Au détour de la rivière 2

Sur un chemin de campagne un jeune garçon marchait avec la désinvolture d'un enfant de son âge. Nul ne savait que cette enfant ferait, un jour prochain, sombrer le monde dans le chaos le plus total, un extraordinaire chaos. Nous l'avions suivi de près mais avec assez de vigilance et de finesse pour qu'il ne nous remarqua pas. Fallait-il que notre travail ait été d'une importance capitale car sans cela nous aurions déserté cet infâme village depuis bien longtemps. Ce n'était pas tant la laideur de ses habitants que l'ennui mortel d'y passer ses journées qui nous faisait le juger si sévèrement. Les jours passaient et chaque lendemain ressemblait si fortement à la veille qu'on éprouvait rapidement la sensation étrange de ne jamais vivre l'instant présent. Nous ne pouvions qu'imaginer la souffrance que ce devait être pour cet enfant que de vivre en ce lieu que la mort semblait avoir choisi pour foyer. D'ailleurs la mort nous la connaissions bien et certains de nos camarades soutiennent encore contre nous que même elle ne voudrait vivre en un tel endroit. Il n'empêche que nous ne pouvions que compatir et comprendre, s'il on puit dire, ce qui avait pu pousser l'enfant à devenir ce qu'il devait être. Là encore quelques camarades, le visage révulsé, nous accusaient de faire preuve d'une trop grande sollicitude à l'égard de cet être qui n'en méritait pas autant. À leur écoute nous haussions les épaules sans pour autant en penser moins. Nos journées se résumaient donc à des tours de garde dont le but était simplement de déterminer le profil psycho-pathologique du jeune homme, autant vous dire qu'ici la chose n'était pas facile puisque les événements qui pouvaient l'amener à avoir un comportement sortant de l'ordinaire, ou pouvant nous apprendre quelques choses de sa personnalité étaient aussi rares qu'exceptionnels. À ce jour tout ce que nous nous avions pu déterminer sur sa personnalité c'était qu'il était un enfant bien élevé, attentionné et toujours prêt à aider les nombreuses personnes en fin de vie qui peuplaient la majorité des villages comme celui-ci du pays. Autrement dit c'était un amour et rien n'indiquait encore ce qu'il allait être, ce qu'il allait faire.