Argenterie supraterrestre

Hannah

Quand un plafond devient l'amorce d'une nouvelle rencontre avec feu votre bien-aîmée... (texte écrit le 27.12.2010)

Ma maison, ma chambre, mon lit. Et surtout, mon plafond.

Qu'est-ce qu'un plafond pour vous ? Un simple couvercle qui rend votre lieu clos, qui le rend si « sûr » et « inoffensif », surtout quand il se trouve dans un lieu qui vous est familier ; votre résidence, en somme. Mais appeler cela un couvercle rend immédiatement le logis hostile, le transforme en cercueil dont il est impossible de s'en échapper. Où l'on tape dessus, inlassablement, afin de trouver une personne qui daigne nous aider.

Pour moi, le plafond est l'imaginaire.

Il se meut, se transforme, s'ouvre totalement à mon esprit et le laisse s'échapper aussi loin qu'il le peut. Le plafond est mon écran de cinéma. Il est la toile qui projette le film de ma journée ennuyeuse que je décide de changer à ma guise. J'y ajoute des effets, des éléments et une musique adéquate. 

Ma séance journalière se déroule toujours quand la lune se lève, quand ma chambre est soumise au silence cérémonieux de la nuit et à son obscurité empreinte d'une luminosité enchanteresse. Un nouveau monde s'ouvre à moi, les êtres humains que je hais tant disparaissent. Seules restent les bienfaits de l'humanité que je ne peux nier. Mais s'il vous plait, ne me parlez pas de sentiments et autres émotions ; ils ne font que détruire l'humanité. Et je me dois d'apprendre à toujours me méfier d'eux.


                                                     * * *

Ce soir, mon écran est teinté d'argenté. 
Je n'ai cessé d'en voir ces derniers temps et je porte désormais cette couleur en horreur. Ce soir, ce ne sera pas une fin joyeuse ; elle sera même néfaste. 

Cet argent se délaye, il se transforme. Il donne naissance à d'autres couleurs : bleu cobalt, violet byzantium. La brume se lève. Elle m'aveugle. Pourtant, j'arrive à distinguer une silhouette s'esquisser dans le liquide argenté qui me donne envie de vomir. Un sentiment étrange m'envahit. Dans ce dégoût non dissimulé se cache un désir que je souhaite assouvir. Je veux toucher ce liquide visqueux, je veux pouvoir sentir cette forme humaine se glisser entre mes doigts, entrer dans mes ongles pour ne plus en sortir. 

« Dois-je le combler ? Le désir ne gagne-t-il pas plus à ne pas être assouvi ? »

Telle est la question que je me serais posée normalement. Mais je n'en ai pas le temps ; la brume se dissipe et se mêle à l'argent pour créer une chevelure démoniaque. Des courbes superbement dessinées, une odeur d'encens qui s'en dégage sensuellement, un tintement de grelot sonnant à mes oreilles, faisant vibrer mon tympan comme jamais.

Mes sens sont en éveil. Mon cœur joue une symphonie sans cesse amplifiée. L'écran de cinéma s'étend à ma chambre entière. Me voilà embarqué dans une dimension que je ne connaissais pas. L'espace et le temps semblent être totalement absents et interdits de séjour. Je sens mon corps flotter, soulevé par cette chevelure si ravissante, si confortable ; et pourtant si dangereuse tant elle est attirante. 

Mes sentiments s'activent. 
Un souffle traverse mon visage. Une violente caresse. Elle traverse tout mon corps, se joue de moi, me manipule comme une poupée de chiffon. Je m'en contrefiche. Tout vient d'elle. De cette couleur argentée que je me met soudainement à adorer, à chérir plus que tout. Plus rien ne compte. Je ne souhaite que la rejoindre, m'unir avec elle. 

« Et alors ? Tu ne me rejoins pas ? »

Cette voix... c'est de sa faute si je ne crois plus en l'humanité. Elle appartenait à une personne merveilleuse. Que la mort a fauché en plein vol. Pardon. Que les êtres humains m'ont arraché, au détour d'une bataille sanguinolente, au détour d'une bataille qui n'avait pas lieu d'être. J'avais confiance en l'humanité.

Je pensais qu'elle pouvait la protéger...


« Et bien ? Que sont ces larmes qui sortent de tes orbites ? Laisse moi y goûter. Laisse-moi les récolter pour comprendre ce qui fait ton malheur... 
… les êtres humains ? Et tout cela est de ma faute ? J'en suis navrée. Je ne voulais pas t'infliger une sentence aussi terrible. Etre misanthrope, quelle douleur cela doit être. Regarde-moi reprendre forme humaine. Ces formes, tu les as sans cesse lorgnées. Sans cesse, tu les as examinées. Tu les chérissait. 
Et pourtant ; elles restent humaines.
Reprend goût à l'humanité. Ressens-tu ce sentiment chaleureux remonter en toi ? Celui que tu ne cessais d'accueillir en toi lorsque j'étais encore là ?
Me revoilà enfin. Attrape ma main. Unissons-nous. »


Mes sentiments m'ont envahi.
La question ne se posait même pas. Sa main aux formes si belles, si parfaites, m'appelait. Une deuxième chance m'était offerte. Je ne voulais pas la perdre une seconde fois. Ses doigts se tendent au fur et à mesure, s'étirent à l'infini pour la rejoindre. 

J'attrape sa main.
Une sensation de bonheur infinie me submerge. Je suis noyé dedans. Je suis heureux. Heureux de l'avoir retrouvée. Heureux d'être englobé par son profil. Heureux de sentir mon âme s'envoler avec ma promise. 

Heureux d'être humain à nouveau ; dans l'au-delà.


                                                     * * *

Le lendemain, je ne me levai pas.

Le lendemain, je n'étais plus ; mon cadavre gisait dans mon pauvre lit.

Et vous savez quoi. Je suis encore plus heureux. L'au-delà fait de vide est infiniment plus agréable que cette terre imparfaite faite de impétuosité. Je me contrefiche de savoir si les « autres » sont tristes ou non. 
Seul mon bonheur compte à mes yeux ; cela prouve bien que je suis mort humain, non ?


Le lendemain, mes yeux n'étaient plus.
« Les yeux sont le reflet de l'âme... »

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