Anhoky

Fabrice Bergès

« La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent, mais c’est de les affronter. »

Dans le comté de Pinellas, le ciel était bleu, aucun nuage, juste des températures de saison. Les paroissiens y voyaient un miracle, pour les autres un bon présage. Les barbecues étaient de sortie, ils fumaient sur les pelouses et les enfants pataugeaient dans la piscine. Le week-end, le maire encourageait ses administrés à sortir et profiter de la plage jusqu'à très tard le soir et de ne rentrer qu'à la dernière lueur du soleil. À l'entrée de la ville, comme mot de bienvenue, on pouvait lire sur un immense panneau un vieux dicton du coin : « La vie, ce n'est pas d'attendre que les orages passent, mais c'est de les affronter» Cela faisait vingt-sept ans qu'il n'en n'avait plus connu (le comté était réputé pour avoir les plus meurtriers du pays).

48 heures plus tard……

Communiqué du Laboratoire national des tempêtes, le 26 juin 2011 :

D'après les habitants de la petite ville de Sharetown, un violent orage s'était mystérieusement abattu le 24 juin 2011. Les pluies ne cessaient de tomber, bloquant toutes les routes principales et les vents violents provoquèrent la destruction de plusieurs lignes de haute tension, plongeant ainsi une partie de la ville dans le noir. Pour l'heure, les pertes étaient estimées à environ plus d'un million de dollars…

À l'autre bout de la ville, à la fenêtre de sa chambre, un vieil homme complétement détrempait, chétif, les cheveux grisonnants, la soixantaine bien passée regardait avec impuissance derrière ses lunettes rondes avec qu'elle facilité Anhoky (baptisé ainsi par la météo) broyait son séquoia tout juste centenaire, monsieur Bachman revenait tout juste de son jardin avec Sky, son chien. Posée sur sa table de chevet, une photo de son épouse venait s'appuyer contre sa vieille radio portable à pile, qui hurlait en boucle toutes les mesures de sécurité pour ce genre de catastrophe. Selon les spécialistes, ce phénomène atmosphérique était classé dans la catégorie super cellulaire, pour le commun des mortels, c'était du charabia, mais pas pour le vieil homme.

S'asseyant sur son lit (qui grinça sous le poids de ses vêtements mouillés), silencieux, peu expressive, il considéra l'annonce avec une attention toute particulière. Son visage changea, ses yeux se mirent à pleurer. Une attitude rare pour un homme de sa trempe (un ancien Navy SEALS).

 — Non… Non, songea-t-il (se tenant la tête des deux mains). Il regarda la photographie, puis son calme disparu. Il se leva, pris l'appareil et le jeta à terre. Le mauvais temps ne le dérangeait pas, tant qu'il ne s'agissait pas d'orage. Sa présence venait de stimuler sa mémoire et avec elle, un souvenir passé.

Après une brillante carrière militaire, pour autant de décoration, monsieur Bachman s'était reconverti dans la météorologie où là aussi, il fit un parcours remarquable qui l'amena à devenir responsable du département d'hydrologie opérationnelle au sein de L'O.M.M (organisation météorologique mondiale). Une fierté dont il faisait tout un pataquès à qui voulait bien l'entendre, sa vie gravitait uniquement autour de son travail, négligeant peu à peu sa vie de famille. Il n'avait pas le temps pour les remords, c'était pourtant cet abondant qui lui avait apporté la renommée et la reconnaissance de ses pères. La profession adore les chercheurs dépourvus d'âme et sans scrupule dans leur course effrénée du savoir. Mais secrètement, il visait un tout autre but : le poste d'expérimentateur.

Un soir, affalé dans le canapé du salon qu'il avait appris à modeler, Monsieur Bachman essayait de noyer la monotonie de son travail. Quand son portable vibra, nerveusement, il le fouilla dans une des poches de son Jean. Mais qui peut bien appeler à cette heure-là, rouspéta-t-il ?

Allô ?

— Monsieur Bachman, monsieur Pratt (son supérieur hiérarchique). Quelle rude journée nous avons eu ? Dans deux semaines, ce serait bien, que vous soyez en très grande forme.

Monsieur Bachman surpris. « Vous m'avez mal compris, Monsieur. Je vous ai dit tout à l'heure que j'avais absolument besoin de vacances.

— On sait tous les deux que ce n'est pas la seule raison, dit-il. Je suis au courant pour le département E (les expérimentateurs).

— Même si je pense que vous faites une grave erreur, on y participant, mais si c'est vraiment ce que vous voulez, eh bien vous avez mon accord.

Monsieur Bachman exécuta un « yes » du bras. « Mon ancien capitaine au SEAL me ferait pomper s'il voyait ça. Il vociférait toujours que la seule journée facile, c'était hier (notre devise).

— Alors, je vais en informer le responsable. Mais sachez une chose, après ça vous ne serez plus jamais le même.

— Cela ne me pose aucun problème, cette occasion, je ne la manquerais pour rien au monde. Je tiens à m'excuser encore pour ce matin (ils ont été venus aux mains).

— Excuses accepter, reprit son supérieur hiérarchique.

À la suite de ce coup de fil, Monsieur Bachman s'entraîna à raison de quatre heures par jour alternant le sport intensif et les questions de culture générale sous le regard discret de son épouse. Aucune place pour les distractions et encore moins avec sa femme. Il n'avait rien laissé au hasard (un marine, reste un marine). Le jour du recrutement, à huit heures tapantes, le responsable du département E, une paire de lunettes noires sur le nez, les tests dans une main, s'avança devant une centaine de candidats, entassé sur soixante-dix mètres carrés. Sourire froid, il regarda la pendule et commença à distribuer les copies.

« C'EST PARTI ! »

Une fois, le formulaire entre ses mains, Monsieur Bachman se jeta dessus et répondit « coup sur coup » à toutes les questions, plantait à ses côtés un type intransigeant, bien bâti, vêtu entièrement de noirs caractéristiques des expérimentateurs ne le quitta pas des yeux (chaque participant avait le siens). À l'issue de la matinée, la moitié des candidats furent éliminés. Le lendemain, les épreuves sportives se succédèrent. Les uns après les autres, dans la salle de sport, les aspirants enchaînèrent des centaines d'exercices différents sur une multitude de ces monstres de fer. Ce jour-là, un seul objectif occupa tous les esprits (en tout cas ceux des candidats) : réussir quoiqu'il arrive. Au fil des heures, qui s'écoulèrent comme dans un sablier, les corps accusèrent le coup, beaucoup se blessèrent, abandonnèrent, les uns après les autres, ils furent tous éliminés. À la fin de la journée, seul, restait Monsieur Bachman. A peine, il eut le temps de souffler, qu'on le jetât manu militari dans une autre salle à peine éclairée par un vieux néon. Au fond de cette lugubre pièce, un grand gaillard, le visage marqué, au corps imposant, le sourire en coin se dressait devant lui.

— Il ne reste plus que toi et moi avorton, voyant un peu ce que tu as dans le ventre, lança l'expérimentateur.

— Quoi ? reprit monsieur Bachman. Les yeux de l'expérimentateur devenaient subitement blancs, l'instant d'après, sans même le touchait, le dernier candidat était projeté violemment contre le mur par son assaillant.

L'expérimentateur sourit. Je vois qu'on ne t'a pas parlé du dernier test. Tout en s'adressant à l'ancien Navy SEAL.

Monsieur Bachman étonné. De quel dernier test, tu parles, qu'est-ce que tu es ?

— Je crains pour toi que ce ne soit la fin ou plus tôt le début, nargua l'expérimentateur. Il s'approche de Monsieur Bachman, des deux mains, il l'empoigne par la tête l'obligeant à le regarder dans les yeux, instantanément, il perd connaissance.

Le lendemain, seuls les jets d'eau incessants des gicleurs de l'arrosage automatique le réveillèrent, la tête complément lourd. Une migraine plus qu'un mal de tête l'agitait et un étrange bracelet avec des marques étrange ornée son poignet droit. Des épreuves qu'il avait subies, il n'en n'avait plus aucun souvenir. Ce matin-là, après la douche, vêtu seulement de son bas de jogging fétiche, son torse continuait d'émaner de la vapeur, il prit son café sous les yeux troublé de son épouse (elle fit tomber sa tasse par terre), Les Bachman n'avaient ni chauffe-eau électrique, ni chauffe-eau solaire. Un autre jour, conduisant sa vielle Jeep sur Adam Street, il se mit à fixer ses yeux à travers le rétroviseur intérieur, non pas pour leur couleur, mais pour comprendre. J'ai des fourmis dans le corps, pensa-t-il. Sans parler de ces maux de tête. Et subitement, ses yeux devinrent blancs. L'instant d'après, le soleil apparu, comprenant avec intérêt qu'il n'était plus lui-même.

Monsieur Bachman rentra chez lui fatiguait et effrayait d'avoir vécu un phénomène aussi étrange. Avant, de partager le repas pour la première fois avec son épouse (ils ne mangeaient jamais ensemble), il se confia. Elle remarqua avec attention qu'il ne plaisantait pas. Elle ne perdait pas une miette de la conversation, aucune, car cela était inespéré (pour son mari, elle faisait partie des meubles). Pour le voisinage, c'était invraisemblable, mais elle appréciait cet instant. C'était insensé, mais elle l'aimait. À quoi bon se plaindre de ce qui n'avait pas marché ? Pourquoi ne pas réessayer ?

Il la laissa monter à l'étage et s'endormit dans le canapé jusqu'à l'aube.

Très tôt, le matin, elle traversa le salon assez près pour l'entendre ronfler, jetant un bref coup d'œil sur le canapé. Ses yeux s'écarquillèrent quand elle vit qu'il était à demi-nu. Baissant la tête, elle rougissait comme une petite collégienne. Elle s'écarta du canapé puis elle s'éloigna, s'éloigna de plus en plus. Elle était assez proche de l'escalier pour commencer à le monter. Son mari l'entendit, même à travers son rêve, inspirant bruyamment l'air dans ses poumons. Il la regardait, elle, mais pas les faibles pas, ni les forces qu'ils l'abandonnèrent, ni son physique. Il ne savait plus à quel moment son mariage avait foirer. Du haut des escaliers, elle le regarda. Ce fut l'effort de trop. Sa tête commença à tourner et elle s'effondra, les bras le long du corps, dévalant et heurtant les marches fraîchement repeintes, comme un saut à ski (une épreuve du ski alpin) qui aurait mal tourner. Monsieur Bachman sauta de son canapé, il s'approcha et se pencha sur elle. Elle leva les yeux vers lui, son visage exprimait à la fois de la douleur et de la fatigue.

 — Qu'est-ce qui s'est passé ? Murmura-t-elle.

Il la transporta dans la voiture. De sa bouche sortit un faible son que lui soutira la douleur. Où m'emmènes-tu ? Il passa la première et la jeep disparaissait au bout de la rue. Il savait qu'il y avait quelque chose, et que ça devait être assez grave, mais il n'en avait pas la certitude, il ignorait ce qui se passait. Après leur arrivée à l'hôpital, quelques heures plus tard, dans la salle d'attente, le neurologue gêné, mais pas plus que monsieur Bachman ne pouvait l'être : un cancer du cerveau lâcha le médecin avec précaution.

— Non, cria monsieur Bachman. Ses mains froissèrent maladivement son Jeans.

— Je crains qu'il n'y ait plus rien à faire, reprit le médecin. La maladie est bien installée, elle ne survivra pas car son cancer est en stade terminal.

— Comment ça bien installé ? S'interrogea monsieur Bachman.

— Les résultats de ses examens, montre que la maladie la ronge depuis plus d'une vingtaine d'années. Pour être franc, c'est une question de mois, voire de semaines.

Ce soir-là, plutôt que de rentrer chez lui, monsieur Bachman prit la direction du « LOLY RESTAURANT » (lieux de leur première rencontre) pour manger le même menu que lors de leur rendez-vous. 

Deux semaines plus tard, il y a eu une légère amélioration de l'état de santé de Madame Bachman. Cependant, les crises d'épilepsie étaient fréquentes et elle vomissait souvent. Mais cela n'entamait pas son enthousiasme. Elle décida contre l'avis du médecin de continuer le traitement à la maison. Monsieur Bachman donna des coups de fil, il joua de toutes ses relations (les mêmes qui l'avaient adulé par le passé) pour conserver un quelconque espoir. Le téléphone ne cessait de sonner dans toute la maison, A chaque fois, des refus, il n'était pas habitué, rien à voir avec le responsable écouté qu'il était. Mais quelque chose n'allait pas, un sentiment d'insatisfaction, latent agissait sur lui. Une chose, c'était brisé en lui, pour la première fois son travail n'avait plus d'importance. Soudain, entre deux coups de fil, un mot se forma brusquement dans son esprit, celui prononcer par l'expérimentateur peu avant sa perte de connaissance la veille : immortalité. Un matin, il enfila son survêtement et se rendit en voiture à son travail, où il arriva avant tout le monde. Quelques minutes, plus tard, il occupait une grande pièce spacieuse, à l'abri des regards, il s'agissait du bureau de son responsable hiérarchique. Une fonction d'une telle importance exigeait de ne pas se mêler aux autres. L'entreprise qui l'employait l'appelait : Dick Pratt, cette identité-là n'apparaît dans aucune base de données de l'entreprise, se méfier de tout le monde était une règle et plus encore, pour un poste aussi important. D'où une fausse identité. Dans un coin de son écran d'ordinateur, un dossier nommé « E ». Il double-cliqua pour faire apparaître dix fichiers.


C'étaient les facultés que possédait chaque agent expérimentateur. Réussir les tests était une chose, avoir des pouvoirs en était une autre et lorsqu'on les trouvait dans la même personne, on tenait un être indestructible. Quand Monsieur Bachman parcourait le fichier intitulé immortalité, il s'apercevait qu'il pouvait la sauver et il comptait bien le faire. À mesure qu'il avançait dans sa lecture, il réalisait, avec une profonde tristesse (il s'en doutait un peu) : qu'il modifierait le métabolisme et le corps de son épouse, mais il estimait qu'au moins avec ça elle vivrait. À présent, il se retrouvait avec une responsabilité déjà trop grande pour ses épaules, mais il avait une solution. Selon lui, son épouse avait plus souffert que lui ne l'a jamais été. Il admettait que c'était sa faute, mais là, il pouvait tout arranger. Un soir, elle l'appela depuis son lit médicalisé située à l'étage de la maison. Monsieur Bachman avec ses yeux se concentra, en un clin d'œil, avec plus ou moins de mal, il se retrouvait face à son épouse, l'effet de surprise la fit sursauter.

— Oui ma chérie, il y a quelque chose qui ne va pas ? Monsieur Bachman avait posé la question avec douceur, le plus délicatement qu'il soit. Mes anciens compagnons d'armes n'y croiraient pas s'ils voyaient ça. Ils lui rabâchaient souvent « qu'il ne fallait pas montrer de signe de faiblesse sous aucun prétexte ».

— Faut-il avoir une raison particulière pour voir son époux ? Demanda madame Bachman. De l'attention, voilà ce qu'elle attendait de lui. Elle brisa le silence, avec un léger sourire. Il suivit le mouvement, se mit à siffloter l'air de musique de leur mariage et ses mains mimaient un cœur à l'attention de sa femme qu'il avait bien l'intention de sauver. Tous les deux gardaient espoir qu'on à l'issue de cette maladie qui détruisait une partie de leur vie.

Elle se redressa sur son lit, pour s'aider, elle posa sa main sur la sienne. Un violent frémissement la traversa des pieds à la tête.

— Qu'est-ce que c'était ? Se demanda-t-elle. Elle le dévisagea, le visage étonné et les yeux écarquillés.

Il ignora la question. Le visage de son épouse changea, rien à avoir avec un maquillage surchargé sous plusieurs centimètres de fond de teint : elle avait rajeuni. Monsieur Bachman savait ce qu'elle ressentait. Mais n'osa pas lui en parler. Elle se sentait bien, peut-être mieux qu'elle ne l'a jamais été. Mais elle reprit le visage marqué par la maladie : des pommettes creusées tout en os (Il avait retiré discrètement sa main).

— Qu'est-ce que c'était ? Questionna madame Bachman. Quand je t'ai saisi, j'ai eu l'impression d'avoir pris une décharge électrique !

— C'était moi chérie, reprit-il. Je t'expliquerais tout plus tard, fais-moi confiance. Monsieur Bachman pensa aux dossiers qu'il avait découverts dans l'ordinateur du soi-disant Mr Pratt. Il se revit s'introduire dans son bureau par effraction.

Malgré cet incident, elle sauta sur cette opportunité (ses échanges avec son mari), qu'elle ne pouvait s'empêcher de laisser passer, enchaînant anecdote sur anecdote. Avant, il aurait pu péter un câble autour d'une conversation de ce genre, qu'il cherchait par tous les moyens à éviter. Maintenant, il l'évitait pour la raison opposée. L'ironie ne lui échappait pas. La voir sans mobilité, amaigrie, sans éclat, lui sortait par les trous de nez. Le rythme infernal des traitements l'empêcha rapidement de formuler des phrases compréhensibles, tout juste un visage atrophié bougeait, encaissant les attaques morbides de ce mal, avant de s'endormir sous son plaid en laine. Une respiration latente se mit à jaillir, les crises d'épilepsie furent quotidiennes, elles s'accélérèrent. Bientôt, une tache noire de la taille d'une balle de tennis se révéla pour les deux yeux. Elle vomissait entre chaque soin un liquide noirâtre, nauséabonde dans la bassine que lui présentait impuissant son mari attristé parce qu'il voyait, il se jura d'y mettre un terme.

Selon lui, il y avait des limites à ce qu'il en était venu à supporter. Ses pouvoirs ne se manifestaient pas sur commande. Ils ne les maîtrisaient pas du tout, pourtant, lorsque son épouse le toucha, ils étaient en elle. Si des règles encadraient ce phénomène, il ne les contenait pas, mais s'en préoccupait. Malgré tout, il était confiant, voilà tout ce qui comptait.

Le 25 décembre, Dick Pratt visita les Bachmans, leur adressant ses vœux, puis monsieur Bachman lui annonça qu'il projetait de quitter définitivement l'agence, pour s'occuper de son épouse.

— Tiens, c'est pour toi, dit-il. Monsieur Bachman tendit sa lettre de démission.

— Tu me fais marcher, répondit Dick. Apparemment non, puis il prend le document. Tu as trouvé mieux ailleurs ?

— Exactement.

— Mais pourquoi maintenant ?

— Parce qu'un changement mène à un nouveau départ et j'en ai besoin.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

— Nous le savons tous les deux. Que la santé de Jane, nécessite une présence permanente.

— Je comprends, c'est bon.

— Merci, Dick. Tu es un véritable ami.

— Oui je sais, ne prends pas ça pour de la pitié. Mais dans cette ville, tu as rendu un immense service, certes dans l'ombre, mais au combien précieux en aidant l'agence à comprendre ses phénomènes dont le but de sauver des vies. Ce qui vous arrive, à ton épouse et toi, n'est pas juste. Tu seras plus utile à ses côtés, qu'en étant à l'agence.

— Tu peux compter sur moi.

— Je n'en doute pas.

— Encore, merci.

— De rien, mon ami. Et n'oublie pas, ce que tu es capable de faire.

— Dick. Tu as raison.

— Comme dans Heroes. Cool.

Monsieur Backman le laissa s'en aller en pensant à ce que signifiait le fait d'avoir des super-pouvoirs, particulièrement quand son épouse était concernée et il s'endormit.

Mais il n'avait aucune certitude et ne pouvait produire aucune preuve recevable, car il ignorait tout de cette maladie, il supposait que la fin pourrait arriver à la fin décembre. Depuis peu, il évitait ce genre de conversation stérile avec elle parce que sa mémoire partait trop vite. À ce stade, personne ne connaissait l'évolution de la maladie. Cependant, un jour, ils seraient obligés de se quitter, lorsque la fin viendrait.

— Comment vas-tu aujourd'hui ? Demanda son mari.

— Je ne m'en rappelle plus.

 — Ce n'est pas grave.

La maladie n'avait pas atteint totalement son cerveau, mais elle s'en approchait. Elle aurait pu dire qu'elle allait bien : elle était à peine plus lucide. Elle répond par à-coups ou bien à l'aide d'un petit tableau blanc. Monsieur Bachman, demeura silencieux un bon moment, puis demanda :

— Si je te disais que j'ai le pouvoir de te sauver ?

— Qu'est-ce que tu racontes. Un cancer au stade terminal est irréversible ou bien, tu es fou, mais je suis condamnée.

— Et si je te disais que cette « décharge électrique » pourrait te débarrasser de ce fichu cancer ?

Ce fut au tour de madame Bachman de rester silencieuse. Après un bref moment, elle reprit :

— En es-tu sûr ?

— Tu réagis plutôt bien, je suis ravie que tu ne me prennes pas pour un fou.

— Pas pour l'instant, non.

Quatre jours plus tard, Monsieur Bachman découvrit ce par quoi il devait passer pour la sauver. On croit tout connaître, on croit être prêt et puis on s'aperçoit qu'on ne l'est pas.

Le Comté de Pinellas connaissait un hiver avant l'heure, avec une température entre zéro et moins cinq degrés. À la fin décembre, le froid devint glacial et les chasse-neiges dégagèrent les rues pour faciliter la circulation. Les nuits suivantes, elles baissèrent encore et encore : plusieurs lignes de haute tension se mirent à sauter.

Cela n'inquiétait pas monsieur Bachman. Il consacra les nuits à comprendre les pouvoirs qui étaient en lui. Avec ce qu'il avait pu trouver à l'Agence, le dossier E et ceux sur les dons dans le bureau de Dick où il était entré, avec facilité, au nez et la barbe de son responsable, mais les expérimentateurs avaient la fâcheuse tendance à avoir un œil sur tout et à mener jusqu'au bout leur investigation. Monsieur Bachman, préférait éviter de penser à cela.

Le matin suivant, la neige cessa et la ville connue un réveil gelé. Elle formait sur le dessus une couche épaisse et immaculé, presque parfaite pour qu'on y marche. L'allée et la pelouse étaient comme recouvertes de coton. Monsieur Bachman revêtit son survêtement et sortit les poubelles. Elle fondit quand il entra en contact avec elle, ses pieds se remplirent d'eau. Il faut que je fasse attention, songea-t-il, un signal d'alerte se forma dans son esprit. Il se palpa et découvrit que, pour la première fois, il n'avait pas utilisé le bracelet. Peut-être qu'il pouvait, s'en passer, en repoussant ses limites, arriver jusqu'à les maîtriser, ne plus se préoccuper de ses effets et de ses conséquences. Il éclata de rire, puis redevint sérieux quand il vit, partiellement la pelouse reverdir, la seule du quartier, comme une tache d'encre au milieu d'une feuille blanche se répandant de plus en plus vite. La boite aux lettres qu'il voulut ouvrir se dégivra instantanément. Il la laissa fermé et referma la poubelle derrière lui, croyant ainsi s'être fait discret. La neige fondit en si peu de temps, pensa monsieur Bachman. Enfin, je le contrôlais comme j'avais l'air de le croire. Je vais attirer l'attention, si un voisin sort, il ne pourra pas s'empêcher de le remarquer.

Bientôt, il ne marcha pas assez vite, il dégivra maintenant un tiers du gazon qui s'appuyait sur l'allée de brique. Il tenta de courir, accéléra et la remonta jusqu'à la porte d'entrée. Si une voiture passe, elle s'arrêtera, on poserait un tas de questions que monsieur Bachman n'avait pas envie de répondre. Soudain, la voiture du voisin sortait, le chauffeur klaxonna. Monsieur Bachman agita la main sans se retourner. Quand il parvint aux marches, il avait perdu toute sensation de chaleur dans son corps, bien que ses mains étaient rouges et son corps bouillant. Rassuré, couvert d'une vapeur omniprésente sur son corps, il s'endormit dans le canapé. Un mardi soir de la fin décembre, ils dînèrent ensemble pour la dernière fois. Il ne l'avait plus vu depuis deux semaines, prétextant le besoin de rester seul pour comprendre comment fonctionner ses pouvoirs destinés à la sauver. En réalité, c'était chose faite depuis une semaine, au moins pour la forme. Pour le fond, il comptait sur beaucoup de pratique, mais, est-ce que le temps le laisserait faire.

Pour le repas, il avait prévenu : pas d'infirmière, il s'occuperait de tout. Monter à l'étage ne posait pas de problème : y penser suffisait, plus aucun effort. Descendre au rez-de-chaussée était plus délicat. Ayant peur de lui faire mal et d'aggraver son état, monsieur Bachman lévitait doucement, tel une cascade d'acteur au ralenti. Il l'informa que la table était mise. Elle ne posa pas de question, se contentant de le fixer de ses yeux étonnés et amoureuse.

Ils dégustèrent une appétissante salade de crevettes, un rôti de bœuf et terminèrent par une tarte aux citrons, à peine brûlée sur le dessus. Le champagne fruité était délicieux, les conversations plaisantent, les rires spontanés.

À la fin du repas, il déclara : il est temps que tu saches. Je dois t'avouer une chose. Te sauver n'a jamais été aussi proche que ce soir.

— Qu'est-ce que tu veux dire, se demanda-t-elle.

Monsieur Bachman hocha la tête sans nier cette affirmation.

— Vraiment ?

— L'un de mes dons me permet d'accorder l'immortalité sous certaines conditions.

— Et comment comptes-tu faire ça ?

— Un peu de patience. Profitons de ce moment. Tu ne crois pas.

Monsieur Bachman a voulu lui faire une surprise en lui offrant une vieille rose, en apparence. Quand ses mains entrèrent en contact avec le végétale, instantanément, il refleurit, redonnant ainsi toute sa beauté. Madame Bachman regarda du coin de l'œil et écarquilla ses yeux.

— Pardonne-moi pour toutes ces années, je suis vraiment désolé, fit-il. Avançant délicatement comme s'il était sur une patinoire, il se dirigea vers son épouse. Même s'il s'efforçait de les contenir, le moindre de ses gestes déclenchait une réaction. Les forces en lui, voulaient l'obliger à tout faire fondre, tous ses membres s'acharnaient contre lui pour le faire agir. Dépassé, il se concentra un instant pour ne pas l'effrayer.

— C'était quoi ça, s'exclama-t-elle. C'est comme un de ses tours de magie.

Tu aurais dû me voir l'autre fois quand j'ai voulu sortir la poubelle, repensa monsieur Bachman. Tout au long du dîner, aucune allusion à la maladie. Aucun des deux n'était surpris. Un simple regard en direction de son visage creux et marqué suffisait à convaincre qu'elle n'en avait plus pour longtemps. C'était une situation délicate, ils le comprenaient et ils en étaient conscients (il l'était pour les deux).

Ils continuèrent dans le salon, il voulait la voir une dernière fois en chair et en os. Tu es belle fit tendrement monsieur Bachman. Oh, merci mon chéri. La température indiquait vingt degrés Celsius. Il retourna dans la cuisine. Pendant qu'il se déplaçait aussi délicatement que s'il était en skateboard, il finit tout de même par chauffer. Elle le prit dans les bras pour le rassurer, mais avant qu'elle ne pût le toucher, il lui fit signe que c'était dangereux. De nouveau à ses côtés, il cria : ne fais plus jamais ça. Plus jamais. Vraiment.

— Tout ça me fait peur, songea-t-elle. Elle était en panique.

— Tu n'as pas à avoir peur. C'est de cette manière que je compte te sauver, crois-moi. Comme tu t'en doutes, ce soir, c'était notre dernier dîner ensemble. Je ne te reverrai plus. Encore une chose. J'aurai besoin de toi pour la fin. Si tu es d'accord

— Tu peux compter sur moi. Elle n'avait pas hésité, accompagnant cela d'un sourire à son mari qui s'était mis à pleurer.

— Je voudrais juste te dire que j'aimerais passer plus de temps avec toi. Tu as été si souvent mise à l'écart par ma faute.

— C'est de loin la plus belle déclaration que tu ne m'as jamais faite, dit-elle, en essuyant les yeux de son mari avec ses doigts.

— Je n'ai jamais voulu ça, ce n'est pas juste ! S'exclama monsieur Bachman.

— Il faut bien mourir un jour, acquiesça-t-elle. Sache que je t'ai toujours aimé, je suis la femme la plus heureuse maintenant, peu importe ce qui m'arrive. C'est toujours mieux que de mourir seul, ou dans un violent accident. J'imagine que je ne serais plus la même, après cela.

— Oui, tu as tout compris, dit-il.

— Je n'ai pas peur, acquiesça-t-elle. Personne ne me fera changer d'avis. Dis-moi ce que je devrai faire ?

Il réfléchissait et le fit, n'oubliant pas de lui mentionner les gestes à faire. Elle l'écouta, elle ne discuta pas.

Quand il eut fini, elle demanda très solennellement :

 — Et si ça ne marchait pas ? Qu'est-ce qui se passerait ?

Il songea à toutes ces soirées où il avait échoué et celles où il avait réussi à trouver le point de rupture, dans l'anonymat totale, plus aucune responsabilité, les pouvoirs grandissant dans son corps, dans ses cellules, dans son ADN l'avaient changé. Pour la première fois, c'était un autre homme.

— Je me sens différent, dit-il.

Les yeux pétillants de madame Bachman l'observèrent et surent que sa guérison dépendait de lui. Le couple resta planté dans le salon, leur silence forma un son inexprimable dans l'air réchauffé de la soirée. Mr Bachman se concentrait, mentalement à l'unique scénario.

— Est-ce que je peux te dire quelque chose avant que tu ne me ramènes à l'étage ?

— Oui, bien sûr, dit-il. Il aurait aimé qu'elle ne dise rien et qu'elle s'en aille dans le silence, jugeant en avoir assez découvert sur ses facultés. Ce soir-là, la seule chose qui fût plus dure que ce dîner était de dire adieu à celle qu'on aime.

— Pardonne moi. Je suis navré de ce qui t'arrive, Chéri, mais je me console de ce qui m'arrive à moi. Sans cela, je serais condamné à mener une vie douloureuse avec beaucoup souffrance. Te prendre dans mes bras m'est impossible, ok, j'espère que ceci fera l'affaire.

Elle mima un baiser vers son époux.

— Si ça venait à réussir, je ne te remercierais jamais assez pour tout cela, reprit madame Bachman. Même si, tu ne le montres pas, je sais que cela te fait de la peine. Elle éclata en sanglots « sache une chose, je ne serais pas totalement loin de toi, mais tu vois ce que je veux dire ».

— Oui, je sais, dit-il.

— Passe une bonne nuit, ma chérie et repose-toi bien. Demain est un grand jour.

Elle le regarda léviter jusqu'à sa chambre. Prenant soin de ne pas la faire tomber, la déposa dans son lit, puis ferma sa porte et à la manière d'un héros de Marvel, il regagna le salon. Allongé dans le canapé, il se remémora les derniers instants passé avec son épouse durant le mois passé qui ont vu des larmes et des rires. Il gesticula un bon moment, puis il s'endormit.

Le matin suivant dans un terrain désaffecté, monsieur Bachman dévala le terrain pour rejoindre son extrémité, ses pas qui n'en était plus se transformèrent en de brève étincelle jusqu'à l'apparition d'éclair, avec lequel il se déplaçait. Quand le vent se manifesta, le flux d'énergie émanant de son corps le stabilisa. Une fois statique, il laissa s'écrasait au sol un sac-poubelle, dans lequel il y avait le corps de sky (leur chien, mort le jour de Noël), puis le bombarda de décharge électrique.

Dans les airs, il se mouvait au-dessus du corps avant de s'y poser. Il a pensé d'emblée que le cadavre n'avait pas résisté, mais il finit par produire des éclats lumineux. Puis des mouvements suivit d'aboiement. C'était plus que ce qu'il espérait.

Le soir, il confia à son épouse son expérience. Il lui épargna les détails.

— Le moment est venu. Tu es prête ?

Elle hocha la tête. Oui. Ce furent ses derniers mots, mais il n'était pas nécessaire d'en dire plus.

La soirée était étoilée avec un ciel noir d'ivoire. Madame Bachman s'enroula dans le pull-over de son mari, se blotti dans ses bras sans bouger, à cause du froid dans la maison. Il dégagea de la chaleur pour la réchauffer, puis elle ne grelottait plus. Il la posa sur le canapé. Parvenu, à réunir tous les documents sur lui, il en mémorisa chaque page et il les brûla dans la cheminée.

— Je l'ai peut-être trop attendu, dit-il. Il m'a fallu du temps pour le reconnaître et davantage pour l'accepter. Des larmes, tu me crois si tu veux.

Madame Bachman le croyait sans peine. Assise devant lui et l'écouta avec émerveillement.

— Depuis combien de temps tu ne vis plus ?

— Une éternité. Je voulais que ça se passe autrement.

— Puisse tu me pardonner. Il posa la tête sur ses genoux. Tu ne mérites pas ça.

Elle hocha la tête. Tu sais bien qu'il n'y a pas d'autre solution.

Sans aucun effort, il l'a souleva du canapé. Elle parvint à passer ses bras squelettiques autour de son cou.

— Accroche-toi bien et essaye de ne pas trop bouger, dit-il.

— C'est fait, reprit-elle, mais ses mains glissèrent à plusieurs reprises bien qu'elle était bien agrippée à son cou, les mains puis les jambes et elle sentit son corps frissonnait. A chaque fois, son cœur eut un sursaut, ce que sa mère appelait un « rappel à l'ordre » quand elle n'avait aucune explication rationnelle à me donner.

— Et maintenant, reprit-elle.

— Cramponne-toi bien, on va prendre un peu l'air.

— Tu es bien sûr d'aller jusqu'au bout ?

Il hocha la tête. Tu crois que j'ai envie de passer une minute de plus, pour te voir souffrir ?

— Je comprends, répondit-elle.

Madame Bachman trouva la force et la volonté et ne lâcha plus son mari. Monsieur Bachman fléchit ses genoux.

— C'est parti, ma chérie, lança-t-il.

Elle le sera de toutes ses forces et ce fut un décollage éclair. Les particules d'énergie décrivirent un halo autour d'eux…  Il s'arrêta au-dessus de la zone désaffecté… Puis s'y posa lentement. Là, elle parut rajeunir et madame Bachman se rappela ce qu'avait précisé son mari : ils avaient la capacité de la rendre immortelle. Cela, était-il possible ? En tout cas, c'était un aperçu, quelque peu déboussolé, elle n'avait pas le temps d'y réfléchir. Il la déposa sur le sol pour mettre à son poignet le bracelet. Un cuivre brillant, bruns rougeâtres, avec des symboles mystérieux l'ornait.

— Qu'est-ce que c'est ?

— C'est ta deuxième chance, mais j'ai une chose à faire avant. C'est un genre de rituel.

— Je ne sais pas en quoi, cela consiste, mais je suis confiante.

— Tu as raison de l'être, répond-il.

— Tu vas réussir, reprit-elle.

— Il le faut, dit-il. Le temps est venu.

— J'ai froid et tu es en sueur.

—  Désormais, cela n'a plus d'importance.

Pour elle, oui. Elle referma le pull-over de son mari avec lequel elle avait voyagé et s'asseya, les genoux se recroquevillaient contre son abdomen.

Atchoum, s'exclama-t-elle. Le temps semblait changer, tout à fait compréhensible avec les circonstances. Les températures descendirent puis elles remontèrent comme un yo-yo au bout d'un doigt, le regardant avec le même engouement se préparer puis décoller… Avant de se stabiliser au-dessus d'elle.

— Ca va pour toi, cria-t-elle.

— Pour le moment ça va.

Elle le regarda faire, puis commença à s'assoupir avec la brise qui se mouvait au-dessus du sol. Mais, cette fois-ci, le froid fut plus intraitable, avec des « atchoum » rocailleux et non-gracieuse. Le corps de Madame Bachman se souleva du sol, tandis qu'elle sentait ses cheveux se mettre à flotter. Puis ce fut terminé. Quand elle retomba sur le sol, elle comprenait mieux ce que ressentait son mari. Elle se rappela le credo de sa fraternité à l'université : ami de cœur, pour l'éternité.  Elle avait compris ce qu'impliquait de ne pas mourir. Pas de tombe pour moi et plus de mari non plus.

— On y va, fit-il.

— Maintenant, reprit-elle.

Madame Bachman le regarda flotter et elle déposa discrètement sa bague de mariage dans la poche droite ainsi qu'une lettre dans du pull-over. Le froid étant dissipé, elle le déposa à terre.

La chaleur dont il émanait, réchauffa bientôt toute la zone désaffectée, l'air était aussi piquant et insoutenable que le premier jour d'été. Autour de lui brillait une couronne lumineuse et ce qui ressemblait à une boule de feu. Pour équilibrer les particules d'énergies, tout aussi mystérieux, vivant sous nos yeux chaque jour, pensa Mr Bachman.

— Ne pleure pas, cria-t-elle. Ce n'est pas un adieu, seulement un au revoir.

Madame Bachman le fixa depuis le sol. L'énergie autour de lui se renforça de plus en plus. Assez proche d'elle, mais pas trop, pour la protéger du champ magnétique.

— Tu es prête, chérie ?

— Oui, reprit-elle.

— Lève la tête, regarde le ciel.

Elle contempla la constellation de la grande ours, tous ces astres brillants unis autour d'Alioth (l'étoile la plus brillante).

— Je n'ai pas pu retenir mes larmes, confessa madame Bachman. Elle dévisagea cette étendue d'espace impressionnant et tourna la tête vers l'astre humain bien brillant, aux yeux étincelants et au corps embrasé par le flux d'énergie.

Il hocha la tête. Nous y sommes.

Elle éclata en sanglots puis s'essuya les yeux. Je suis prête.

— Ok. Tu peux fermer les yeux.

Dès que les mains de Mr Bachman furent sur sa tête, elle se souleva, les deux corps étaient contenus dans un halo de lumière qui les entouraient. Ses larmes s'évaporaient dans la chaleur qui l'enveloppait. Elle ne cessait de pleurer, son corps devenait électrique, si bien qu'elle avait l'impression d'être sur une piste de danse.

— Je t'aime, dit-elle. Pour toujours.

— Moi aussi, reprit-il. N'oublie pas notre accord.

— Oui, promit-elle.

Puis ses yeux s'entrouvrirent peu à peu et enfin, ils étaient ouverts et le dernier lien qui les retenait se consuma dans une grande explosion.

Alors qu'elle se métamorphosait lentement, les décharges électriques lui dessinèrent comme une longue robe. Puis poussé par la brise, elle commença à foudroyer. Elle vit rapetisser le visage de son mari. Elle le vit lui faire le geste d'un baiser, mais, les siennes étant électriques, elle ne put le lui rendre.

Elle parvint à canaliser partiellement ses sentiments pour se tenir face à son mari. Cela ne durerait peut-être pas longtemps, mais cela n'avait aucune importance :  elle voulait simplement le voir. Lui à la fenêtre de leur chambre. Quand elle arriva devant la maison, elle constata que la lumière, encore allumée, était présente à l'étage. Elle aperçut sur la pelouse des briques peinte en blanche qui formait le chiffre 27 (chiffre de leur année de mariage) qu'elle n'honorerait plus jamais. Pas très loin, les éclairs s'avérant assez lumineux pour lui révéler à travers un carreau de la cabane, le lit médicalisé entreposé dans un coin de la pièce, sans doute enfoui là peu après que son mari et elle quittèrent la zone désaffectée. La légèreté de l'air chaud formait à l'horizon des nuages, balayé par des vents très violents (pouvant dépasser 130 km/h), si bien qu'elle prit de la vitesse. La ville se révéla à elle comme un oiseau volant à basse altitude. Les lampadaires d'Adams Streets et des autres rues éclatèrent comme une rangée de perles. Depuis l'étage, monsieur Bachman vit au loin les lumières des maisons s'étouffer par des sombres nuages, plus d'une heure après l'explosion.

De puissants éclairs explosèrent dans le ciel, au-dessus de la ville. Puis une pluie torrentielle se déchaîna, des vents puissants, un orage qui détruisait tout, absolument tout sur son passage, comme si la ville n'avait jamais existé.

Trois jours plus tard, monsieur Bachman découvrit dans la poche droite de son pull-over, la bague de mariage (celle de son épouse) et une lettre écrite peu de temps après sa sortie de l'hôpital :

Avant ta nomination à l'O.M.M, je m'en souviens comme si c'était hier. Je t'ai longtemps observé, mes yeux étaient à l'affût de chacun de tes mouvements. Tu m'évitais, et tu disais que c'était déplacé, que cela te répugnait. Par la suite, je n'ai plus jamais été la même personne. Je ne voulais pas qu'on en arrive jusque-là. Selon toi, c'est ce que je t'inspirais. Tu disais : elle veut que je devienne ce genre de mari mielleux sorti tout droit d'un feuilleton sans fin, pas un mari de nom, contre lequel elle vient se fracasser.

Mon désir a toujours été d'être à tes côtés et de t'accompagner jusqu'à la fin. On s'est souvent disputé. Mais je n'ai pas pour autant abandonné notre mariage, ni les combats que mon cœur menait et ce qu'il me disait quand j'étais souvent seule. Durant toutes ces années, je n'ai pas fait comme les autres, je t'aime comme tu es, je ne suis jamais allé voir ailleurs, comme elles, parce que je suis ta femme et non celle d'un autre. Je ne te l'ai jamais dit, mais je suis née avec un angiome au cerveau, pour être plus clair, il s'agit d'une malformation vasculaire du cerveau. J'avais trente ans quand elle se manifesta violemment, jusque-là, je la supporter avec patience. Il m'a fallu plusieurs années pour apprendre à vivre avec elle normalement.

Aujourd'hui, cela n'a plus d'importance, ça ne veut pas dire que je me réjouis de ce qui t'arrive, ni que tu mérites ça.

Ce que tu es devenu après la sélection des expérimentateurs, nous a rapprocher, pas que physiquement parce qu'on tient l'un à l'autre, mais parce qu'on peut vraiment s'aimer maintenant. Tu pensais que notre couple était voué à l'échec. Nos disputes te faisaient rire, tu disais que j'étais folle, mais je sais qu'au fond, tu ne trouvais pas ça fou du tout ; Tu ne me comprendras pas, je ne suis plus naïve au point de croire le contraire, certaines personnes ne changeront jamais, mais ce n'est pas ton cas. Sans toi, cela ne serait jamais arrivé, et, sans, toi, je serais restée en partie morte à l'intérieur de moi. Tu ne me le diras pas, mais, moi, je te le dis : tu as ôté un énorme fardeau dans mon cœur, il était très lourd, et je peux à nouveau vivre. Tu as toujours été méfiant, et je vois que tu as changé, je peux te faire confiance à présent. Tu as rendu tout cela possible. Tu m'as appris à aimer de nouveau.

Avant tu disais que je devais laisser tomber parce qu'il n'y a plus rien entre nous, tout nous séparait. Maintenant, pas sûr, mais j'ai compris. Lorsque tu as dit « si je te disais que j'avais le pouvoir de te guérir ». Tu dis que tu peux me guérir, alors fais-le.

Sois courageux et sache que je t'aime.

                                                                                           Tendrement,

P.S :  A dans vingt-sept ans, selon notre accord.

                                                                                                           Monsieur Bachman assis dans le canapé, pleura à sa lecture. Seul les léchouilles de Sky venait quelque peu le réconforter. Il le caressa pour le remercier. Soudain, depuis la fenêtre du salon, il distingua un sombre nuage, se former à l'horizon.

— Mon vieux Sky, un orage se prépare dit-il. Ça commençait à faire long.

 

 

 

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