Assomption (rimes)

dayatha

Assomption

Dimitri, un matin, s’éveilla en tremblant,

Sous un ciel d’étain, presque gris ; presque blanc.

Un toit sans dimension, sans relief et sans âme,

Même pas menaçant, sans repères, ni trame.

Un froid plafond d’hiver au plein cœur de l’été,

Égaré de décembre au mois qui suit juillet.

Un ciel cendré, déteint, léger comme une plume,

D’un passé poussiéreux, lourd comme une enclume.

Frissonnant sur son banc, recouvert de cartons,

Pour une énième fois, s’éveillant à tâtons,

Dimitri resserra, au cou, son vêtement :

Un costume sans âge, informe coupe vent,

Taillé à ses mesures, à celles d’autrefois,

Si dérisoire armure face au vent et au froid.

Dimitri émergeait de ses rêves plombés,

Les paupières gonflées par trop de nuit passées,

Dans le vent, dans le gel, à compter les étoiles,

La tête camouflée sous les amas de toile,

De ses nuits amnésiques, ne voulant rien garder,

Surtout pas les relents d’un passé torturé.

L’esprit encore brouillé de volutes d’alcool,

Il s’assit lentement les doigts pris dans la colle

De ses cheveux crasseux, faits de poivre et de sel

Où des poux malicieux jouaient à la marelle.

La lumière s’infiltrait malgré lui dans ses yeux,

Décharges tyranniques de photons facétieux.

Il devinait le ciel plus qu’il ne le voyait,

Ses rétines nulle image ne voulant imprimer.

Entre les larmes que la clarté faisait naître,

Apparut de Marie la pâle silhouette :

Frêle statue de marbre sur ce ciel de drap gris

Promesse de douceur pour un cœur si aigri.

De l’église voisine, les cloches résonnèrent.

Surpris par ce vacarme, des  pigeons s’envolèrent.

Camouflant son visage dans ses mains crevassées,

Recouvertes encore d’écorchures du passé,

Dimitri ruminait, pour la dernière fois

Sa colère, sa tristesse, et son manque de foi.

S’apprêtant à quitter le parvis de l’église

Dimitri empoignait son unique valise,

Sans même saluer Notre-Dame-de-Nulle-Part,

Lorsqu’une mélodie fit glisser son regard :

Venant à sa rencontre, deux souliers vernis

Sautillaient et dansaient le long du ciment gris.

Ils s’arrêtèrent net, au milieu de la place

Que la Mère couronnée de son regard enlace.

Les yeux écarquillés, les doigts entrecroisés

Une fillette priait sous les cieux ardoisés,

Devant celle qui trônait, comme un cierge immobile,

La Vierge aux yeux d’amour, dont ne battait un cil.

Des pleins murs de l’église, de briques et de galets

La figure impassible semblait se détacher.

De la main de l’enfant pendait un chardon bleu,

Rappelant le bandeau tissé dans ses cheveux.

Sa prière finie elle déposa la fleur,

Fit une révérence et entra dans le chœur.

De cheveux aussi noirs, aussi souples et brillants,

Notre homme conservait le souvenir ardent :

Ceux de sa tendre femme qu’il aimait respirer,

Ceux de sa chère fille qu’il aimait démêler.

Les larmes jaillissaient de ses yeux embués,

Formant deux sillons clairs sur ses joues encrassées :

Dans ces cheveux, jadis, ses mains avaient pleuré,

Fouillant parmi le verre, le métal acéré.

Lorsque tout se fut tu, ne resta que le sang,

Le sourire immobile de la mère, de l’enfant.

Huit ans auparavant, pour la dernière fois,

Dans leurs mèches sanglantes avaient plongé ses doigts.

D’une trouée dans le ciel, un rayon s’extirpa

Traversa le parvis, vif comme un sherpa.

Il frappa le chardon posé sur le ciment

Eclairant le regard de la Vierge à l’Enfant.

Baignée par la pureté de ce bout de soleil,

La statue immobile illumina le ciel.

Les yeux de Dimitri tout à coup s’agrandirent :

Ils virent la poussière, dans le vent, s’évanouir,

Et celle qu’ils avaient prise pour une statue de plâtre,

Resplendit devant eux, faite d’or et d’albâtre.

Pour une ultime fois, l’homme quitta son banc,

Replia ses cartons, partit en titubant.

Accélérant le pas, sans aucune analyse,

Pour la première fois, il entra dans l’église.

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