Amour silencieux

ellyn

Jeudi midi, 13h09. Le lycée entier semble s’être regroupé dans la cantine de l’établissement. Il y règne un bruit assourdissant, un brouhaha de discussion, une tempête de voix. Les corps se mélangent, se frôlent et se rencontrent dans l’espace contigüe de la file d’attente. Mais Callie n’a d’yeux que pour une personne…

Assise à une table du fond, de celles qui permettent l’observation de la salle entière, la jeune fille semble attendre. Pourtant, toutes ses amies sont là. Lucie,  Noémie, Manon et Léa, il n’en manque pas une seule. Et sa fourchette reste là, au bord de son assiette intacte, et ses bras ne bougent pas posés sur ses genoux. Ce midi non plus elle ne mangera pas, ce qui n’est en soi pas un drame et ne changera guère de d’habitude. De toute manière, son ventre noué ne le lui permettrait pas.

« Tu manges pas ? »

Bien sur, Léa est là pour le lui faire remarquer. Qu’importe.

«  Tu sais que j’aime pas les frites. Et le caoutchouc c’est pas ce qu’il y a de meilleur pour la santé. »

Un brin d’humour, des yeux au ciel et un sourire. Si simple. Cela ne suffit pas à la berner mais elle comprends qu’il ne vaut mieux pas discuter. Pas devant les autres. Elle la laisse donc et reprends une conversation animée avec le groupe. Merci, ce seul mot empli l’esprit de Callie. Elle ne le dira pas, mais se contente de le penser fort, très fort.  Puis, après avoir fait mine de s’intéresser au débat, ses yeux glissent naturellement vers la file. Jonathan. Il est si beau. Pensez le contraire si vous le voulez mais elle ne pourrait changer d’avis, il est de loin le plus beau garçon du lycée. Lucie se moquerait surement à l’entendre, et Manon en profiterait pour la faire rougir. Cette pensée la fait sourire, elles se connaissent si bien. Pourtant, il n’y en qu’une à même de la comprendre. Oui, Léa sait. Elle sait ce qu’est cette chamade désordonnée que bat le cœur dès qu’il apparait puis ce sentiment de manque dès qu’il s’en va, ce ventre noué lorsqu’il se tient à proximité et cette envie de pleurer lorsque l’on estime nos chances.  "Il me regarde " Cette pensée chamboule tout, une avalanche de sentiment s’abat sur son esprit tandis que son cœur manque un battement. Elle ne peut se détacher de ses yeux marrons, se fige, se tétanise. Il la regarde. Il se détourne.

Un coup de coude la ramène brusquement à la réalité. Léa hausse les sourcils, deux fois, et son regard en coin est sans équivoque. Callie ne peut s’empêcher de rougir, ce qui n’est pas sans déplaire aux filles. Fou rire. Et aucun d’entre elles ne les voit, les larmes qui inondent ses yeux. Si elles savaient… Si elles savaient ce que cela était douloureux de les voir rire, d’imaginer leurs voix affirmer que c’est signe, qu’il n’est pas indifférent et de devoir se faire violence pour ne pas les croire. Parce que ce ne peut être vrai, la vie n’est pas un rêve où espérer suffit à obtenir, ni un conte où le prince aborde la princesse. Non, la vie est injuste, elle garde jalousement nos envies et détruit nos espoirs, la vie ne ressemble guère à ce long fleuve tranquille.

Et le repas suit son cours. Pour rassurer ses amies, Callie grignote un morceau de pain, ne cessant cependant ses coups d’œil rapides. Il est à l’autre bout de la salle, parfois dissimulés par des inconnus, et mange tranquillement. Innocemment. Lorsqu’elles sortent enfin, après avoir déterminé si Maxime était ou non mignon, Jonathan les a depuis longtemps précédées. D’un commun accord elles sortent de l’établissement, Noémie a besoin d’un paquet de chewing-gum mais surtout Maxime est devant le lycée. Elles passeront donc surement en gloussant, comme seule les filles savent le faire, et se dirigeront tête haute à la supérette d’en face. Callie aussi rira, mais cela sonnera faux… Quelle importance de toute façon ? Et puis, cette virée représente pour elle une occasion d’acheter du chocolat, son meilleur ami ces derniers temps.

Pourtant, les abords du bahut lui réservent une surprise. En effet, Jonathan est là, nonchalamment adossé à un mur. Son cœur se serre, elle rit, Maxime est de l’autre côté. Discrètement elle accélère le pas, prenant les devant de la virée. A peine s’est-elle engagée sur la route qu’un bruit aigüe retentit à ses oreilles. Il y a un choc, puis la douleur. Et le noir. Rien que le noir.

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