@richard
olivier-denis
En regardant d'un peu plus près la vie de Richard, les points de bascule apparaissent. Marié durant vingt ans, deux enfants, un job de cadre après des études d'ingénieur parfaites, c'est à l'approche de la quarantaine que l'ouvrage a commencé à se détricoter.
L'ambiance et l'engouement lié au travail a lentement fait défaut. Plus la niaque, plus l'envie. Et les jeunes qui poussent derrière, nerveux et créatifs, solidement stimuler par différents produits énergisants légaux ou pas. Pas le style Richard, la dope. Si la maturité acquise dans son poste lui valait encore le respect de sa hiérarchie, il sentait bien que son aura, son charisme lui échappait inexorablement. Une fatigue générale, de tout et de rien en particulier, lui pesait plus lourdement chaque jour. Avec son épouse, cela durait depuis plusieurs années d'un calme indifférent. L'argent rentrait, la maison se payait, la piscine était désertée, les enfants moroses et absents.
Pour meubler de longues soirées sans vie, Richard développait un goût pour les réseaux sociaux. Des soirées entières à scroller des pages de photographies, de vidéos. D'Instagram en Tumblr, sur Pinterest comme sur Facebook, il nouait des liens par tchat, se construisait des profils, des avatars, se racontait une personne différente pour chaque réseau. Depuis son téléphone mobile, il a commencé à photographier sa vie. Il captait au départ des bribes de quotidien. Il photographiait son bol de café, ponctué d'un bonjour sur Facebook. A la pause déjeuner, ses partages de positions géographiques sur FourSquare renseignaient ses followers sur ses impressions gustatives. Il twittait et retwittait toute la journée, des posts de toute sorte qu'il ne lisait généralement pas. Ses réseaux s'étoffaient. Son matériel numérique se saturait rapidement et il le renouvelait chaque trimestre.
Depuis son micro blog et en constatant que ses partages de photos érotiques étaient apprécié par une communauté grandissante, l'idée d'aller plus loin s'imposait peu à peu.
Richard est devenu Sandra, un soir de novembre.
Seul, dans cette maison cossue que toute la famille fuyait, il a entrepris de se raser les jambes. Par jeu, par excitation, pour essayer. Richard a comprimé ses pieds dans des escarpins de sa femme et a réalisé une trentaine de clichés. Ce soir là, vers 23h, les jambes de Sandra pénétraient sur la toile. Vers cinq heures du matin, les premiers likes sont arrivés. A la pause déjeuner, il avait deux commentaires. Courts, laconiques, ces commentaires saluaient sa mise en scène d'émoticônes cocasses.
Il a reposté le lendemain. En ajoutant quelques filtres, en jouant sur les paramètres de son APN, ses petits clichés carrés devinrent plus évocateurs. Les commentaires et les likes se sont succédés très vite. Des hommes, sans doute en recherche d'un certain fétichisme numérique, semblaient apprécier grandement les jambes de Sandra. Richard posait. Centré sur ses jambes, il se photographiait des heures durant et ses images faisaient comme un roman photo d'une mystérieuse et coquine Sandra. Ses fans devinrent réguliers et entreprenants. Ils en voulaient plus, demandaient à s'entretenir avec lui/elle, réclamaient des tchats coquins.
Richard a pris peur. Le jeu devenait plus compliqué, plus excitant aussi. Trop excitant. Pendant trois semaines, vers les fêtes de fin d'année, Richard n'a plus rien posté de Sandra. Quelques followers ont tentait de réclamer, de relancer sa production d'images mais en vain. Le microblog de Sandra était en sommeil.
Début janvier, son entreprise l'envoya trois jours en déplacement. Un séminaire soporifique, dans une préfecture normande en janvier n'a rien de passionnant. Le wifi de l'hôtel lui permettait, de sa chambre, la connexion à ses réseaux. Le dernier commentaire posté sur le microblog de Sandra était « je te veux ». Le cœur de Richard s'est emballé. Il était nerveux, excité, amusé aussi. Quelques achats de lingerie à l'hypermarché local ont amélioré la silhouette de Sandra. Des bas, de nouvelles chaussures achetées à bas prix chez un discounteur et une première culotte, fine et échancrée, gris perle. Le contenu du mini bar de la chambre d'hôtel a stimulé les poses. Un peu grisé par l'alcool et excité comme jamais, Richard s'est photographié davantage. En profitant du miroir de la chambre, ses positions lassives où ses jambes et ses fesses se transformaient en objet de désir, Sandra sans visage croisait et décroisait ses membres inférieurs, se cambrait les reins. A la fin de ces trois jours, plus de 80 followers étaient abonnés et likaient la centaine de photos de Sandra.
Dans les semaines qui suivirent, Richard consacra de plus en plus de temps à faire vivre Sandra. Il ne photographiait jamais son visage mais peu à peu ses nombreux fans se régalaient de vues suggestives, finement filtrées par les options du réseau et qui composaient une timeline des plus érotiques. Richard ne se contentait plus de lingerie mais incorporait à ses poses des sextoys, commandés par correspondance. Sandra devint de plus en plus coquine et démultipliait ses fans. Richard avait étudié d'autres profils sexy et analysait les attentes diverses. Les tenues, les sextoys puis vinrent des simulacres de pénétrations, pour ajouter du piment. Succès garanti. Sandra pensait également aux fétichistes en tout genre et proposait régulièrement des gros plans de ses pieds, tantôt nus, tantôt caressant des répliques démesurées de sexe d'homme. De gros plans de ses lèvres peintes, suçant et mordant ces gadgets phalliques eurent beaucoup de visites et de commentaires excités. Chevilles attachées, fesses rougies de ses propres fessées, son anus glabre badigeonné de lubrifiant lui valurent de dépasser les mille followers. Cinq nationalités semblaient se donner rendez vous sur le journal de Sandra.
Son travail ne le passionnait plus et cela se ressentait au bureau. Il eut droit à quelques remarques de sa hiérarchie puis fut convoqué par son supérieur direct qui s'inquiétait, apparemment. Il inventa des problèmes de couple et familiaux mais aucun de ces collègues semblait y croire. En famille, la situation n'évoluait plus. Il n'osait montré son corps nu et rasé à son épouse et plus aucune sexualité ne s'interposait entre eux. Les tenues de Sandra ne quittaient pas une grosse valise qui demeurait dans le coffre de la voiture de Richard. Toutes les prises de vues s'effectuaient à l'hôtel, réglé en espèces.
Pâques arrivait avec son éternel repas familial. Les beaux parents de Richard vinrent déjeuner. La femme de Richard s'acheta un sourire de circonstance et les enfants mimèrent assez correctement la joie familiale d'un dimanche pascal pluvieux et froid. Richard et son beau père se retrouvèrent à l'issue du repas pour un alcool au salon. Ils se méprisaient tous les deux depuis des années, depuis le mariage de Richard et de cette fille unique et choyée par ce père au demeurant très autoritaire. Cet entrepreneur de province, gaulliste bon vivant et lubrique dégoûtait Richard. En faisant semblant d'écouter le petit patron lancé sur la méticuleuse narration de son dernier déplacement en Asie, Richard fut pris d'une irrésistible envie d'être Sandra. Il s'excusa et, enfermé dans la salle de bain, se déshabilla rapidement. Son pénis coincé entre ses cuisses serrées, les clichés se focalisaient sur son pubis aux poils soigneusement préparés. Richard sélectionna deux des prises de vue et les envoya de son smartphone, avant de se revêtir et de rejoindre le salon.
Les femmes discutaient dans la véranda, les enfants s'étaient éclipsés discrètement. Debout prés de la porte fenêtre du séjour, le beau père de Richard répondait à un message, de son téléphone. Concentré sur sa tâche numérique, le rondouillard septuagénaire n'a pas entendu les pas de son gendre, ni remarqué son regard effaré, porté sur l'écran où apparaissait une photo sépia, cadrée de noir et aux angles floutés au centre de laquelle Richard reconnu ses poils pubiens.
@papycockin32. Branle toi petite !!!
Livide, Richard rempli son verre ballon d'un double cognac, au bord de la nausée en entendant le vieux souffler comme un bœuf en tapotant son clavier.