American prophet, de Paul Beatty
Coralie Bru
American Prophet, de Paul Beatty
Attention claque ! Grâce à ce billet vous devenez instantanément des V.I.P. mes poussins. Je ne veux rien de moins que le meilleur pour vous, et c’est toujours assez excitant de vous sortir une merveille d’un rayon.
La voilà donc : l’histoire de Gunnar, un leader illuminé et charismatique de la communauté afro-américaine. D’abord à Santa Monica, il a une vie plutôt tranquille avec sa mère qui l’élève seule, soutenue par une lignée d’ancêtres impertinents dont il raconte les histoires sans discontinuer à ses camarades de classe. Mais voilà qu’un jour, un déménagement qui parait accidentel les fait tomber dans un nouveau monde.
"Ma, t’as merdé grave, on est dans le ghetto!"
Gunnar s’y fait une joyeuse bande de potes à pantalons extra larges, à la gâchette facile et aux leçons de séduction douteuses. Il y découvre le basket, dans lequel il excelle tout de suite, et qui lui ouvrira de nombreuses portes et limitera sensiblement l’emmerdement de sa vie de jeune puceau issu des minorités. Il atterrit finalement à Boston, grâce à ses grands talents de “poète de la rue”, terme qu’il méprise, évidemment.
J’étais le Noir cool et marrant. A Santa Monica, comme dans la plupart des refuges à majorité blanche préservés des fléaux urbains, “Noir cool et marrant” est un identifiant passe-partout servant à distinguer l’homme de couleur inoffensif du jeune de race blanche sans avoir à quitter la sémiotique du politiquement correct. Si quelqu’un préparait une fête d’anniversaire, systématiquement les invités potentiels voulaient savoir qui viendrait. Ce qui donnait :
"Qui sera là ?
-Shaun, Lance, Gunnar…
-Gunnar, c’est qui celui-là ?
-Tu sais bien, le Noir cool et marrant.”
Beatty nous fait dévaler toutes les pentes de la vie mouvementée de Gunnar en chargeant le caddie de tout ce qu’il trouve pour nous aider à vivre les scènes . En deux mots, le détail qui fait mouche est balancé dans un style hyper-ciselé. L’inventivité de son langage sublime tout le roman. N’importe quel personnage qui croise la trajectoire de Gunnar se déploie comme un pop-up sur le béton.
Souvent acide sur la position des noirs et des minorités dans la société américaine, la plupart du temps hilarant, le roman ne se refuse rien, aucune excentricité, avec, à chaque fois, des tirs à trois points pile dans le panier.
Jungle dense en plein cœur de la zone, Reynier Park aurait bien mérité l’attention d’une entreprise brésilienne de déforestation. Impossible sans machette de s’y frayer un passage jusqu’à l’aire de jeu. Et dans le bac à sable, terrain de prolifération du typhus et du tétanos, le rapport grains de sable et douilles-débris de verre était de un pour quatre.
La lecture est très facile, ça coule comme un morceau de jazz qu’affectionne le meilleur ami de Gunnar, avec le même relief et les même surprises à chaque page.
Le bouquin mérite vraiment la bonne presse qu’il a en cette rentrée littéraire et sa bonne position sur les tables des librairies un peu partout, dix ans après sa sortie aux Etats-Unis.
Pour vous le procurer, c’est par ici par exemple
American Prophet, de Paul Beatty, chez Passage du Nord-Ouest, traduit de l’anglais (américain) par Nathalie Bru, prix éditeur TTC : 21 euros. Date de parution : 05/09/2013, Nb de pages : 346, Titre original : The White Boy Shuffle