Airport

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Des cubes de béton striés d'ennui, empilés lourdement les uns sur les autres : bunker d'un soir, nid des aléas d'une modernité faussement lisse, recoin où s'encrassent ces petites catastrophes quotidiennes.

Lombalgie séculaire, ou rappel de ma corporalité ? Ce corps dont la science prolonge l'espérance de vie continuellement, moyennant bichonnages et soins réguliers et pour lequel, comme nombre de mes co-primates, je convoite trop souvent des idéaux aseptisés, amorphes, sans histoire, ce corps-là est celui-là même que je fuis sans fin, kidnappé par les prouesses de dématérialisation mises en œuvre par notre société hyperconnectée. La douleur est une ancre dans cet océan des possibles, un lien grave avec le réel.

Toute réalité est finalement virtuelle, et celle que nous qualifions de vraie n'a d'unique que sa pseudo-universalité, soutenue par de contestables fonctions de vérité. Pour tout dire, elle n'est universelle que vue de loin — dans les détails, elle ressemble plus à un puzzle dans lequel aucune pièce ne parvient à s'insérer correctement.

Les années de savane de notre espèce l'ont mise en garde contre l'asymétrie, le rugueux, l'incongru ; désormais armée du bras de la technologie, elle tente donc d'effacer tout ce qui dissone, dépasse, dérange. Un Duce de pacotille, vicieusement fruit et géniteur de notre conscience collective, nous enfume d'histoires trop belles pour être vraies, trop chiantes pour être complètement fausses.

Mots, images, sons — tous autant de trous noirs qui nous guettent à chaque instant, aspirant sans relâche notre attention, siphonnant nos glandes à la recherche d'émotions, abasourdissant tintamarre qui nous distrait à peine de nos incompréhensibles destinées, perdues sur un caillou tournant sans but dans une immensité splendide et absurde.

Penser mon corps pour le faire exister ; savourer les relents de douleur qui le lient au temps, scruter des yeux de la conscience les muscles tendus par le trop plein de pensées, le trop vide d'être. Exister, le temps d'un thé.

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