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Après le chaos
_brune_
Suivez Owen et ses amis dans ce road-movie futuriste où, au sein d'une nature dévastée par les désastres climatiques et les guerres de territoires, il cherche la source qui sauvera son peuple.
Chapitre 1
Owen regardait les ondes se multiplier en cercles concentriques à la surface de l'eau. Depuis toujours, il aimait venir, ici, dans le ventre de la caverne, pour faire des ricochets. À ce jeu, personne n'arrivait à le battre, pas même ses deux meilleurs copains, Leïla et Milo, avec qui il traînait souvent sur les berges désertées du lac. En jetant un coup d'œil circulaire, le garçon nota que le niveau du réservoir avait encore baissé. Alimenté par la rivière souterraine qui coulait à quelques mètres, l'étang n'avait, en effet, cessé de se vider à mesure que le cours d'eau perdait en force.
L'adolescent songea avec tristesse qu'à l'origine, c'est un torrent impétueux aux eaux vives et glacées qui filait au fond de la grotte ! Paul, son arrière-grand-père, l'avait découvert dans les premières années du Grand Effondrement, alors qu'il tentait de sauver son chien, tombé dans une ravine, sur les monts escarpés de la vallée d'Entias. À l'époque, le pays vivait en état de guérillas permanentes ; l'inéluctable assèchement des nappes phréatiques condamnait les habitants, déjà épuisés par les vagues d'épidémie et de famine, à se livrer des batailles sanglantes pour accaparer l'eau. Afin d'éviter la convoitise de ses compatriotes, Paul avait décidé de ne confier son secret qu'à une poignée d'intimes. Avec eux, il avait, durant plusieurs années, aménagé l'endroit afin qu'il puisse accueillir une importante colonie. Mais, aujourd'hui, la décrue menaçait l'abri. Soumis aux pénuries de toutes sortes, le peuple d'Entias résistait tant bien que mal, cependant qu'à l'intérieur du bassin, les poissons, privés d'oxygène, ne parvenaient plus à se reproduire.
Un discret mouvement dans son dos interrompit soudain les sombres réflexions d'Owen. Bien que tous les colons possédassent une ouïe très développée, le garçon était le seul Entiasote à pouvoir identifier quelqu'un au bruit de ses pas. Sans se retourner, il interpella celle qui avançait avec mille précautions pour ne pas être repérée :
– Salut Leïla !
– Encore à faire des ronds dans l'eau ! Tu ferais mieux de venir avec nous, déclara vivement la jeune fille, un peu vexée d'avoir été si vite démasquée.
– Merci, je préfère rester ici.
– C'est la troisième fois que tu loupes le rituel ! Ça va finir par jaser !
La coutume voulait, en effet, que chaque matin, les membres de la communauté s'exposent une dizaine de minutes aux rayons du soleil, tandis que la brigade veillait aux alentours. Ce dispositif, instauré dès les premiers jours du confinement, permettait à leur organisme de fabriquer la vitamine D, essentielle à la croissance osseuse et à la protection des neurones.
– Et puis ça ne te ferait pas de mal de prendre un peu l'air, espèce de face de craie ! railla sa camarade, contrariée de voir son copain refuser l'invitation.
Owen sourit à la provocation de sa meilleure amie qui, les bras croisés sur la poitrine, le défiait gentiment du regard. Les cheveux blonds attachés en queue de cheval, la silhouette athlétique et le corps impatient, Leïla possédait la fougue et l'impétuosité de sa jeunesse. De nature franche et rebelle, elle manquait souvent de diplomatie, mais aucun de ses proches ne lui en tenait rigueur tant ils savaient l'adolescente dépourvue de malice. Accoutumé à sa rudesse, Owen ne releva pas la pique et s'absorba, à nouveau, dans la contemplation du lac.
– Bon ! Tu viens ! s'agaça l'énergique demoiselle.
– Tu te souviens de nos parties de pêche ? lui demanda-t-il de but en blanc, changeant soudain de conversation.
– Oui, soupira la jeune fille en levant les yeux. C'est fini tout ça. Allez ! Bouge !
– Au début, on prenait encore des anguilles et quelques sandres. Aujourd'hui, même les silures se font rares !
Leïla connaissait le caractère silencieux et farouche d'Owen qui préférait au fourmillement de la cité le calme relatif de l'étang, mais son observation emplie de nostalgie la surprit ; jamais il ne s'était montré aussi mélancolique.
– Qu'est-ce que t'as ? l'interrogea-t-elle, avec tout le tact dont elle était capable.
– Rien. Vas-y ! Je vous rejoins.
L'adolescente dévisagea son ami, avec perplexité ; malgré ses traits fins, son teint pâle et son corps de brindille, Owen était bien plus solide qu'il ne le paraissait. Du trio qu'ils formaient avec Milo, c'était lui le chef et non elle, contrairement à ce que tout le monde pensait ! Que lui arrivait-il donc ?
– S'il te plait, insista le garçon en voyant que sa copine ne bougeait pas.
Froissée, Leïla le quitta sans un mot, de son pas souple et nerveux de tigresse blonde. Owen la regarda partir, le cœur serré : dans quelques semaines, il l'abandonnerait pour accomplir la mission que Krabb lui avait confiée et il n'avait pas encore eu le courage de le lui annoncer. Quand Pons, leur professeur d'enseignement secondaire l'avait sommé de se rendre auprès du dignitaire, l'adolescent avait été surpris ; le chancelier n'avait pas l'habitude de solliciter les membres de la colonie sans raison, encore moins les blancs-becs comme lui, naïfs et sans expérience ! Que lui voulait-il donc ? Avec une pointe d'amertume, il se souvint qu'au moment de frapper à la lourde porte, un étrange pressentiment l'avait saisi, lui soufflant de faire demi-tour. Cependant, quand Krabb l'avait silencieusement invité à entrer, Owen avait fait taire ses inquiétudes et avait pénétré dans le cénacle, conscient que sa vie, désormais, ne serait plus jamais comme avant.