Always Die

margotismad3

Petite nouvelle, venant d'un recueil que j'ai écrit

Vous connaissez l'injustice ? C'est un sentiment qui nous hante lorsqu'il prend un certain degré d'ampleur. On se demande à ce moment-là pourquoi cela nous arrive à nous. Ça a été mon cas, à moi, Isabelle Paige.
Il est vrai que pour des cas plus graves que le mien, ce ressenti est connu depuis la plus jeune enfance. Moi, il a fallu attendre mes 9 ans. Je vivais avec mon père et ma mère et ma grande sœur. On n'avait pas de grands besoins et on était tous heureux. Tout comme moi, ma sœur, Alyson, avait d'excellentes notes et travaillait dur en général. On était très proches d'ailleurs. On avait les mêmes passions, à savoir : le dessin, les mangas etc. On passait nos journées à aller dans la chambre de l'une ou de l'autre pour se parler ou se montrer des trucs (dessins, mangas, photos sur Internet…). Malheureusement, un hasard maléfique fit que mon père ne sentit pas bien un jour. Il s'évanouit, eut de la fièvre et se mit à vomir. Ma mère décida alors de l'emmener à l'hôpital. Alyson et moi avions très peur. Nous aimions notre père et on ne voulait pas que quelque chose de grave lui arrive.


Cinq années sont passées, et beaucoup de choses ont changés. Déjà, mon père était atteint d'une maladie, dont je n'avais jamais retenu le nom, mais assez grave pour qu'il reste à l'hôpital pendant toutes ces années. Toutes le semaines, je vais lui rendre visite, avec un nouveau bouquet de fleurs. Nous parlions un peu, mais je n'arrive jamais à le regarder dans les yeux, tellement il me faisait pitié.
Et pour ma mère, ça a été pire. Le premier soir où mon père n'était pas à la maison, je l'ai vu avec un verre de vin à la main. Puis c'est devenu de la vodka, du rhum et bien d'autres alcools tout aussi fort, quand on en prend régulièrement. Je pouvais comprendre son état : son mari était entre la vie et la mort, loin d'elle. D'ailleurs, cela devait faire trois ans qu'elle n'est pas allée le voir. Et ça, à cause d'une chose : Patrick.
Deux ans après le départ de mon père, je me suis levée, comme tous les matins, pour partir en cours, et j'ai entendu des pas dans l'escalier. Je trouvais ça étrange : ma sœur et ma mère devaient être déjà au lycée ou au travail. Je reculai de quelques pas, et fus bloquée par le plan de la cuisine. Plus la personne descendait, plus mon pouls s'accélérait. J'étais un peu parano, c'est vrai. En même temps, je ne m'attendais pas à la suite. Je vis un homme, torse nu, les cheveux en pagailles, ne portant qu'un boxer. Je tentais de détourner le regard, mais j'étais tellement choquée par la présence d'un autre homme, que je le fixai pendant quelques secondes, avant qu'il ne posa les yeux sur moi et n'ai un hoquet de surprise. Il devait avoir entre 20 et 30 ans : donc ce n'était pas quelqu'un pour ma sœur. Le jeune homme dit alors, avec une voix plutôt mature :
« Amélie n'est pas là ?
Amélie, c'était ma mère. Je m'appuyai pour ne pas tomber, et soupirai un grand coup. Puis je répondis en dégageant mes cheveux du visage :
- Non, elle est partie travailler.
- Tu dois être sa dernière, Isabelle, c'est ça ?
Il fit quelques pas en avant vers moi, et mes yeux s'écarquillèrent de plus en plus. Il s'arrêta par la suite et se rendit compte de sa tenue grotesque. Il se retourna et remonta sans rien dire. Cet homme avait un côté charmeur, c'est ce qui avait sûrement attirée ma mère, mais je n'en n'étais pas moins énervée et choquée. Comment ma mère avait-elle osée tromper mon père ? Moi qui pensais qu'elle l'aimait de tout son cœur.

Évidemment, cela n'avait pas plu du tout à Alyson. Elle avait beaucoup plus crié sur ma mère que moi. Elle l'avais même traitée de salope, devant Patrick. Il n'avait pas bronché et était resté dans son coin. Heureusement, sinon, ça aurait été pire. Suite à ça, ma sœur a fait ses bagages et ait partie loin. Donc depuis trois ans, elle vit chez son petit-ami, Lucas.
Et moi dans tout ça, j'ai dû supporter le coup. Mon père était gravement malade, ma mère était alcoolique et sortait avec un gars charmeur mais con, et ma sœur était loin. Je ne sais pas comment je faisais d'ailleurs, pour avoir de superbe notes au collège malgré tout ça.
D'ailleurs, j'avais une habitude, c'était que dès que je rentrai du collège, je faisais mon boulot, puis je pouvais me détendre. Même si il m'était quasiment impossible de travailler, vu que Patrick venait toutes les dix minutes pour me demander pourquoi j'étais autant acharnée dans ce travail. En même temps, ce n'était qu'un branleur. Il avait eu son BAC en trichant, et s'était trouvé un job en couchant avec la directrice de l'entreprise. Du moins, c'était ce que me répéter ma mère, quand elle était bourrée.
De plus, à cause de tous ses problèmes financiers, elle m'avait mis dans un collège, avec un niveau assez bas. Toutes les personnes n'avaient pas plus de 11 de moyenne. Et celles-ci n'étaient pas vraiment agréables. Si vous saviez le nombre de fois où je me suis retrouvée couverte de bleus à cause d'eux. Je ne disais rien par contre. Je savais que si j'ouvrais ma gueule, ça allait être deux fois pire. Heureusement, je n'étais pas la seule dans cette situation. Deux amies à moi, tout aussi brillantes, vivaient les mêmes horreurs. On était comme un trio de souffre-douleurs.
Après, il n'y avait pas qu'elles avec qui je traînais. Je restais souvent avec un garçon, Martin Evil. Il était beau, déjà, mais tellement con. On avait des délires ensembles, et on rigolait tout le temps. On était très proches. Il me protégeait parfois contre les malfaiteurs qui me voulaient du mal. Avec lui, je me sentais bien. Il me faisait oublier tous mes soucis. Je l'aimais.
Je lui avais avoué d'ailleurs. Ce fut peut-être le jour le plus stressant de ma vie. Je me souviens que c'était un jeudi entre midi et deux, Carolina et Élise ne faisaient que de m'encourager pour aller le faire. Tête de mule que j'étais, je ne me laissais pas faire. Je ne faisais que leur répéter que je ne voulais pas sortir avec lui (alors que c'était totalement faux) ou qu'il ne m'aimait pas. Malheureusement, ce fut Martin qui vint vers moi. Mes amies partirent en courant, me laissant seule avec lui. Nous nous assîmes sur un banc et je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais nous étions si proches, que je me suis rapprochée pour l'embrasser. J'avais les yeux fermés, mais je ne sentais que le vide. Je les rouvris et croisais le regard effaré du garçon. Je reculai alors rapidement et Martin se leva aussitôt. Il me dévisagea et dit :
« Jamais je ne voudrais sortir avec toi »
Et il partit. Je restais figée, sans pouvoir bouger, ni même respirer. Une minute avant, nous étions inséparable, et puis, il s'énerve et part. Je me sentais honteuse, alors je me levais à mon tour et je m'en allais, à la recherche d'un certain bonheur invisible.

Des insultes… c'était tout ce que je recevais. Au moment où je suis rentrée chez moi, mon téléphone n'a cessé de vibrer. C'était mes réseaux sociaux me répétant les mêmes icones, avec les mêmes messages. Martin avait posté des histoires, comme quoi j'avais essayé de coucher avec lui, que j'étais une pute excessive, et que je n'avais pas de cœur. De plus, il disait de même pour mes deux amies. Au point qu'Elise m'appelle en pleurs quelques heures plus tard.  Je ne comprenais pas pourquoi tout d'un coup, mon ancien meilleur ami me détestait. Je pensais que ça s'arrangerait, mais au contraire : ça empira.
Une semaine après, tout le collège nous haïssait. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point l'avis de Martin avait pu être influent. Tous les jours, il ne faisait qu'aggraver les rumeurs à notre sujet, comme s'il voulait passer pour une grande victime, et se faire aimer. Malheureusement, ça a en quelque sort. Par contre, il ne l'avait jamais assumé devant nous : ce n'était que sur Internet. Sauf qu'un jour, tandis que nous sortions du self, il décida de porter ses couilles, de ramener tout le monde face à nous, et de nous dire ses quatre vérités, en plus de nous insulter. Les mots « pute », « salope », « lâche » et bien d'autres, résonnèrent dans ma tête pendant plusieurs minutes.
Au bout d'un moment, les larmes vinrent et je tentai de m'enfuir. Je pensais qu'ils allaient me bloquer le passage, mais ils s'écartèrent. Je fis quelques pas, avant d'entendre un cri de rage derrière moi. Je me retournai d'un mouvement vif et vis Carolina se tenir la tête avec ses mains, comme si on lui criait dans les oreilles. Elle ne cessa de crier, de s'agiter, les yeux fermés et coulant de larmes. Plus personne ne parler, on se contentait de la regarder. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état, sachant qu'elle n'était du genre à craquer.
Elise s'approcha d'elle, mais Carolina recula rapidement et sortit quelque chose de sa poche. Je m'avançai pour constater qu'elle tenait une fourchette. Pourquoi ? Nous la regardâmes tous interrogés, jusqu'à ce qu'un flash apparut. Le temps de cligner les yeux, du sang gicla sur la foule. Je vis mon amie à terre, une fourchette enfoncée dans la gorge. Des cris retentirent, tandis que je restais immobile, fixant le cadavre de la fille. Tout s'était passé si vite. Les surveillants arrivèrent quelques secondes après, et l'un d'entre eux appela les pompiers. Je me suis dit :
« Cela ne sert à rien, elle est déjà morte. »

Une demi-heure plus tard, j'étais en train d'expliquer la situation aux pompiers, en jetant des coups d'œil à la housse noir qui recouvrait dorénavant Carolina. Le collège décida après ça, de renvoyer tous les élèves chez eux, pour la fin de journée. Je rentrai alors chez moi, les larmes coulant sur mes joues, et la musique gueulant dans mes oreilles. Je ne faisais que revoir mon amie à terre, la gorge entrouverte, et le regard effaré du public. Si je n'avais pas essayé d'embrasser Martin, peut-être serait-elle toujours en vie ? Du moins, elle aurait survécu un peu plus. Je savais qu'elle avait des problèmes, tout comme moi, mais je ne savais pas qu'elle irait jusqu'au bout.
Une fois dans mon appartement, j'étais seule, allongée sur mon lit. Ni ma mère, ni Patrick n'était rentré. Je pouvais donc en profiter pour défouler toute la rage et le chagrin que j'avais en moi. Je mis une playlist triste sur mon enceinte et la fit hurler. Avec tout ce bruit, j'avais l'occasion de crier, sans que qui que ce soit ne m'entende. J'avais un pieu dans le cœur, et crier me permettait de me soulager de la douleur. Même si je ne pensais pas qu'il existait quelque chose pour l'enlever, sans douleur.

Vous connaissez la série « 13 reasons why » ? C'est une série Netflix qui raconte le suicide d'une lycéenne, et pourquoi elle a fait ça. Pendant un mois, je n'ai fait que la regarder en boucle. Je savais les répliques par cœur à force. Je me demandais si ce qui lui est arrivé était une bonne raison pour vouloir mourir. La scène de sa mort, me restait graver en mémoire. Devrais-je le faire ? Pourrais-je le faire ?
Ma mère s'inquiétait de plus en plus pour mon état, et m'obligeait à aller voir la psychologue du collège. En toute franchise, cela ne changeait rien. Mon cœur était endommagé, par ma meilleure amie, et Martin. Je l'avais revue, quelques jours plus tard, mais il ne me semblait pas différent. J'appris quelques temps plus tard, qu'il allait déménager et changer de collège. Tant mieux !
Un soir, je me levais pour aller me servir un truc à boire : depuis un mois, je ne faisais que des insomnies. Je me dirigeais vers la cuisine et me servis un verre de lait. Je tournai la tête et vis la table basse du salon, où reposait la cigarette électronique de ma mère. Elle était partie quelques jours pour le boulot, et avait oublié son joujou addictif. Elle a littéralement pété un plomb au téléphone quand je lui ai rappelé. Je posai le verre vide dans l'évier et m'apprêtais à repartir en haut, quand Patrick apparut, me laissant un hoquet de surprise.
« Désolé, dit-il de sa voix roque, je ne voulais pas de faire peur.
- Qu'est-ce que tu fous ? demandai-je agressive.
- Je voulais juste…te voir, répondit-il en s'approchant, tel un prédateur et en baladant son regard sur tout mon corps.
Je reculais suite à ses mots, et commençais à trembler. Ce genre de gars séducteur, était gentil avec des personnes consentantes, mais violait ceux qui s'opposaient. Je connaissais mon camp, alors je voulais fuir. Je baissai la tête et tentai de me frayer un passage rapidement, mais il m'agrippa le bras. Je tournai la tête vers celui-ci, qui me regarda comme si j'étais un morceau de viande. Son visage près du mien, je pouvais sentir qu'il avait bu : ce qui ne faisait qu'augmenter mon stress. J'essayai de me dégager, mais il me serra d'avantage.
- Arrête, dis-je les dents serrées.
D'un mouvement vif, il attira mon corps contre le sien. Je me rendis compte que nous faisions d'ailleurs ma même taille. Toujours en gardant mon bras prisonnier, il passa sa main sur mon épaule, puis la descendit au fur à mesure. Avec une grande force, il me retourna et m'emprisonna la taille avec ses deux bras, j'eus alors le bassin collé au sien. Je sentis d'ailleurs quelque chose de bossu à cet endroit-là. Une fois que je compris la situation, je me mis à crier, tout en tentait de partir. Son nez dans mon cou, il me susurra à l'oreille :
- Tout va bien se passer. Il faut juste que… »
Je ne laissais pas finir sa phrase, et lançais ma tête en arrière. L'arrière de mon crâne frappa son front, ce qui le fit desserrer et je pus m'enfuir. Je courus rapidement dans les escaliers, et partis dans ma chambre, que je verrouillais à double-tour. Je me dépêchais de prendre un sac, de le remplir de quelques bricoles. Je pris de l'argent, ôtais mon haut et bas de pyjama pour enfiler une tenue plus appropriée, enfilais une veste, portais mon sac et sortis en douce par la fenêtre.

Où est-ce que j'allais ? Je me suis dit au début, qu'il fallait que j'aille dénoncer Patrick à la police, mais j'avais peur qu'à cause de ça, mon père ne découvre la liaison secrète de ma mère. De plus, je n'avais aucune preuve, et il ne m'avait rien fait. Il l'aurait fait évidemment si je n'avais pas pu m'enfuir. Je regardais ma montre : 3 heures du matin. J'ai cherché alors sur Google s'il y avait pas loin une épicerie ouverte 24H/24, pour que je puisse m'acheter à manger. Heureusement que oui.
Je pris le bus pour m'y emmener, où il n'y avait que des ados de 17-18 ans, bourrés. Je ne leur jetais aucun regard, et restais dans mon coin, les écouteurs branchés. Quelques minutes plus tard, je fus arrivée à destination. Je poussai la porte, où une petite cloche retentit. Il n'y avait personne, à part le caissier à moitié endormi sur ses mots croisés. Je choisis alors trois sandwichs poulet mayonnaise, deux canettes de Coca, une bouteille d'eau, et deux paquets de bonbons. Je payais, et repartis aussitôt. Ces courses me faisaient me sentir indépendante et adulte, mais je ne voulais pas passer le restant de ma vie comme ça. L'argent ne tombait pas du ciel non plus.
Le plus dur, c'était de trouver un endroit où dormir. Je savais que je ne pouvais pas me payer une chambre d'hôtel, et je n'avais pas d'amis chez qui dormir. Oui, il y avait Elise, mais celle-ci n'avait pas répondu à mes textos et ne m'avait pas parlé depuis le suicide de Carolina. Alors je marchais, errant dans la nuit sombre de la ville. J'arrivai finalement près de la station de métro. J'aperçus à ce moment-là, des bacs à proximité. Une lueur d'espoir me vint, et je me ruais vers eux. Je m'assis, et sortis mon premier sandwich, que je dégustais accompagné de ma bouteille d'eau. Puis, je gobai quelques petits bonbons pour rajouter une touche sucrée dans ma bouche. Par la suite, je fus crevée, donc je posai mon sac que je fermais et gardais contre moi. Je m'allongeais sur le banc et fermais les yeux. Le vent soufflait sur mon visage, et poussais les larmes ruisselant sur mes joues. Je n'avais que deux choses en tête : trouver un foyer, et trouver de l'argent.

Pour la première fois depuis des jours, j'ai dormi. Pas très longtemps certes, mais assez pour aller mieux au petit matin. J'ouvris les yeux, et remarquai des personnes, assises autour de moi. Je me levai rapidement, et ils m'adressèrent un regard méfiant. Ce n'était que des grands-mères attendant sûrement le bus. L'une d'entre souffla un : « pauvre fille ». Elles avaient pitié de moi. J'avais honte. Je regardais mon téléphone, mais aucun message. Ceci était la preuve que je n'étais rien aux yeux du monde.
Je soupirai un grand coup : je devais me ressaisir. Il fallait que je trouve un boulot provisoire, où je pourrais gagne assez d'argent pour prendre une chambre d'hôtel, peut-être le temps que ma mère revienne. C'était les vacances de février, alors je n'avais pas cours. Et ma mère ne revenait pas avant une semaine. Je ne pouvais pas passer une semaine à dormir dans le froid. Je sortis mon porte-monnaie : il ne me restait que dix euros. J'avais besoin d'argent, plus que tout. Je sortis alors mon deuxième sandwich et en mangeait une partie. Je repris une gorgée d'eau, rangeais tout ça et me levais. Je partis d'un pas décidé, et entendis quelques mots, prononcés par l'une des mamies : « Bonne chance ma petite ».
Le problème d'avoir moins de 16 ans, c'est que lorsqu'on demande de travailler dans une boutique, ou un commerce quelconque, les refus sont plus présents. D'ailleurs, c'était mon quatrième ce matin-là, et il n'était que 11 heures. Je suis allée manger une heure après, puis j'ai recommencé ma quête au boulot, mais toujours rien.
Vers 18 heures, je m'assis sur le banc d'un centre commercial, et soufflai d'épuisement. Je venais de me rendre compte à quel point c'était dur de trouver un job. Puis peu de temps après, mon téléphone sonna. Ce n'était pas un numéro que je connaissais, mais je décrochai quand même :
« Allô ?
- Mlle. Paige ?
- Oui c'est moi.
- Je suis Agnès, du service de l'hôpital. Votre père veut vous voir.
- Oui bonjour, dis-je avant de me rendre compte de ses mots. Pourquoi, que se passe-t-il ?
- Tout va bien, vous lui manquez, c'est tout.
- Très bien, j'arrive. »
Et je raccrochai. J'avais oublié que l'hôpital avait mon numéro de téléphone depuis des années, mais que je n'avais jamais enregistré le leur. J'espérais juste que mon père allait bien.
Un quart d'heure plus tard, le bus me déposa devant le grand bâtiment où mon père résidait depuis cinq ans. Je rentrais et je vis une femme se lever, qui devait être Agnès. Elle me sourit et me conduit jusqu'à la chambre de mon père. D'ailleurs, je fus étonnée, car elle aurait dû savoir que ce n'était pas la première fois que je venais. Arrivée devant la pièce, l'infirmière repartit aussitôt. Je regardais alors mon père, allongé, entouré de machines. A chaque fois, cela me serrait le cœur. Le malade me tendit la main pour que je me rapproche. Puis il me dévisagea et dit :
« Tout va bien ma chérie ? Tu sembles fatiguée ?
- Juste un peu.
- Il faut se coucher plus tôt, me conseilla-t-il en rigolant.
Malheureusement, quand il rigolait, il se mettais à tousser et à cracher en même temps. Je m'approchais de lui et demandai inquiète, comme à chaque fois :
- Tu vas bien ?
- Pas vraiment, dit-il en se redressant. Les médecins disent que mon état a empiré.
- Quoi ? m'exclamai-je.
- Je n'en aurais même plus pour longtemps.
- Comment tu peux me dire ça…comme ça ?! criai-je énervée et triste à la fois.
- Je suis désolée chérie, s'excusa-t-il en prenant ma main, mais c'est la vie. Il fallait si attendre.
- Non !
Des larmes descendirent sur mon visage, et je murmurai, tête baissée :
- Pas maintenant…
Mon père leva son buste vers moi et me tendit les bras ouverts. Je le pris et le serrais fort contre moi. Je ne voulais pas le perdre. Surtout pas.
- Ma chérie, chuchota-t-il d'une voix étranglée par les sanglots.
- Oui Papa ?
- Dis à ta mère que je l'aime, et que je l'ai toujours aimé. »
J'avais l'impression d'avoir pris un coup dans la poitrine. Mon père ne se doutait pas du tout que ma mère ne ressentait plus cela en son égard. Je lui mentais, et je devais l'assumer. Je me mordais la lèvre pour ne pas pleurer d'avantage, ou lui crier à la figure que son amour n'était qu'une illusion. Alors, je ne fis que rester à son cou, sentant son cœur battre longuement. J'avais du mal à imaginer qu'il lâche. Je ne pouvais pas imaginer ma vie sans lui. Puis il s'écarta et me dit finalement :
- Dis à Alyson, que je l'aimais elle aussi. Je vous aime toutes les deux. »
Je me contentais de hocher la tête, et la fameuse Agnès revint pour me séparer de mon père, pour rompre le dernier regard que je lui accordais. Je mimais alors avec ma bouche, incapable de le dire à voix haute : « Moi aussi je t'aime Papa ».

En sortant de l'hôpital, je sortis mon téléphone. D'ailleurs, au moment où l'écran d'accueil s'alluma, l'objet était déjà couvert de gouttes d'eau. C'était à la fois mes larmes, et celles du ciel. J'enfilai la capuche de mon sweat et me mis à l'abri. Je tentais d'appeler ma sœur, mais celle-ci ne répondit pas. Son téléphone était éteint. Je savais que je ne pourrais attendre qu'elle réponde pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Alors je me dirigeais vers l'arrêt de bus, pour qu'il m'emmène chez elle.
 Une demi-heure après, j'arrivai dans l'immeuble où elle vivait depuis des années, avec son petit-ami. Je pris l'ascenseur pour accéder au quatrième étage. Le problème, que je remarquai une fois en haut, c'est que je ne me souvenais plus quelle porte était la sienne. La dernière fois que j'étais venue, cela remontait à plus de deux ans. J'avançai quelques pas, et vis une porte entrouverte. Je m'approchai et lus une affiche : Paige et Kyler.
Je suis vraiment conne, pensai-je.
Je fronçai les sourcils : pourquoi la porte d'entrée était-elle ouverte, alors qu'Alyson détestait la laisser ouverte (du moins c'était ça avec sa chambre). Je toquai, attendis, mais personne ne me répondis. Mon cœur commença à battre de plus en plus rapidement. Je décidai alors d'entrer.
Je poussai la porte, et un bruit de frottement résonna. Je me dirigeais à l'intérieur de l'appartement, tournai la porte, et vis des débris de vase juste derrière. Mon regard se porta alors sur le salon : le désastre. La table était par terre, le canapé décalé, des bouts de verre éparpillés sur le sol et surtout, deux bouteilles cassées, avec du sang sur les bords. Je faillis tomber suite à cette découverte : il y avait eu une bagarre.
Je criai alors le prénom de ma sœur, mais aucun bruit ne se fit entendre. Mon cœur se serra : j'avais peur pour elle. Je tournai la tête vers l'escalier qui menait à une salle de jeux. Je levai ma jambe tremblante et montai une par une les marches. Arrivée en haut, du sang coulant sur le parquet.
« Alyson ?! criai-je de plus belle.
Je sortis mon téléphone de la poche, et m'apprêtais à composer le numéro des flics, quand j'entendis un gémissement derrière moi. Je me retournai doucement et vis Lucas, tenir ma sœur par les cheveux, un couteau menaçant sous la gorge de celle-ci.
- Pose ça sur la table, m'ordonna le garçon en pointant l'arme en ma direction.
J'obéis sans m'opposer. Je regardais ma sœur : elle avait des bleus sur ses bras et ses jambes dénudés, ainsi que des coups de couteaux. Elle ne portait qu'un simple soutien-gorge et une petite culotte en dentelle. Que s'était-il passé ? Je vis les yeux d'Alyson remplis de larmes, elle semblait regretter quelque chose, probablement d'avoir aimé cet créature.
En parlant du loup, celui-ci me fixa, avec un sourire malsain. Le stress monta en moi, cette grimace me rappelait Patrick. Soudain, il lâcha ma sœur, qui heurta violement le sol. C'est à ce moment-là, que je remarquai que ses plaies se mirent à saigner. Bientôt, elle se viderait de son sang.
 Mon regard se porta sur l'homme, qui se dirigea vers moi, l'arme toujours en main. Il m'agrippa d'un mouvement vif le menton et me força à le regarder. Je ne voulais pas bouger, ou me débattre : il avait la possibilité de me planter le couteau dans le ventre à tout moment. Puis il me poussa avec sa main d'une force qui me dépassa, et j'atterris sur le canapé endommagé. Et à l'instant où la bête s'approcha de moi, Alyson se releva et lui donna un grand coup dans la tête, ce qui le fit basculer sur le côté. Elle l'avait frappé avec une sorte de tableau en liège, qui avait dû lui servir dans le passé.
Celle-ci se mit alors à reculer, puis posa son regard sur le mien, et sourit pour la première fois. Sans hésiter, nous nous sautâmes dans les bras, pleurant à chaudes larmes. Nous étions en vie, c'était le but. Puis elle s'écarta et dit en écartant une de ses mèches de cheveux :
« Isabelle, mais qu'est-ce que tu…
Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase, que Lucas se rua sur elle, un couteau à la main. Je vis alors l'objet se plantait dans le bassin de ma sœur, qui poussa un hurlement. Avant même que je ne puisse réagir, l'homme sortit le couteau de la plaie, pour le replanter légèrement au-dessus. Ma sœur tomba à terre, suivi de son ex, accompagné de son sourire malsain. Puis Alyson ouvrit avec difficulté ses paupières, la bouche coulant de sang et murmura :
- Fuis…
Elle avait raison ; si je ne partais pas maintenant, je risquais de finir comme elle. Le problème, c'est que je ne voulais pas la laisser là, mais je décidai finalement de descendre les escaliers en courant, afin de m'éloigner et d'appeler la police ainsi que les pompiers.
Je venais de passer un quart d'heure, dans un local à balai, à pleurer. Une fois que j'avais appelé des renforts, je suis descendu au rez-de-chaussée, et j'avais remarqué que le local du concierge était ouvert, alors je me suis cachée dedans, de peur que Lucas ne revienne. Entre temps, j'avais entendu des hurlements, ceux de ma sœur. Je me sentais coupable de ne pas l'aider. Etait-elle toujours en vie ?
La police a fini par arriver, tout comme les urgences. Je suis sortie, et leur ais indiqué l'étage et l'appartement. Malheureusement, l'un des flics m'a obligé à rester hors de l'immeuble. Je tremblai encore de peur, j'avais froid, car il faisait quasiment nuit. Je m'assis sur de petites marches et grignotais une barre chocolatée, les mains tremblantes. Je remarquai alors que le policier me dévisageait : ma réputation de SDF s'amplifiait. Puis, après dix minutes, les pompiers revinrent avec ma sœur, dans un grand lit roulant. Je pus l'apercevoir : elle avait des plaies sur tout le haut du corps, était complétement nue, et continuait de saigner à l'endroit où le monstre l'avait poignardé. Je ne savais pas si elle était en vie, mais je me disais que si c'était le cas : elle ne tiendrait pas longtemps.
Une heure plus tard, j'étais assise sur un siège, dans le commissariat, à attendre. Je venais de révéler l'histoire complète aux enquêteurs, qui me fournirent des informations : Lucas battait ma sœur depuis le début de leur relation, sans que je le sache. Les voisins avaient déjà appelé la police, en attendant les cris stridents d'Alyson, mais l'homme avait menti pour pouvoir s'en sortir, en disant qu'elle était juste tombée dans les escaliers.
 Comment j'avais pu être aveugle à ce point ? Il était vrai que je n'avais pas rendu visite à ma sœur assez souvent, sinon j'aurais su à quel point elle souffrait. Peut-être que si je n'avais pas été là, elle serait inconsciente dans les bras de ce monstre, ou pire : elle se serait donné la mort. Dans tous les cas, elle ne s'en sortirait pas indemne.
Je mis ma tête dans mes mains, et celles-ci récupérèrent mes larmes. J'avais peur, pour Alyson, pour mon père, pour ma mère, et pour moi. Qu'est-ce que nous réserver l'avenir ? La mort de mon père ? L'alcoolisme de ma mère ? Ma pauvreté ? Trop de questions trottaient dans ma tête.
Puis l'un des policiers arriva vers moi. Je me levai en sursaut et demandai :
« Comment va-t-elle ? Comment va ma sœur ?
- Nous sommes vraiment désolé, nous n'avons rien pu faire », répondit-il en baissant la tête.
Comment ça ? Ce n'était pas si compliqué quand même ! Je voulais juste qu'il la garde en vie, assez pour lui parler de notre père. De toute façon, ils vont pouvoir se parler, dans l'au-delà. Je n'ai pas pu lui dire au revoir, ni voir son sourire une dernière fois. La dernière chose que j'avais vu d'elle, c'était son visage meurtri. La dernière chose que j'avais entendu d'elle, c'était son cri poignant, rempli de souffrance. Et la dernière chose que je savais d'elle, c'était qu'elle allait être en paix, pour l'éternité.
J'évitai le regard du policier et partis. Je n'avais plus rien à dire. Je n'avais plus rien à faire : je ne voulais plus rien faire. J'essuyai furtivement les larmes coulantes sur mon visage. Je n'espérai qu'une chose : me réveiller en apprenant que ces cinq dernières années n'étaient qu'un rêve, ou plutôt un cauchemar. J'imaginai ouvrir les yeux, m'étirai dans le lit, descendre dans ma cuisine et retrouvai ma sœur blaguant avec mon père, et ma mère buvant son café. Je me serrai précipité vers eux pour les embrasser, leur dire à quel point je les aimais et rigolai avec eux.
Je sortis finalement du commissariat, et me rendis compte que des gouttes s'abattaient violement sur mon corps. Je levai le visage vers le ciel, et crus voir l'ombre de ma sœur, enlaçant mon père chaleureusement. Cette image m'arracha un sourire, tandis que la pluie continuait de tomber. Celle-ci représentait la haine et la tristesse que j'avais du monde. Tout en gardant les yeux levés vers le plafond gris, je fis quelques pas, avant d'entendre un grincement et un bruit sourd retentit près de moi. Je tournai la tête et aperçus des phares aveuglants foncer vers moi. Je n'eus pas peur, au contraire. Je souris d'avantage, en tendant gracieusement les bras à la mort : mon rêve allait se réaliser.


 
FIN

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