Angélique
kim
Angélique était la seule femme de la brigade. Elle travaillait chez Paul depuis 5 ans et connaissait le métier sur le bout des ongles avec en plus toutes les ficelles qui permettaient de gagner facilement des pourboires.
Dans l’ensemble, toute la brigade magouillait.
Jorgi avait automatisé toutes les tireuses de bière, les tiroirs à boissons et les machines à café. Pour faire fonctionné tout ça, chaque serveur devait se badger s’il voulait servir un martini. Mais comme chaque système à ses failles, il avait pas fallu longtemps pour qu'’un petit vicieux trouve la combine pour attraper la bouteille de pernod sans demander l’avis du système et cela au sens propre comme au figuré, parce que c’était bien pareil.
En pratique, le serveur apportait la note et dessus il manquait toujours les cafés, l’apéro ou le champagne surtout en fin d’année. Le serveur prétextait alors un mauvais fonctionnement du logiciel de caisse et se faisait régler en liquide les boissons oubliées. Les plus vicieux poussaient la combine jusqu’à se plaindre du système qui les freinait dans leur travail, que depuis 9 heures du matin ils étaient au turbin et qu'y en avait marre de bosser avec du matériel obsolète. Les clients ça leur réveillait le patriotisme, ça leur faisait une grosseur dans la poitrine et du bon côté, comme si leur cœur était bien assez gros pour la compassion mais jamais assez pour l’amour du pays, mamelle de toutes les guerres et des plus grandes famines. Et c’est par une bonne poignée de mains chaleureuse qu'il le remerciait le serveur, encore au boulot à 2 heures du matin, ça mettait une gêne en place, eux qui étaient là à se bâfrer pendant que d’autres gagnaient leur pitance. Et il le gratifiait d’un billet à deux chiffres en lui secouant la main :
- La France à besoin de gens comme vous, jeune homme !!!
- Oh oui ! Vous avez raison, merci Mssieurs, c’est bien aimable.
Angélique, donc, pratiquait la combine avec le plus grand naturelle en jouant de ses charmes auprès des solitaires mais aussi face aux hommes mariés. Et plus l’homme était marié plus Angélique redoublait d’attention, forçait le trait, tirait sur le décolleté et sur la jupe pour qu’elle soit assez haute. La rivalité féminine n’a pas de limites!!!!Elle savait rester sur la ligne jaune, elle débordait jamais et ça marchait plutôt bien. Les pourboires tombaient, les clients revenaient pour elle et quelques fois quand son mari partait en déplacement et que la nourrice faisait son boulot de nourrice, Angélique se faisait raccompagner.
Pour nous, Angélique, c’était un mec de la brigade comme tous les autres, aucune différence. J’veux dire par- là qu’elle trimait comme nous avec la même énergie et en cela avait gagné le respect de tous. Chaque fois qu’elle repartait avec un client, elle avait droit à nos blagues idiotes : « Et ange !!! Celui- là c’est l’homme qui valait 10 minutes ». Angélique se marrait avec nous et ne se cachait de rien, il n’y avait aucune animosité dans les rapports. Une femme honnête en un sens. Tout ça faisait partie d’une normalité au même titre qu’un serveur qui serait partie avec une cliente. Mais dans la brigade tous les hommes n’étaient pas prêts à accepter Angélique pour ce qu’elle était : un homme de la brigade, une femme libre qui se sentait seule. Pour certains, elle était bien une femme et juste une femme ; et une femme ça se laissait regarder, ça se faisait baiser, ça se laissait traiter de salope et ça fermait sa gueule.
Mourad qui faisait la vaisselle des verres dans les coursives pouvait pas s’empêcher de la traiter à toutes les sauces.
- Regarde là bouger son cul celle- là.
- Arrête Mourad tu dérives.
- Pourquoi ??? C’est une pute, elle couche avec tout le monde et quand elle rentre chez elle, elle embrasse ses enfants.
- Tu dits ça, mais tu te la ferais bien, pas vrai ?
- Bien sûr, comme tout le monde, c’est une pute gratuite AH ! AH ! AH !
- Et toi, Mourad, quand tu vois un cul qui te plait et que tu fais tout pour le toucher, je crois que ça fait aussi de toi une pute.
- Mais moi, c’est pas pareil, j’suis un homme, j’ai le droit de baiser qui je veux.
- Et de rentrer chez toi embrasser tes enfants et ta femme.
Quand les soirées étaient calmes, on donnait un coup de main aux commis à la buanderie. Jorgie avait tellement peur de se faire arnaquer qu’il nous demandait de faire des nœuds à toutes les serviettes de tables pour être sûr qu’elles seraient bien lavées. Si par mal chance, on en retrouvait une encore avec son nœud quand on se faisait livrer, Jorgie obtenait une ristourne carabinée et changeait de fournisseur. C’est bien simple, quand le livreur du linge de table arrivait, il longeait les murs
On était dans la buanderie avec Angélique. On faisait des nœuds et on parlait et Angélique en faisant ses nœuds regardait les miens et me regardait moi.
- Tu sais, j’crois que j’ai fait une erreur avec mon mari.
- Quand on parle d’erreur, en général, c’est déjà trop tard.
- T’es marié ?
- Ouai.
- Elle a de la chance alors.
- T’en sais rien, tu me connais pas.
- Une femme sait ce genre de choses.
- Quelles choses ?
- Le genre de choses que ressent une femme quand un homme lui plait. Quand je te vois. …
- En train de faire des nœuds à des serviettes dans lesquelles la moitié de la ville a bavé dedans, tu te dis….
- Je me dis que si tu me prenais contre toi, je dirais rien et je me laisserai faire.
Angélique s’était rapprochée de moi avec sa serviette dans les mains et me fixait d’en bas avec ses yeux de siamois.
- Du calme Ange, arrête de mettre le feu, j’suis marié et toi aussi.
- J’aime pas mon mari et puis il est jamais là.
- Qu’est- ce que t’attends, divorce, change de numéro.
- J’ai des gosses.
- Tu cherches un mari ou une nourrice.
- Ce que je veux, c’est un mari qui soit là pour moi pour s’occuper aussi des gosses et encore de moi.
- J’peux pas baiser avec toi Anges.
- Aller, vient ! Juste ce soir.
- J’suis l’homme de 10 minutes et ces minutes j’les donne qu’à ma femme.
- Tu sais pas ce que tu perds. Les autres sont moins philosophes que toi.
- Merde ! Ange remet toi dans les serviettes, je te baiserai pas !!!
Bobby est rentré juste à ce moment- là.
- Ça avance les serviettes ?
- La bave les freine que je lui dis.
- Tu fais de l’humour ?
- Non, je fais des nœuds.
Le lendemain ou le surlendemain, avec Justin, on avait chacun un ballot de serviettes à déposer dans la lingerie. La porte s’ouvrait pas, fermée à clef de l’intérieur.
- Qu’est- ce que c’est que ce merdier.
- Non laisse dit Justin. Pose par terre, devant, on reviendra plus tard.
- Mais pourquoi, c’est Ange et David aux serviettes.
- Ouai, justement, elle doit lui faire le coup du : « une femme sait ce genre de choses bla..bla..bla.. ».
- Putain ! Si David la baise ça prendra pas longtemps, il paraît que c’est la femme qui valait 10 minutes. Elle sait se rendre utile rapidement à ce qu’on dit.
- Ah ! Ah ! c’est une sacrée salope.
- Comme tu dis.
- Mais je l’aime bien quand même.