Arrivé trop tôt
Thérèse Sturm
Ce petit visage, tout ridé m'apparaît. Il est comme tiraillé, entre des pansements, des tuyaux et des alarmes qui sonnent. J'y cherche attentivement une expression, un indice. Comment se sent-il ? Mon petit bébé. J'aimerais tant voir un détail qui évoque un peu de sérénité. En vain. À cet instant, je suis désolée, je ne vois que la souffrance. Ces grandes mains qui soignent, ces gestes précis, efficaces, cet amour, je les vois, mais c'est la souffrance qui me déchire. Je voudrais la prendre et l'endurer à sa place.
La peau de mon bébé devrait être caressée par un liquide chaud, dans mon ventre. Il devrait entendre ma voix, adoucie de l'intérieur et mêlée aux battements réguliers, rassurants, de mon cœur. C'est le lit brut et rêche, sous son petit corps sensible. C'est l'air sec qui entre dans ses poumons. Comme une agression. Mais le seul moyen de survivre, maintenant.
Courage mon amour. Accroche-toi. Ça vaut la peine. Nous avons tant de moments à partager ensemble. Dans mes bras, au chaud à la maison, sur le chemin de l'école, quand tu auras grandi. Tu as tellement de choses à découvrir dans ce monde. Je veux que tu vives. Je t'en supplie.
L'alarme sonne et coupe mes espoirs. Net. Mon cœur s'affole. Mes yeux s'ouvrent grands et, le regard vif, je lis l'écran. Ça sonne encore. Mon souffle est court, s'arrête même. Ce bruit, aiguisé comme une lame, me transperce. L'infirmière apparaît d'un coup. Ses pas sont muets, ses mouvements aussi, pourtant si rapides et déterminés. L'alarme s'arrête. Ça va, ce n'était pas grave. Je reprends place dans mon corps, dans cette pièce, et je vois les objets qui m'entourent. Des couveuses, dont le plastique me semble dur comme du béton, des appareils, qui clignotent sans cesse, des rideaux, sans âmes et identiques. Je les entends crisser, délicatement. Je me sens épuisée. Mais surtout : impuissante.
Cet endroit est marquant. Il m'expose à la mort. Mon corps s'emballe à la moindre alerte. Je panique. Je suis terrifiée. Si vous saviez.
Pourtant, par moments je m'y sens bien. Comme dans un espace coupé du monde, un cocon de ouate. J'y suis une maman. La peau de mon bébé contre la mienne. Le temps s'arrête. Je souris. Et ces personnes, en blanc, silencieuses, qui chuchotent. Discrètes. Elles dégagent l'assurance, la sécurité, l'écoute et le réconfort, comme celui d'une maman. Merci. J'en ai tellement besoin.
Février 2020 Thérèse Sturm