Asphalte

Le Méchant Loup

Je n'ai pas l'habitude d'écrire des choses agréables. Ces quelques lignes, je les aient écrites après une longue balade, sans relecture.

Rêver de route, d'asphalte, de bitume. De rien et de tout sur des kilomètres. Ton souffle et le mien, à l'unisson, vibrants, sur un fil de fer que nous déroule la voie qui s'étend à nos pieds. Chaussés de nos baskets, arrimés à nos planches, chevaliers du voyage et des montagnes. Respirations saccadées, sourires épais et francs. Le vent claque sur nos joues.

On se souvient tour à tour alors de ce qu'on était il y a quelques mois. Frustrés, ligotés à ce qu'on nous imposait. Tu étais sommelier, j'étais archéologue. Maintenant, nous ne sommes plus ou du moins nous sommes tout. La terre n'existe que pour remplir nos pas et conduire les roulettes de nos planches en bois. Notre solitude est si belle qu'on exulte de pouvoir enfin vivre comme on l'a toujours rêvé. Adrien résonne dans nos yeux. Tout s'efface. On ne sait pas où on sera demain. Déjà, la nuit tombe, mais le sourire qui éclaire nos visages suffit à nous rassurer l'un l'autre. Encore une côte, et on sera dans ce village qu'on avait vu du haut de notre perchoir d'évadés.

Evadés, oui, c'est bien ce mot. Des évadés de la société, de la vie, de tout ce qu'elle avait prévu pour nous. Des fous qui ont besoin de plus que de manger et de travailler pour se sentir enfin vivre. Et le vent qui continue d'emmêler mes cheveux et de faire voler ta casquette que tu n'as jamais voulu retirer. Dans nos têtes sonne une mélodie, quelques notes à la guitare qu'on connaît bien. Encore des souvenirs épars traversent nos pensées. Ca fait trois ans maintenant que tu m'as rejoins. Quelques jours de moins que nous sommes partis sur un coup de tête, parce qu'on savait qu'on ne serait heureux que comme ça. Les Alpes, d'abord, où les routes nous ont parfois effrayées, puis les Pyrénées où tu avais peur de croiser un ours. Puis le Venezuela, l'Inde, et tellement d'autres routes que je ne me souviens plus bien si cela fait bien trois ans et non pas trente. Une odyssée de paysages se déplie sous nos pieds au firmament des étoiles dans lesquelles on trempait nos yeux, à Bruxelles. Un besoin instinctif de s'échapper d'une réalité. Qu'importe ce que sera demain, rien ne nous attache au monde à part ce que l'on a devant nous : la couleur fumée des montagnes qui se déguisent en crêtes d'ombres chinoises, ton corps chaud qui sent le bois et la terre dont tu es recouvert. Moi et mes yeux verts qui fixent ton cou dans l'obscurité.

Démissionnaires de nos vies sans vouloir vraiment la quitter.

Que serait il arrivé si tu n'étais jamais revenu et si je t'avais laissé ? Nos vies auraient sûrement été teintées de ces beaux instants. Teintées, seulement. L'amertume aurait laissé place à un souvenir. D'un de ceux là qui enveloppent et ne vous laissent jamais partir.


Le choix d'une vie.




A toi, qui m'a apprivoisé, méchant loup que je suis...

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