Angélisme
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" Ouais, t'as raison... Je suis bien nulle part.
Je ferais mieux de me faire sauter le caisson, mais j'ai pas envie de mourir, moi. J'ai envie de tuer tout le monde,c'est différent..."
Virginie Despentes
Angélique est un prénom qui me va comme un gant. Comme un peignoir. Comme un costume, ou une robe de mariée.
Angélique est un mensonge, l'être indispose de cette qualité.
Ainsi sont nées ces neuf lettres que je porte, mon héritage est une froide partie de baise. La procréation, ce n'est qu'un coup tiré dans le noir, et je mentirais si je disais que je me rappelle l'odeur de la sueur puisque je n'étais pas née.
Eux, après m'avoir affublée de ce prénom crasseux et merdique, s'en sont probablement retournés à leurs occupations vitales : fabriquer d'autres orphelins qui s'appelleront probablement Candide, ou Aimée, voire Ignoré s'ils s'osent.
On arrive au supplice de quatre jours sans sommeil, ou presque. C'est comme ça. C'est la vie. La ville américaine dans laquelle j'erre en montrant mes dents noirâtres ne semble me lasser pour rien au monde.
Je loge n'importe où, dernièrement c'était chez une drag-queen, sauf que son amant s'est laissé apercevoir la langue enfoncée dans l'œsophage d'une gamine pré pubère. Conséquence, quand je suis retournée chez elle, cette cinglée a tiré un coup de feu dans la porte, pensant que c'était son mec. Va chier, ai-je lancé en prenant mes clics et mes clacs, histoire de filer loin de cette future dépressive en talons et résilles.
Au bout de trois jours sans dormir, avec seulement deux beignets volés dans le ventre, mes yeux commencent à diverger, l'un vers la droite, l'autre vers la gauche.
Au bout de quatre jours sans bouger dans le hall d'un immeuble, la tête nichée dans un recoin aux odeurs de relent, je n'ai qu'à regarder défiler les paires de jambes new-yorkaises et lancer mon pied congelé contre les chiens à leur mémère qui viennent m'uriner dessus comme si je faisais parti du paysage.
Pas mal de camés ont déjà essayé de me dépouiller, détail sans importance. J'ai l'impression que ma cervelle se met à bouillir dans ce liquide, vous savez, celui où flotte justement une cervelle en temps normal, et lorsque je me décide à faire un tour dans la rue je repère des rats gros comme des chats, qui se volatilisent dans une bouche de métro avant même que je ne puisse écraser la pointe de mes godasses sur leur gueule. Faut bien vivre, comme dirait l'autre.
J'ai la tronche d'une de ces réfugiées qu'on voit dans les journaux qui traînent sur le pavé le matin, le pire c'est que ça plaît.
Certains disent qu'ils ne seraient pas capables de survivre s'ils n'avaient plus rien et préféreraient se jeter d'un building. Rien ne me dérange personnellement, pas même suivre ce vieux croûton jusqu'à un resto paumé où il me payera un bol d'eau glaireuse parsemé de patates pourries. J'ai même pu tirer sur son cigare, ce qui me confirme dans l'idée que je ne suis pas prête de me mettre à fumer. Il a fini par me traîner jusqu'à son appart miteux, complètement en transe, se couchant sur moi en faisant tout un cinéma. Bon tu te magnes, avais-je envie de dire, mais rien qu'à l'idée, la soupe de ce soir me remontait jusqu'à la gorge. Ses bras ont écrasé ma petite tête tandis qu'il beuglait comme un âne en phase d'égorgement. S'en fut terminé, il s'est à peine donné le luxe de me jeter dehors en oubliant de me rendre la moitié de mes vêtements. De toute façon, je n'aurai pas pu les remettre, il n'en restait que des miettes.
Si on me proposait de quitter ce pays pour ne jamais y revenir, ni le revoir en film, ou en rêve, je dirais non.
J'aime l'idée de ne pas avoir de but dans la vie.
Et sérieusement, les idées qu'on se fait sur le bonheur, elles sont trop préfabriquées pour que quelque naïf y croie.
Ma devise ?
La liberté est une douleur permanente. Nulle personne ne peut s'estimer libre sans avoir perdu de son humanité dans la bataille.
Je mange lorsque je le peux, non pas quand je le veux. On me baise pour que je survive. Si l'on m'attaque, je dois me battre, ou fuir. Nulle règle ne m'entoure, j'évolue, et la nature dira si je resterai ou partirai. Un peu comme un animal, me direz-vous.
Mais au moins –moi - lorsque je m'endors, je ne peux en vouloir qu'à moi-même.
- Nouvelle - 2009 -