Apollo-Soyouz 1975 : sexe et diplomatie

Camille Elle

1975 : Comment la première coopération américano-soviétique dans l'espace a failli ne jamais voir le jour.


Nous sommes en 1975. Au cours des vingt-cinq dernières années, le monde a enduré le spectacle des rivalités américano-soviétiques : les deux pays s'affrontent dans une guerre des nerfs, la Guerre Froide.

C'est dans cet historique contexte que débute la conquête de l'espace, terrain de jeu dont les deux nations s'emparent pour imposer à l'autre sa domination technologique, en y envoyant des fusées, des satellites, puis des hommes.  

Au début des années 70, alors que les tensions s'apaisent, ce même terrain devient la vitrine du réchauffement des relations entre américains et soviétiques, à travers une première coopération spatiale. Il s'agit ici d'amarrer un véhicule Apollo à un vaisseau Soyouz sur orbite.

Pour la première fois, le lancement et l'atterrissage d'un vaisseau soviétique sont diffusés à la télévision : succès mondial. L'histoire retiendra notamment cette photo de la poignée de main entre l'astronaute américain Thomas Stafford et le cosmonaute soviétique Alexis Leonov.

Mais voilà : pour en arriver là, il a fallu faire face à de sérieux problèmes techniques associés à d'orgueilleuses protestations.

Il s'agissait d'imaginer un dispositif  permettant aux deux engins de se relier l'un à l'autre. La solution : fixer une prise mâle sur l'un, une prise femelle sur l'autre. 

Jaques Villain, ingénieur et historien raconte dans son livre Dans les coulisses de la conquête spatiale, cet improbable épisode. 

La course à l'espace est à l'époque un milieu viril, chargé en testostérone. Américains et soviétiques avaient réalisé d'incroyables et vigoureux exploits : l'un avait mis le premier satellite Spoutnik sur orbite, l'autre avait envoyé le premier homme sur la Lune. Dans ce contexte, la discussion se concentra autour d'une question : qui réalisera la prise mâle, et surtout, qui sera en charge de la prise femelle ?  

Malaise diplomatique. Aucun des deux pays ne concédait à concevoir la prise femelle. Le symbole fut pris au pied de la lettre, ces messieurs ne tolérant pas que leur pays auréolé de gloire ne soit pas associé à une aura de puissance virile. Un simple élément technique devient ainsi l'instrument d'une illusion de soumission.  

Après moult négociations, impliquant hommes politiques et juristes des deux pays, il fut finalement décidé que chaque appareil serait bisexué : chacun porterait une prise mâle et femelle. 

Opération réussie : ils s'emboîtèrent enfin, américains et soviétiques ont alors admiré le spectacle de leurs deux nations côte à côte.  

Cependant les tensions se dégraderont de nouveau peu de temps plus tard, et il faudra attendre le début des années 90 pour qu'une coopération spatiale plus poussée voit le jour. 


Article rédigé pour lepetitobservatoire.fr

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