Angel & Marie - Chapitre 3
Valérie Bel
3 - Amertume
Quand elle poussa la porte du café, elle vit Angel assis seul à une table, qui manifestement l'attendait. Il l'accueillit avec un sourire lumineux.
- Bonjour, Marie.
- Bonjour, Angel.
Elle n'osait pas lui faire deux bises comme à un copain. Il était autre chose. Un étranger si familier. Un inconnu si intime. Elle choisit de simplement s'assoir à ses côtés.
- Angel, je voulais te dire merci pour …
- Je n'ai fait que mon job.
- Ton job ?
- Je veux dire, je n'ai fait que mon devoir. Tu n'as pas besoin de me remercier.
- C'est quoi d'ailleurs ton job ? Tu travailles ou tu es étudiant ? osa demander Marie, curieuse d'en savoir plus sur son mystérieux sauveur.
- Je suis chargé de missions.
- De missions ? Tu travailles pour qui ?
- Pour un grand patron.
- Et elles consistent en quoi, tes missions ?
- Ce sont des missions dont je ne peux pas parler.
- Ah… Ce sont des missions … secrètes ? Tu es une sorte d'agent secret ? poursuivit Marie, plutôt amusée par ce dialogue qui prenait une tournure irréaliste.
- Disons que si je te répondais oui, je serais un agent qui n'aurait plus rien de secret.
- Tes missions sont dangereuses ou pas ?
- Pour moi, non.
- C'est pour tes missions que tu as développé une telle force ?
- Ça peut servir.
- C'est quel genre de missions ?
- Marie, je ne peux te répondre. Je m'occupe de gens. De gens mauvais.
- De gens mauvais ? Tu fais quoi avec ?
- Marie, fin des questions, souffla Angel avec son index gauche devant sa bouche en signe de « chut ! ».
Marie aperçut de nouveau son alliance. Elle, qui d'ordinaire était réservée et discrète, ne put s'empêcher de demander :
- Tu portes une alliance, tu es marié ?
- Pour certaines de mes missions, oui.
- Pour certaines de tes missions ???
- Marie, je sais que tu aimerais en savoir beaucoup plus sur moi. Mais ce n'est pas possible. Je sais aussi que tu me fais confiance et tu as raison. Tu peux me faire entièrement confiance, je serai toujours là pour toi.
Marie était décontenancée. Partagée entre toutes les questions qu'elle aurait voulu poser et la certitude qu'elle faisait une absolue confiance à cet homme. Elle était la fois perturbée et apaisée par le sens à donner à son « je serai toujours là pour toi ». Que voulait-il dire par là ? Elle n'en savait rien mais elle sentait que c'était une pure vérité.
Sophie arriva, malheureusement trop ponctuelle au goût de Marie ce jour-là. Quand elle poussa la porte, elle marqua un temps d'arrêt, manifestement surprise de voir de nouveau Angel et Marie ensemble. Puis elle s'avança et vint faire la bise à chacun. Elle s'assit à côté d'Angel.
- Je ne savais pas que je vous trouverais ensemble, entama-t-elle.
- Je vais bientôt vous laisser. Sandra va arriver, répondit Angel.
Marie se surprit à être piquée au vif. Elle ne comprenait pas comment un garçon empli d'une telle gentillesse pouvait traîner avec une fille aussi agressive que Sandra. Peut-être l'attirance des contraires, se dit-elle. Elle réalisa que cette idée d'une attirance entre Angel et Sandra ne la laissait pas du tout indifférente. Etait-elle jalouse ? Elle refusait de se l'avouer. Pourtant, même Sophie, sa meilleure amie, parce qu'elle semblait déployer le grand jeu de la séduction auprès d'Angel, l'agaçait prodigieusement.
- Oh comme c'est dommage Angel ! Je viens juste d'arriver. J'aurais bien aimé profiter un peu de ta présence, protesta Sophie.
- Une autre fois, lui répondit doucement Angel.
- D'accord, une autre fois. Tu me le promets ? dit Sophie en faisant passer ses longs cheveux bruns d'un côté à l'autre de son visage.
- Promis.
Angel se leva, leur glissa un « A plus tard ». Il ouvrit la porte et au même moment Sandra entra. Aussitôt celle-ci se jeta sur Angel et l'embrassa goulûment sans aucune retenue. Marie détourna et baissa la tête. Quand elle la releva, ils étaient assis deux tables plus loin. Sandra se tenait à califourchon sur Angel qu'elle entreprenait avec frénésie et sans pudeur. Cette vision renforça le malaise de Marie. D'autant que Sophie avait démarré son interrogatoire et la mitraillait de questions :
- Alors raconte ! Qu'est-ce qui s'est passé hier ? Et après le cinéma, il t'a raccompagnée, et ? Il t'a embrassée ? Allez, dis-moi ! chuchota Sophie pour ne pas être entendue d'Angel.
Marie lui raconta. La mauvaise rencontre, l'agression, le sauvetage. Elle lui parla de la force et de la délicatesse d'Angel, de la façon dont il l'avait profondément calmée. Elle lui confia combien elle s'était sentie incroyablement bien dans ses bras. Elle fut interrompue par Sandra qu'elle entendit dire à Angel :
- Allez, viens chez moi, il n'y a personne. Viens !
Angel semblait réticent :
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
Sandra ne désarmait pas :
- Moi je suis sûre que c'est une excellente idée.
Marie vit alors que, pour arriver à ses fins, Sandra mit sa main sur la partie enflée du pantalon d'Angel et le caressa à travers le cuir.
- Allez viens ! reprit Sandra en se levant et en tirant Angel par la main.
Angel se leva et la suivit, mais sans entrain. Il sembla même à Marie qu'elle décelait une certaine tristesse chez lui. Elle capta son regard. La même tristesse qu'elle y avait lue la veille du décès d'Elodie quand celle-ci l'avait embrassé voracement. Mais pourquoi diable un garçon serait-il triste alors même qu'il obtenait ce que tout chez lui semblait avoir concouru à provoquer ? En pareille situation, les hommes avaient plutôt tendance à se gargariser et à rouler des mécaniques, non ? Décidément, ce garçon l'intriguait : il était plus sexy que la plupart, plus mystérieux qu'aucun, capable de passer de la force la plus maîtrisée à la délicatesse la plus attentionnée ; mais il traînait avec des filles davantage connues pour leur capacité de nuisance que pour une quelconque trace de gentillesse, dont elles semblaient absolument dépourvues, alors que lui – Marie le savait – en regorgeait. Il débordait de séduction, mais il se montrait réticent dès que celle-ci produisait son plein effet.
Son départ avec Sandra affecta passablement Marie. Son humeur vira d'un coup au maussade. Elle n'avait plus qu'une envie : aller se terrer au fond de sa chambre. D'autant que Sophie la soûlait comme jamais :
- T'as entendu ? Il m'a promis un rendez-vous ! Marie, Beau Brun m'a promis un rendez-vous ! Tu te rends compte !? Je peux te dire que cette salope de Sandra n'a qu'à bien s'accrocher, car je ne laisserai pas passer ma chance ! Ce mec est tellement sexy ! Tu ne trouves pas ? Il est tellement beau ! Et je vais le revoir, il me l'a promis ! Tu te rends compte ? Eh Marie tu m'écoutes ?
- Non … si … mais j'ai mal à la tête, je vais rentrer.
- Et moi, je fais quoi ? Tu me plantes là comme ça ?
- Je ne me sens pas très bien…
- T'es pas cool, C'est la deuxième fois que tu me plantes au café comme ça. Déjà l'autre jour… Mais j'y pense, c'était déjà quand il y avait Beau brun ! Tu es fâchée ! Tu es fâchée à cause de lui ! Tu es jalouse parce qu'il m'a promis un rendez-vous ! C'est ça, hein ?!
- Je ne vois pas pourquoi je serais jalouse parce que tu lui as arraché la promesse que vous vous reverriez.
- Je ne lui ai rien « arraché » du tout ! Mais qu'est-ce que tu crois ? Que parce qu'il t'a sauvée d'un guêpier dans lequel tu t'es fourrée hier, il t'appartient ? Laisse-moi te dire que pour l'instant il a plutôt l'air d'appartenir à Sandra ! Alors laisse tomber tes grands airs !
- Tu dis n'importe quoi, j'y vais, ciao !
Marie se leva et sortit du café. Elle ne reconnaissait plus son amie. Certes celle-ci n'avait jamais eu la langue dans sa poche et pouvait être cinglante dans ses propos, mais c'était la première fois qu'elle l'était ainsi avec elle. Le bel Angel déchaînait les passions ! Il mettait à jour un aspect de la personnalité de Sophie qu'elle ne soupçonnait pas. Déjà l'autre jour, quand celle-ci lui avait asséné son « t'es pas son style », elle avait été surprise par la vivacité de la réaction de son amie. Elle avait cru sentir une certaine agressivité chez Sophie, même si, dans l'après-coup, elle s'en était voulu de prêter de si mauvais sentiments à sa meilleure amie. Mais aujourd'hui, le doute n'était plus permis. Sophie avait sorti les griffes. Cependant, ce n'était pas cela qui la peinait le plus. Non, ce qui la heurtait, c'était que, si les rôles avaient été inversés, si elle avait vu un garçon tenir la main de Sophie la veille au cinéma, jamais elle n'aurait tenté de l'allumer comme elle avait vu Sophie essayer de le faire aujourd'hui avec Angel. Elle aurait laissé toutes ses chances à son amie, sans interférer. La conduite de Sophie lui laissait un amer goût de trahison.
Rentrée chez elle et réfugiée dans sa chambre, elle se mit à pleurer. A cause de Sophie et de son comportement peu digne de leur vieille amitié ; à cause d'Angel, qui l'avait tenue toute la soirée dans ses bras la veille et qui aujourd'hui devait être en train de coucher avec une fille peu recommandable.