avec la psychologue scolaire

Simon Lecoeur

chapitre 9

Ma mère finit par voir certaines choses et prit rendez-vous avec la maîtresse. Un soir, de décembre, après l'école, dans la classe vide, les deux femmes échangèrent à voix basse alors que j’étais devant la fenêtre et regardais la nuit envahir la ville :

« Non, mon comportement n'a pas changé depuis un mois, je reste toujours un peu rêveur, un peu tête en l'air. Depuis cette rentrée, je parais bien intégré au groupe des petits camarades. »

Non, la maîtresse ne m'avait jamais surpris seul dans mon coin, en train de bouder. Aucun signe inquiétant de comportement. J'aimais bien pratiquer les sports collectifs. Je ne manifestais pas d’agressivité particulière, au contraire, j’étais plutôt prévenant avec les copains. Je conservais même un bon tempérament, annonça-t-elle à la fin de la rencontre.

Cette image que je donnais était tellement éloignée de ma réalité, que je fus surpris d’être si bon acteur et de tromper ainsi mon entourage.

La décision fut prise de me faire bénéficier d’un soutien particulier. Au lieu de suivre la classe deux après midis par semaine, la maîtresse me conduisait dans un bureau, à côté de celui de la directrice. J'y attendais une dizaine de minutes, devant une grande table, l'arrivée de la psychologue scolaire, qui me gardait pour des séances d’une heure environ. La femme d'un certain âge avec de grosses lunettes, des cheveux très courts arrivait toujours essoufflée. Elle devait s'asseoir sur la chaise face à moi et reprendre sa respiration de longues minutes. Je la regardais fixement. Elle sortait un petit cahier et débutait ensuite invariablement par un :

"- Comment ça va aujourd’hui mon garçon ?"

Ce rituel m’amusait, je ne la prenais guère au sérieux. Je ne comprenais pas qu'une personne étrangère à l’école puisse intervenir spécialement pour moi et repartir aussitôt après. Elle abordait surtout des sujets d’ordre privé.

Madame Touzelier me questionnait longuement, respectant mes silences. Je lui répétais souvent que je n'avais rien à faire avec un médecin.

« - Mais mon cher jeune homme tu n’es pas malade... Je veux seulement que tu répondes en disant ce qui te passe par la tête. »

Les mêmes questions revenaient. Est-ce que je voyais mon père régulièrement depuis son départ ? Et ma mère ça allait à la maison ? Est ce que je la trouvais abattue, fatiguée, énervée ? Est-ce que je l'avais vue ou entendue pleurer ces jours derniers ? Est-ce qu'elle s'occupait toujours de nous comme avant ? Qui préparait les repas à la maison ? Qui faisait les courses ? Est-ce que les enfants aidaient comme faire nos lits le matin, ranger nos affaires, débarrasser la table du petit-déjeuner, laver nos bols ? Et la nuit, est-ce que je dormais bien, comment étaient mes cauchemars ? Est-ce que je parviendrais à les raconter ? Je racontais souvent la vérité. Parfois, j'improvisais en fonction de mon humeur, de ma patience du moment.

Durant la seconde partie de la séquence, je coloriais des formes géométriques, j'écrivais, j’illustrais des contes que j’inventais. J'avais l'impression de travailler comme lors d’un cours particulier.

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