Arun Kashik

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Des vacances bien méritées

Il y avait peu de monde sur le quai de la gare d'Arun Kashik en cette fin de journée du mois d'octobre intergal. Quelques couples promenant leur progéniture, quelques jeunes amoureux se tenant par la main, des promeneurs isolés et solitaires, la dizaine de voyageurs descendus du transgal 2148 venus de la galaxie voisine… C'était de ces derniers dont faisait Yslaïre Isisdore, humain omnipologue de la proto-terre 826.

Yslaïre posa sa valise sur le sol boisé de la gare spatiale et respira à pleins poumons l'air aux senteurs végétal du système solaire vivant. Il s'accouda à la barrière de branchages fleuris qui dominaient le vide abscons et observa les lentes arabesques du système bisolaire.

Ca y est, enfin, les vacances.

Des vacances bien méritées

Désirant ardemment échapper à ce climat anxiogène que les premiers jours d'automne opéraient sur lui, Yslaïre avait décidé de prendre des vacances, quelques jours au vert, littéralement, loin des cieux encombrés de Néo-Néo-Néo-SubParis-V2.

Son voyage jusqu'à Arun Kashik avait pourtant été bien mouvementé. Le transgal s'était trompé de trou de vers (deux fois), et avait fini par échouer dans une galaxie parallèle non référencée de type 404, dont le temps se déroulait à rebours du continuum lambda. Rien de vraiment gênant une fois qu'on était prévenu de ces particularités, mais Yslaïre avait fait la mauvaise expérience d'aller aux toilettes durant ce séjour et son organisme se souvenait encore du déplaisir éprouvé. Une des répercussions positives de ce détour était qu'Yslaïre était arrivé à destination deux jours avant la date même de son départ. La compagnie ferroviaire avait d'ailleurs envisagé de développer ainsi des offres de voyages ferroviaires dans le temps, mais l'Alliance interdisait toutes manipulations temporelles à ses confédérés et préconisait seulement trente-quatre espaces temps parallèles uniques, dont aucun ne pouvaient cependant aller à rebours de l'espace-temps original. De plus, le trou de vers s'était refermé au bout de -120 clics et l'entrée à cette galaxie était de fait probablement perdue à tout jamais.

Quoi qu'il en soit, repensa Yslaïre en oubliant ses considérations probablement héritées de son occupation abrutissante d'employé de bureau, il avait fini par arriver sur Arun Kashik, et c'est tout ce qui comptait. Surtout avec deux jours de vacances en rab.

Avec plaisir, il vit surgir au détour d'une feuille géante à la couleur ambroisée, les globes incroyables du soleil bicéphale du système d'Arun Kashik. Invariablement, les soleils bicéphales lui rappelaient toujours une fantastique paire de fesses géantes enflammées, qui inspirait l'âme poète, et légèrement libidineuse d'Yslaïre. Rapidement d'autres feuilles se déployèrent, et l'atmosphère du spatioport se densifia pour protéger les voyageurs des plus dangereux rayonnements.

Arpentant les quais tranquilles de la gare, il se surprit, l'âme légère, à siffloter et à humer diverses fleurs que la planète faisait pousser sur son passage. Il n'y avait pas beaucoup de visiteurs. Au loin, au bout de la racine-liane projetée dans les étoiles, se dessinait gironde la sphère émeraude d'Arun Kashik. Baignée de cette lumière dorée, de ce nuage de pollen entêtant comme une pluie d'or, Arun lui apparut aussitôt comme le plus beau des mondes paradis.

« 4 gouttes, s'il vous dit. », lui demanda son siège alors qu'Yslaïre prenait place dans la navette à destination de l'hub principale du système. Il sortit son porte-gouttes flambant neuf de son sac de voyage et déposa précautionneusement quatre gouttes de fertithunes dans le tube poussé à cet effet. Les cosses hérissées de piques de son siège s'ouvrirent, se transformant en accoudoirs et lui libérant la place.

« Merci. Bienvenue dans le système Aruns, ami. »

Quelques autres voyageurs montèrent et la navette décolla. Orbitant doucement sur les courants astraux qui menaient du spatioport à la canopée, Yslaïre eut tout le loisir d'observer le charmant paysage.

Arun Kashik était un monde intégralement végétal. Une planète vivante d'un petit système lointain et isolé du neuvième quadrant. Les racines de la planète traversaient l'espace pour atteindre presque tous ses satellites et monde proches, dont elle partageait allégrement les ressources, s'appuyant sur un système organique d'échanges, de fusions et d'alchimie végétale, faisant entrer le système dans une autarcie totale, dépendante seulement des fréquents nuages d'astéroïdes à la glace précieuse, et des vapeurs éthyliques spatiales qui souvent passait dans son secteur.

Le système, vu de l'espace, ressemblait à une immense et gracieuse toile d'araignée végétale d'une envergure démesurée.

La navette finit par arriver à Aka Souche, la ville principale de la planète. Construite au sommet de la canopée, la ville était un magnifique capharnaüm vivant de feuilles, fleurs, bourgeons, pistils, jeunes pousses et vieilles écorces dont les infinies ramifications, et, il faut l'avouer, l'odeur entêtante des fragrances et autres lipides synthétisés à une échelle planétaire, donnait au voyageur une forte et puissante sensation d'euphorie, qui durerait tout le temps de son séjour, à des degrés plus ou moins variable suivant le moment de la journée.

Il était d'ailleurs intéressant, se dit Yslaïre en descendant une rampe végétal qui se déroulait sous lui pour le mener à son hôtel, dans le creux intime d'une fleur déployée, de se rappeler de la raison de l'interdiction d'arrimage en vaisseau spatial dans le système tout entier.

En 1928 AA, le système avait découvert par le capitaine Owakkanik Noiram Banunk. Subjugué par ce monde à la beauté entêtante, les marins y passèrent un séjour incroyable, se promenant de fleurs  en fleurs aux grés de leurs parfums, ils propagèrent rapidement aux quatre coins des spatioports les légendes sur Arun Kashik. Moults autres voyageurs s'y rendirent, les escales s'y firent de plus en plus nombreuses, et, peu de temps après, on constata sur nombre d'autres mondes confédérés l'apparition de plantes exactement similaires à celle d'Arun Kashik : des plantes intelligentes, réactives, à la croissance et à la vivacité folle. Arun Kashik, la plante géante, avait commencé à coloniser d'autres mondes portant son pollen sur les ailes des vaisseaux.

Bannir fut le premier système à ‘tomber', depuis devenu monde similaire à Arun Kashik (d'ailleurs maintenant appelé Arun Bannir), il n'en a pas moins un charme bien moins important. Malheureusement cette Arunaformation se fit au détriment des habitants de ce monde (une espèce pacifique de poissinidés) qui s'éteint presque du jour au lendemain.

Depuis lors, la présence de vaisseaux est interdite dans Arun Kashik, mais les particularités si miraculeuses du monde (dont l'intelligence, bien que prouvée, n'a pu encore être contactée) sont fréquemment utilisées pour sauver des systèmes en perdition, dont l'aridité n'aurait eu d'autre finalité que de transformer en mondes morts.

« Chambre Nuage Clair, s'il vous dit. », dit Yslaïre en souriant.

Récupérant les clefs de sa chambre, il monta le petit escalier de bois qui menait à l'étage, et là, rose parmi les roses, pétale parmi les pétales, beauté étincelante dans sa vallée chantante, il retrouva Noiram son amour, qui, adossée à une fenêtre, regardait les jours jumeaux croître et décroître sur ce monde pétulant en lent mouvement.

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