Au détour de la rivière
Kaa
Sur le bord d'une rivière se tient l'homme. Les mains jointes derrière son dos droit, il contemple de ses yeux hautains et le menton relevé, la misère qui s'est abattue sur le monde. De cette misère il est la cause, de forces jusqu'alors ignorées il est l'instrument. Et jusqu'à ce qu'advienne la disparition de la moindre présence humaine à ses côtés, il ne cessera son oeuvre. Les hurlements des enfants que les flammes de l'enfer lèchent avidement ne parviennent à l'émouvoir, lui qui, loin de détourner le regard du fameux spectacle, en inscrit le moindre détail, la moindre subtilité dans sa mémoire. Chaque visage, chaque regard, chaque larme, fera en son esprit l'objet d'un culte, sera un autel, un souvenir, un témoignage à la gloire de ce qui doit être fait, de ce qu'il doit faire. « Que de la folie naisse ma jouissance, que de la mesure naisse ta misère ! » s'écrit-il nourri du feu de sa passion. Et le monde doit se consumer, le monde de l'autre car c'est bien de ses cendres que sa Terre à lui verra le jour se lever, le soleil rayonner et le vent tracer des ondes à la surface encore bouillonnante de ces rivières écarlates, nerfs de sa propre existence.