer, rêver, à l'abris de cet homme sans intérêt.
George est-il confronté à l'absurdité de sa vie ? Comme beaucoup de monde, cette vie sans sens dans lequel il s'est perdu et qui au final, a fini par le faire perdre... La créature pourrait être sa prise de conscience... ou la mort qui l'attrape et le confronte à une métaphore de sa vie avant la fin, le fameux "j'ai vu ma vie défiler sous mes yeux avant de mourir"
· Il y a plus de 5 ans ·Je suis sûre qu'en creusant on pourrait trouver mille interprétations ! La partie du violon avec la note qui se répète était vraiment cool !
k-short-stories