Andonios

Benjamin Angelik

L'éruption de Pompéi racontée par Andonios, un gladiateur grec

La colère du Vésuve racontée par Andonios, un gladiateur grec


-23 août 79

Je me levai comme tous les jours à l'aube, dans le Ludus. Je partis dans la salle à manger pour prendre un maigre jentaculum. Un peu de pain sec, un peu de raisin. Pas plus. Je croisai Ahmès, un autre gladiateur. Son nom signifie "le né de la lune" en égyptien car il est né la nuit. Nous avons grandi dans l'école de gladiateurs ensemble ; il a été enlevé par des Romains alors que son village brûlait.

-Ave Ahmès !

-Ave Andonios !

Nous étions devenus amis car, ne parlant pas le latin nous devions tous les deux l'apprendre intégralement.

Ericus entra à son tour. Il ne nous salua pas.

C'était un autre gladiateur, un galérien, un survivant. Peu sociable, il restait souvent seul.

Nous nous fîmes masser, puis nous nous entraînâmes. Nous fîmes attention à ne pas trop nous fatiguer : nous devions faire bon nombre de combats d'exhibition tout à l'heure.

Nous sortîmes afin de prendre l'air et pour voir nos futurs spectateurs. Les hommes nous saluaient, les jeunes femmes riaient, et les enfants nous regardaient, admiratifs, comme s'ils nous prenaient pour des dieux. Nous étions très populaires. Ahmès me montra, amusé, une inscription : Ahmès le bel égyptien fait tourner la tête de la fille de Felix Verus.

Nous rentrâmes de bonne humeur à la caserne.


Dès notre arrivée à l'arène, la foule nous acclama car mon laniste était célèbre pour ses gladiateurs d'exception.

Les combats commencèrent par des provocator, des débutants. Ces gladiateurs de bas niveau ne faisaient qu'ajouter à l'impatience des spectateurs à voir des combats de meilleure qualité. Lorsque les premiers combats de gladiateurs de haut niveau commencèrent, le contraste était saisissant. Les lames s'entrechoquaient avec violence et les combats devinrent bien plus complexes. Ahmès humilia son adversaire, un gladiateur qui appartenait à un dénommé Vopiscus, un des nombreux rivaux de mon maître. Je me préparai à combattre Tritannus, un autre gladiateur de ce laniste.

Je mis mon armure, pris mon trident et mon filet puis fis une prière :

-Poséidon, je porte une armure qui est inspirée par ta grandeur divine. Je ne vaux pas mieux qu'un pêcheur, mais aide moi à gagner ma liberté, je t'en prie !

J'entrai dans l'arène sous les acclamations des spectateurs en marchant d'un pas vif vers le centre. Les trompettes indiquant le début du combat retentit. J'observai son armure puis en déduisis que c'était un mirmillon. Je plaçai les premières attaques. Je m'investissais à fond dans ce combat, si bien que je le remportai. Mon maître, pourtant avare en compliment, me félicita. Ahmès, les autres gladiateurs et même Ericus lancèrent des regards moqueurs au vaincu. Vopiscus fulminait. Il hurlait des ordres aux vaincus et lançait des regards courroucés à ceux qui voulaient le contredire. Ericus retourna le couteau dans la plaie en vainquant un de ses autres gladiateurs en un temps record. Le public nous acclamait et huait Vopiscus. Mon laniste était fendu d'un sourire jusqu'aux oreilles. Radieux, nous enchaînions les victoires, ce qui rendait mon laniste heureux. Ce soir, nous pourrions sûrement nous détendre en nous faisant masser ou en nous baignant.


Nous quittâmes l'arène dans un esprit de bonne humeur collective, ce qui était rare dans la vie de gladiateur. Comme prévu, nous pûmes nous détendre, mais notre maître, dont la bonne humeur n'avait plus de limite, nous fit préparer un véritable festin de viandes grillées pour la cène et le vin coula à flot.

Nous rejoignîmes ensuite les chambres communes puis sombrâmes dans le sommeil, la fatigue et le vin aidant.


Le lendemain... Le 24 août 79

Le laniste nous avait autorisé à nous lever à huit heures. J'avais l'agréable sensation de m'être levé un jour de chance. Notre maître était resté joyeux. Je priai alors pour qu'il reste quelques jours encore de bonne humeur, avant de redevenir l'homme courroucé, autoritaire et désagréable que nous connaissions. Seul Ericus n'avait pas gardé sa bonne humeur d'hier et, fidèle à lui même, mangeait seul d'un air vide. Nous dûmes quand même nous entraîner jusqu'à midi. Nous passâmes donc la plus grande partie de notre matinée à nous combattre avec des épées et des boucliers de bois. Vers midi nous rejoignîmes la salle à manger pour prendre un prandium. Nous regagnâmes ensuite les chambres afin d'éviter les heures les plus chaudes de la journée.

C'est à partir de là que les événements sortirent de l'ordinaire.

Alors que nous nous reposions dans notre chambre, le sol se mit à trembler et les objets en hauteur à tomber. Je rattrapai in extremis une pièce de mon armure qui allait tomber sur la tête d'un autre gladiateur. Ahmès fut le premier à remarquer l'activité inhabituelle de la montagne :

-De la fumée sort du mont Vésuve !

Nous nous pressâmes devant la fenêtre afin d'observer le panache de fumée, puis nous partîmes en courant vers la salle à manger, où tout le monde était déjà rassemblé. Même notre maître, d'habitude inflexible, avait l'air paniqué.

-Pensez vous que c'est une démonstration de la colère des dieux ?

-Sûrement, sûrement... Leur but est de nous effrayer, et pas de nous tuer !

La fumée, jusque là grise, devint noire. Les vibrations se firent de plus en plus fortes et les tuiles des toits des maisons tombaient en une pluie incessante. Un passant sorti observer le phénomène se fit assommer par une tuile de sa propre maison.

Des pierres ponces se mirent à pleuvoir et un étalage de bois fut détruit en moins d'une minute. Nous sortîmes dans la cour en nous protégeant avec nos boucliers.

Une fois dans la petite maison où nous rangions nos armes, Ahmès soupira :

-Mon bouclier est trop cabossé pour être réutilisable !

Gracchus, notre manicherius, lui répondit :

-Je te le remettrais à neuf !

Les provocator étaient équipés de boucliers en bois qui se détruisait petit à petit, deux d'entre eux se trouvaient déjà sérieusement blessés à cause des pierres.

Des nuages de cendre commencèrent à sortir du Vésuve. Nous nous concertâmes puis prîmes une décision : nous n'avions pas le choix, nous devions fuir sous les pierres ponces. Nous sortîmes protégés d'armures, soit les nôtres, soit des armures de rechange pour ceux qui n'en avaient pas.

Soudain, une énorme pierre ponce frappa mon maître de plein fouet qui avait préféré donner son casque à un citoyen qui risquait sa vie en transportant sa femme inerte sous cette pluie infernale. Nous l'abritâmes sous une domus d'un certain Helvius Vestalis. Trop tard : notre maître était bel et bien mort. Ensuite, les événements se gâtèrent : le mont Vésuve redoublait de puissance et nous nous séparâmes :

Certains furent heureux de la mort de notre maître et s'enfuirent avant que l'on puisse dire quoi que ce soit. D'autres prirent la décision de se réfugier dans un endroit couvert afin «de se mettre à l'abri» mais, trompés par le poids des pierres, légères, mais nombreuses, ils couraient vers la mort !

Nous ne fîmes plus qu'une poignée à être restés, et nous devions agir avant qu'il soit trop tard. Nous décidâmes alors de partir en bateau. La mer restait alors notre seule chance de salut.


Nous quittâmes la villa puis nous courûmes parmi les rues, comme la rue de l'abondance, parmi des foules effrayées, des cadavres solitaires et des panaches de fumée, quand tout à coup un air, irrespirable, sentant l'œuf pourri, envahit nos poumons. Nous nous réfugiâmes dans la première domus à notre portée et le propriétaire de la maison ne dit rien, il n'eut pas l'air étonné car il était trop occupé à combattre cette puanteur insoutenable qui s'ajoutait aux effluves de sang. Une fois la puanteur passée, nous repartîmes sans même dire un mot à l'homme qui nous avait hébergé, aussi court cela fût-il.


Nous arrivâmes enfin à bon port, sans mauvais jeu de mots, puis nous prîmes un bateau de pêche abandonné mais nos efforts ne servîmes à rien :

Des pierres ponces flottantes interdisaient le rivage.


Nous cherchâmes un endroit où nous reposer, et nous avions très soif. L'air asséchait nos gorges. Ahmès trouva une caupona, désertée par son propriétaire où nous pouvions nous désaltérer.

Nous nous réfugiâmes alors une bonne heure dans cet endroit. En sortant, nous dûmes déblayer le chemin afin de pouvoir repartir.

Je ressentis alors la peur, ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps.

Un énorme nuage noir descendait extrêmement rapidement vers Herculanum et c'était effrayant. Je me sentais cependant soulagé que le nuage ne vienne pas vers Pompéi. Nous étions non loin de l'amphithéâtre et nous nous y rendîmes. Le lieu était désert, du moins c'est ce que je pensais jusqu'à ce qu'un homme de haute stature (sûrement un athlète ou un légionnaire) nous interpella.

-Hé ! Qui êtes vous ?

-Nous sommes des gladiateurs et un manicherius mais... peu importe. Mais toi, qui es tu ? Et que fais-tu là ?

-Je me nomme Maximus Titus Lucius, et je suis aurige. Je reste ici car l'amphithéâtre est suffisamment solide pour résister et je ne sais pas quoi faire.

Gracchus bondit, comme illuminé.

-Tu es conducteur de char ? As-tu encore ton attelage ?

-Malheureusement, un de mes chevaux est mort, asphyxié.

-Ne sais-tu pas où trouver un autre cheval ?

-Qu'as-tu en tête ?

-Nous pourrions partir en char ! Si nous partons maintenant, on peut encore avoir une chance de nous sauver ! Les pierres ponces n'encombrent pas encore totalement les voies !

-Désolé, mais on ne peut aller qu'à deux sur un char, et là nous sommes cinq !

-Tu es sûr que tu ne pourrais pas récupérer un char et des chevaux ?

-Je peux aller voir chez mon ami Valentinus, qui est lui aussi aurige.


Nous nous mîmes en route vers la villa du fameux Valentinus, quand Gracchus tomba soudainement en se tenant la gorge. Ahmès tenta vainement de le sauver, mais il suffoquait. Ses yeux se révulsèrent et sa poitrine arrêta de se soulever. Le Vésuve cracha des cendres et des braises qui déclarèrent des incendies. Nous arrivâmes chez Valentinus mais il était parti. Ses chevaux et son char étaient dans les écuries et nous ramenâmes ce qui ressemblait le plus à un don des dieux à l'amphithéâtre. Cette partie de la ville, en contrebas, n'était pas touchée par les flammes.


Nous pûmes atteler les deux chars et nous allions partir lorsqu'une question posée par Ahmès brisa nos espoirs de fuite.

-Maximus conduira son char, mais qui conduira l'autre char ? Nous en savons pas conduire !

Pour la première fois depuis des heures, Ericus prit la parole.

-J'étais aurige avant d'être parti aux galères. Je le conduirai.

Je pris place sur le char de Maximus, et nous partîmes, mais nous dûmes déblayer plusieurs fois des voies étroites. Les pierres ponces nous chahutaient et Ahmès tomba du char, avec plus de peur que de mal. Quelques minutes après notre départ, les premiers incendies se déclarèrent non loin de l'amphithéâtre.


Nous arrivâmes à Nuceria et nous nous installâmes dans un thermopolium. Je regardai la ville de la fenêtre de ma chambre quand je vis Pompéi en contrebas. Le paysage était dévasté et un épais nuage noir entourait les environs de Pompéi. Herculanum était complètement calcinée. Ce nuage noir l'avait brûlée et détruite.

J'étais heureux d'avoir gardé mon meilleur ami, Ahmès et Ericus était devenu plus bavard mais appréciait sa solitude. Maximus était heureux de nous avoir rencontrés car il serait mort sans nous, et nous priions pour qu Gracchus aille aux Champs Élysées reposer en paix car son idée ingénieuse nous avait permit de nous en sortir.

Je ne parvins pas à trouver réellement le sommeil, hanté par les images de mon maître ou de Gracchus morts. Vers six heures du matin je sortis observer Pompéi et je vis alors ce qui me faisait le plus peur au monde :


Un nuage noir dévalait vers Pompéi.

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