Alli, l'Alligator
helene-marche
Connaissez-vous les Bayous en Louisiane ? Depuis ma naissance, il y a environ deux ou trois ans, je vis dans cette région marécageuse, cet espace amphibie où se mêlent une faune et une flore unique au monde, enfin d’après ce que j’ai ouïe dire ! Car, voyez-vous je ne suis qu’un petit alligator ! Je ne suis pas méchant, j’ai la fâcheuse habitude de m’approcher des humains et de les écouter, au grand dam de mon grand-père qui ne cesse de m’apostropher à ce sujet :
- Alli, si tu continues à fréquenter les hommes d’aussi près, tu vas finir, dans quelques années, en ceinture ou en sac !
Malgré tout le respect dû à son grand âge, ses réflexions m’agacent. Je trouve bien agréable d’aller croquer quelques truites sans avoir à les attraper ! Il faut vous dire que j’ai sympathisé plus particulièrement avec le fils d’un fermier, John. Grâce à lui, je deviens un alligator presque apprivoisé, un gentil alligator à l’intelligence développée… ! Je le rencontre tous les soirs avant que le soleil ne disparaisse derrière le mur des cyprès et des saules qui bordent la rivière. Durant toute la journée, je me prélasse au soleil en gobant quelques insectes qui osent s’aventurer devant ma gueule ou bien j’imite les branches mortes, en flottant parmi les jacinthes d’eau et les nénuphars. Ainsi camouflé, je guette mes proies : grenouilles et divers crustacés. Je reste malgré tout vigilant face à certains prédateurs. Figurez-vous qu’un jour j’ai failli être croqué par une tortue, ma mère m’a sauvé in extrémis !
Je vivais dans ce paradis terrestre tranquillement jusqu’au jour où j’entendis des cancans rapportés par quelques volatiles. Un danger s’approchait de cet éden : une espèce de boue noire envahissait la côte en semant la mort à tout vent ! Comment imaginer une telle catastrophe ? Comment deviner que cette marée noire, gluante, nauséabonde constituait un tel danger ? Les premières victimes que j’ai aperçues, agonisantes sur le sol, m’ont donné une nausée indescriptible : pauvres aigrettes, pauvres hérons ! Même mon ennemi, la tortue si féroce rendait l’âme. Devant cet épouvantable spectacle de cadavres jonchant le bord de l’eau, je reculai vers les habitations et me réfugiai chez mon ami John. Ravi de me voir en vie, il me confia sa tristesse. Pourquoi tant d’innocentes créatures payaient de leur vie les bêtises des humains ?
Puis, il m’assura de sa protection et m’apprit que, grâce à mon sang prélevé régulièrement, je servirai l’Humanité. En effet, des scientifiques avaient découverts dans le sang des alligators des protéines antimicrobiennes ; ces nouveaux médicaments de la famille des « alligacines » soigneraient les plaies ulcérantes des diabétiques et le derme des grands brûlés. Je ne serai donc pas transformé en chaussures ! La vie n’est-elle pas belle ?
Hélène Marche