Argent facile

Olivier Verdy

Jed et le Gros Sam ont soif. Et pas d'argent.

-          j'irais bien boire un verre pas toi ?

-          ah ouais bonne idée mais je n'ai pas un rond

-          pfff. T'as jamais d'argent ce n'est pas possible

-          bon on a qu'à aller au parc à la place.

En cet après-midi ensoleillé, Jed et le Gros Sam n'ont rien à faire. Ni études, ni travail, rien. A part aller glander dans un parc et regarder la vie qui passe. Et le parc est plutôt sympa pour ça : des bancs pour s'assoir, une zone skate où on peut regarder les jeunes s'amuser, quelques jets d'eau qui attirent les enfants et leurs parents, un peu d'espace vert pour les propriétaires illettrés de chiens qui amènent leur meilleur ami faire ses besoins dans l'herbe douce et des chemins goudronnés arpentés par les sportifs du samedi et les marcheurs en tout genre.

Jed et le Gros Sam se posent sur un banc, pas trop loin d'un chemin. Leur truc à eux, c'est de regarder les gens et d'imaginer ce qu'ils font dans la vie. L'homme qui passe là; il est en jean baskets. Mais ses baskets sont une vraie marque – par opposition aux marques de supermarché -  et elles valent chères. Donc il a de l'argent. Ce doit être un cadre, c'est le week-end. Il doit aller à un rendez-vous avec des potes. Pas avec une femme. Il serait mieux habillé. Là, on dirait qu'il part en piste. Bien fringué mais pas trop. Quelqu'un qui va aller prendre l'apéritif en terrasse et qui ne sait pas encore de quoi la nuit sera faite. Il a sans doute des capotes dans sa poche. Il a retiré de l'argent pour payer en liquide. Avec ses amis, ils vont boire un coup, ou deux, rire en se racontant leur semaine. Et verront bien ce qu'ils feront le reste de la nuit. En tout cas, il a l'air aux aguets, matant un peu à droite à gauche, peut-être à la recherche d'une compagne pour la nuit. Bonne chance et bonne soirée monsieur.

D'ailleurs l'après-midi tire à sa fin et la soirée ne va pas tarder à commencer. Pour Jed et le Gros Sam, ce sera plus ou moins comme d'habitude. Regarder les gens et les commenter, peut-être prendre un verre s'ils trouvent de quoi le payer, comme la fois où ils ont ramassé un portefeuille parterre. 50 euros ! De quoi boire quelques bières. C'était clairement la fête pour eux. Mais ce n'est pas tous les jours qu'on tombe sur un larfeuille abandonné. Et les gens ont une fâcheuse tendance à ne pas les perdre.

Le jeune couple qui passe devant eux a l'air un peu perturbé. Enfin la femme surtout. L'homme est du style énervé et pressé. Peut-être sont-ils en retard pour leur soirée ? Rentrent-ils chez eux ou sortent-ils ? La femme semble un peu inquiète. De quoi. ? De voir son mari énervé ? Peut-être se sont-ils disputés avant de sortir. Le Gros Sam pense qu'ils sortent car ils ne sont pas trop mal habillés même si, d'après lui, ils seraient plutôt classe moyenne basse. La femme a fait des efforts vestimentaires. L'homme s'en moque. C'est sans doute elle qui a choisi ses vêtements. Par contre, ils n'ont pas d'alliance. Pas mariés mais en couple. Et d'après Jed elle a eu des enfants, au moins un. Il est convaincu que cela se voit. Par contre, plus difficile à dire pour un homme.

-          Putain ils me donnent soif à les regarder ceux-là, tu crois qu'ils vont boire ou manger ?

-          Je dirais….la femme va un peu manger, l'homme a soif, non ?

-          Ouais, ça doit être ça. Même si elle ne donne pas l'impression d'avoir la dalle. Elle est stressée par quoi ?

-          Oh un truc classique de bonne femme ; ils sont à la bourre et elle dit que c'est à cause de lui. Ou alors elle a juste ses règles.

-          Ou alors, il a voulu baiser avant de partir et pas elle.

-          Mort de rire. Naan. Ou alors la nounou est arrivée en retard.

-          Ou alors ils ont perdu leur gosse.

-          Ahahah. C'est clair que c'est ça. Regarde leur tête. Le gosse a disparu et le mec y s'en fout. A mon avis, c'est son fils à elle. Le mec il a soif et elle est un peu stress parce qu'elle ne sait pas où est son gamin.

-          Ou le mec l'a tué parce que le gosse le saoulait. Rires. Ou alors, justement parce qu'il voulait être saoul sans le gosse.

-          Ouais. N'empêche que, eux, ils vont boire un coup.

-          On n'a qu'à détroussé un gamin, leur gamin !

-          On ne peut pas s'il est déjà mort. Par contre…

-          Par contre, quoi ?

-          T'as vraiment soif ?

-          …

-          Suis moi j'ai une idée.

 

Jed et Le Gros Sam quittent leur position stratégique et se dirigent vers la sortie du parc, pas loin de la grande route. Ils stoppent et s'accoudent à une barrière.

-          C'est ça ton plan ? regarder les voitures ?

-          T'es con. T'as soif j'ai soif. Alors on va juste trouver un portefeuille perdu.

-          Ouah chouette programme. Et là, on attend qu'un portefeuille se perde tout seul ? On n'est pas près de boire.

-          Pff. Tais-toi, admire et chausse tes baskets.

Jed et le Gros Sam commencent à marcher doucement le long du parc, en silence. Ils regardent les voitures, les passants, les enfants qui courent avec leur ballon. D'un seul coup. Jed prend le bras de son acolyte qui s'arrête. « Ça y est n je crois que j'ai trouvé ». Son ami le regarde d'un air incrédule. Lentement, ils pivotent et repartent en sens inverse, comme magnétisés. Les deux amis, tels des félins, se déplacent sans un bruit, sans se faire remarquer des gens qui les précédent sur le trottoir. Quand le bonhomme est vert, c'est qu'on peut traverser et les deux jeunes s'engagent alors derrière un groupe de personnes. Et tous se retrouvent de l'autre côté. C'est à cet instant qu'une personne se détache du groupe et s'engouffre dans une ruelle. Jed s'arrête net. Le Gros Sam aussi. « Mets ta capuche et remonte ton col». Jed regarde à droite puis à gauche, l'air distrait. « Prêt ? ». D'un hochement de tête le Gros Sam lui confirme. Jed s'élance alors en direction de la personne âgée qui  marche lentement dans la ruelle. Arrivé à sa hauteur, il tente d'attraper son sac à main. Qui résiste. Jed n'avait pas prévu ça. Il est arrêté, bandoulière à la main mais sac toujours contre sa propriétaire. «Lâche le sac la vieille ».Elle le regarde, le défi du regard. Le Gros Sam arrive et la pousse d'un coup d'épaule. La dame perd l'équilibre et titube sans rien lâcher. « Lâche le sac je t'ai dit » hurle Jed. Le Gros Sam pousse la femme qui maintenant vacille. La troisième tentative, un croche pied renversant, la fait tomber, le sac toujours collé contre son corps. Le Gros Sam commence alors à lui donner des coups de pieds, dans le ventre, le dos. La victime les regarde, apeurée, muette, tétanisée. Des larmes coulent sur sa joue. Elle pleure en silence. Jed frappe alors les bras et la tête avec ses baskets dernier cri, celles qu'on voit dans la pub à la télé. « Tu vas le lâcher vieille pute ». S'improvisant mi- footballeurs, mi- supporteurs fachos, Jed et le Gros Sam shootent tous ce qu'ils peuvent que ce soit dans la tête ou le ventre. Le sang gicle de la bouche, les yeux sont fermés et explosé, la tête bleue et rouge. Les mains se détendent et lâchent, enfin, le sac. Jed se penche et l'attrape. Il l'ouvre, trouve le portefeuille et regarde à l'intérieur. Regardant  son pote « 60, 80 euros ouah c'est la fête ce soir, c'est moi qui régale ; direction le four star ! »

-          j'irais bien boire un verre pas toi ?

-          ah ouais bonne idée mais je n'ai pas un rond

-          pfff. T'as jamais d'argent ce n'est pas possible

-          bon on a qu'à aller au parc à la place.

En cet après-midi ensoleillé, Jed et le Gros Sam n'ont rien à faire. Ni études, ni travail, rien. A part aller glander dans un parc et regarder la vie qui passe. Et le parc est plutôt sympa pour ça : des bancs pour s'assoir, une zone skate où on peut regarder les jeunes s'amuser, quelques jets d'eau qui attirent les enfants et leurs parents, un peu d'espace vert pour les propriétaires illettrés de chiens qui amènent leur meilleur ami faire ses besoins dans l'herbe douce et des chemins goudronnés arpentés par les sportifs du samedi et les marcheurs en tout genre.

Jed et le Gros Sam se posent sur un banc, pas trop loin d'un chemin. Leur truc à eux, c'est de regarder les gens et d'imaginer ce qu'ils font dans la vie. L'homme qui passe là; il est en jean baskets. Mais ses baskets sont une vraie marque – par opposition aux marques de supermarché -  et elles valent chères. Donc il a de l'argent. Ce doit être un cadre, c'est le week-end. Il doit aller à un rendez-vous avec des potes. Pas avec une femme. Il serait mieux habillé. Là, on dirait qu'il part en piste. Bien fringué mais pas trop. Quelqu'un qui va aller prendre l'apéritif en terrasse et qui ne sait pas encore de quoi la nuit sera faite. Il a sans doute des capotes dans sa poche. Il a retiré de l'argent pour payer en liquide. Avec ses amis, ils vont boire un coup, ou deux, rire en se racontant leur semaine. Et verront bien ce qu'ils feront le reste de la nuit. En tout cas, il a l'air aux aguets, matant un peu à droite à gauche, peut-être à la recherche d'une compagne pour la nuit. Bonne chance et bonne soirée monsieur.

D'ailleurs l'après-midi tire à sa fin et la soirée ne va pas tarder à commencer. Pour Jed et le Gros Sam, ce sera plus ou moins comme d'habitude. Regarder les gens et les commenter, peut-être prendre un verre s'ils trouvent de quoi le payer, comme la fois où ils ont ramassé un portefeuille parterre. 50 euros ! De quoi boire quelques bières. C'était clairement la fête pour eux. Mais ce n'est pas tous les jours qu'on tombe sur un larfeuille abandonné. Et les gens ont une fâcheuse tendance à ne pas les perdre.

Le jeune couple qui passe devant eux a l'air un peu perturbé. Enfin la femme surtout. L'homme est du style énervé et pressé. Peut-être sont-ils en retard pour leur soirée ? Rentrent-ils chez eux ou sortent-ils ? La femme semble un peu inquiète. De quoi. ? De voir son mari énervé ? Peut-être se sont-ils disputés avant de sortir. Le Gros Sam pense qu'ils sortent car ils ne sont pas trop mal habillés même si, d'après lui, ils seraient plutôt classe moyenne basse. La femme a fait des efforts vestimentaires. L'homme s'en moque. C'est sans doute elle qui a choisi ses vêtements. Par contre, ils n'ont pas d'alliance. Pas mariés mais en couple. Et d'après Jed elle a eu des enfants, au moins un. Il est convaincu que cela se voit. Par contre, plus difficile à dire pour un homme.

-          Putain ils me donnent soif à les regarder ceux-là, tu crois qu'ils vont boire ou manger ?

-          Je dirais….la femme va un peu manger, l'homme a soif, non ?

-          Ouais, ça doit être ça. Même si elle ne donne pas l'impression d'avoir la dalle. Elle est stressée par quoi ?

-          Oh un truc classique de bonne femme ; ils sont à la bourre et elle dit que c'est à cause de lui. Ou alors elle a juste ses règles.

-          Ou alors, il a voulu baiser avant de partir et pas elle.

-          Mort de rire. Naan. Ou alors la nounou est arrivée en retard.

-          Ou alors ils ont perdu leur gosse.

-          Ahahah. C'est clair que c'est ça. Regarde leur tête. Le gosse a disparu et le mec y s'en fout. A mon avis, c'est son fils à elle. Le mec il a soif et elle est un peu stress parce qu'elle ne sait pas où est son gamin.

-          Ou le mec l'a tué parce que le gosse le saoulait. Rires. Ou alors, justement parce qu'il voulait être saoul sans le gosse.

-          Ouais. N'empêche que, eux, ils vont boire un coup.

-          On n'a qu'à détroussé un gamin, leur gamin !

-          On ne peut pas s'il est déjà mort. Par contre…

-          Par contre, quoi ?

-          T'as vraiment soif ?

-          …

-          Suis moi j'ai une idée.

 

Jed et Le Gros Sam quittent leur position stratégique et se dirigent vers la sortie du parc, pas loin de la grande route. Ils stoppent et s'accoudent à une barrière.

-          C'est ça ton plan ? regarder les voitures ?

-          T'es con. T'as soif j'ai soif. Alors on va juste trouver un portefeuille perdu.

-          Ouah chouette programme. Et là, on attend qu'un portefeuille se perde tout seul ? On n'est pas près de boire.

-          Pff. Tais-toi, admire et chausse tes baskets.

Jed et le Gros Sam commencent à marcher doucement le long du parc, en silence. Ils regardent les voitures, les passants, les enfants qui courent avec leur ballon. D'un seul coup. Jed prend le bras de son acolyte qui s'arrête. « Ça y est n je crois que j'ai trouvé ». Son ami le regarde d'un air incrédule. Lentement, ils pivotent et repartent en sens inverse, comme magnétisés. Les deux amis, tels des félins, se déplacent sans un bruit, sans se faire remarquer des gens qui les précédent sur le trottoir. Quand le bonhomme est vert, c'est qu'on peut traverser et les deux jeunes s'engagent alors derrière un groupe de personnes. Et tous se retrouvent de l'autre côté. C'est à cet instant qu'une personne se détache du groupe et s'engouffre dans une ruelle. Jed s'arrête net. Le Gros Sam aussi. « Mets ta capuche et remonte ton col». Jed regarde à droite puis à gauche, l'air distrait. « Prêt ? ». D'un hochement de tête le Gros Sam lui confirme. Jed s'élance alors en direction de la personne âgée qui  marche lentement dans la ruelle. Arrivé à sa hauteur, il tente d'attraper son sac à main. Qui résiste. Jed n'avait pas prévu ça. Il est arrêté, bandoulière à la main mais sac toujours contre sa propriétaire. «Lâche le sac la vieille ».Elle le regarde, le défi du regard. Le Gros Sam arrive et la pousse d'un coup d'épaule. La dame perd l'équilibre et titube sans rien lâcher. « Lâche le sac je t'ai dit » hurle Jed. Le Gros Sam pousse la femme qui maintenant vacille. La troisième tentative, un croche pied renversant, la fait tomber, le sac toujours collé contre son corps. Le Gros Sam commence alors à lui donner des coups de pieds, dans le ventre, le dos. La victime les regarde, apeurée, muette, tétanisée. Des larmes coulent sur sa joue. Elle pleure en silence. Jed frappe alors les bras et la tête avec ses baskets dernier cri, celles qu'on voit dans la pub à la télé. « Tu vas le lâcher vieille pute ». S'improvisant mi- footballeurs, mi- supporteurs fachos, Jed et le Gros Sam shootent tous ce qu'ils peuvent que ce soit dans la tête ou le ventre. Le sang gicle de la bouche, les yeux sont fermés et explosé, la tête bleue et rouge. Les mains se détendent et lâchent, enfin, le sac. Jed se penche et l'attrape. Il l'ouvre, trouve le portefeuille et regarde à l'intérieur. Regardant  son pote « 60, 80 euros ouah c'est la fête ce soir, c'est moi qui régale ; direction le four star ! »

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