La rue de Turenne Ch 10

Bernard Delzons

Encore des découvertes ; Aveuglement ?

L'infirmière :

 

 

Édouard et son ami étaient en train de boire une bière quand sous leurs yeux le meuble reprit sa place. Édouard décida d'aller explorer l'autre appartement pendant que Camille resterait dans celui-ci pour lui rouvrir en cas de fermeture inopinée.

Mais quelqu'un sonna à la porte, remettant à plus tard leurs recherches, les garçons s'empressèrent de refermer le dispositif. Édouard alla ouvrir. C'était Camille l'infirmière. Ils lui offrirent une boisson. Tout en buvant, elle leur raconta ce qu'elle avait appris par sa mère.

 

-       Ma grand-mère vivait dans cet immeuble pendant la guerre. Elle est morte quand ma mère était encore enfant. Elle avait laissé une lettre dans laquelle elle racontait que dans l'appartement que vous habitez, il y avait une famille juive. Des gens très agréables, écrivait-elle. Mais c'était une famille atypique, la femme été d'origine indienne. Leur fils ressemblait à son père avec juste un teint de peau qui rappelait celui de sa mère bien que moins foncé. Leur fille était , au contraire, le portait de la mère. Pourtant, à l'évidence quand on les rencontrait on s'apercevait vite que psychologiquement c'était l'inverse. Elle les avait côtoyés ainsi pendant presque deux années. Malheureusement, la concierge de l'époque les aurait dénoncés et la Gestapo serait arrivée pour les arrêter. Mais quand les allemands étaient montés, il n'y avait personne dans l'appartement que la gardienne leur avait ouvert avec son passe-partout. Ma grand-mère écrivait qu'elle n'avait jamais revu aucun membre de cette famille, et qu'on n'avait jamais su ce qu'ils étaient devenus. Ma mère avait appris bien plus tard qu'Ils étaient propriétaires, et qu'il fallut attendre des années avant de pouvoir revendre l'appartement. Personne n'en voulait, persuadé que ça porterait malheur. Finalement c'est un service de la mairie qui l'aurait racheté et qui l'aurait loué à des gens de passage qui ne connaissaient pas l'histoire. Puis finalement c'est toi qui l'as acheté. Mais ce qui est curieux, c'est que ma grand-mère qui habitait l'appartement qu'occupe James aujourd'hui. Elle affirmait, dans sa lettre, que certains soirs, elle voyait de la lumière dans cet appartement. Cela avait duré plusieurs mois, puis un jour ça s'était brusquement arrêté, un peu plus de deux ans avant la libération.

Son histoire terminée, l'infirmière repartit en les invitant à partager un pique-nique au bois de Vincennes, le dimanche suivant. Il ferait un footing avant de déjeuner. Édouard demanda si c'était la semaine suivante. “Mais non, répondit-elle, demain c'est dimanche non ?”, Nous serons sans doute tous les trois, à moins qu'un de mes amis accepte de venir avec nous. Camille l'avait suivi peu de temps après pour aller à son atelier.

 

Édouard, seul dans son appartement, était perplexe. Il se demandait pourquoi l'infirmière était venue lui raconter ça. A cause de ses origines, se demanda-t-il ? Il ne pouvait cacher ses ascendances indiennes. Il ne savait pas grand-chose de la famille de ses parents. Ils n'en parlaient jamais. Il savait simplement que leur famille avait refusé leur mariage parce qu'ils étaient de castes différentes. Si en France les mariages étaient difficiles pour des personnes de milieu différent en Inde, c'était quasiment impossible. Alors ils avaient émigré à Madagascar en provenance de l'Inde, mais il n'en connaissait pas les détails, ses parents refusaient d'en parler. A moins que ce soit lui qui refusa d'écouter. Quelques années après, quand Madagascar était devenue indépendante ils avaient opté pour la France avec Mayra sa grand-mère. Il ne s'était jamais demandé où Mayra était née, pensant que c'était à Tananarive . Ce n'était pas sa vraie grand-mère, mais elle se comportait comme-t-elle. Ça il le savait. Lui aussi était né en France une bonne dizaine d'année plus tard, il n'avait jamais posé de questions tant il l'insupportait qu'on lui demande quel était son pays d'origine. 

 

Il se remémora une anecdote qui lui était arrivé quand il était encore lycéen. A l'époque il fréquentait un atelier de théâtre, animé par une jeune femme Ecossaise. Elle racontait qu'on l'avait longtemps prise pour un français à cause de son nom : « Jean Dignon, mais qu'il aurait fallu prononcer« Jine Dainone ». Un jour, pendant une séance, elle avait demandé à une jeune fille de s'imaginer aveugle et de raconter ce qu'elle ressentait. La jeune fille était restée muette. Édouard s'était proposé pour essayer à son tour. Il raconta que le blanc était l'odeur de la lessive que faisait sa mère avec la lessiveuse sur la cuisinière. A cette époque ses parents n'avaient pas encore une machine à laver. Le brun était associé au riz au lait au caramel que sa mère faisait les jours de lessive en profitant de la cuisinière en service. Le vert était l'odeur de de l'herbe fraichement coupée. Le rouge était le gout du sang quand il s'était coupé le doigt. Il avait éprouvé ce jour-là un plaisir immense en remarquant qu'il avait captivé l'attention de son petit auditoire. Mais la jeune animatrice l'avait ramené à la réalité en lui demandant comment il pouvait décrire quelque chose qu'il n'avait jamais ressenti. Elle lui avait demandé en partant, alors qu'ils étaient seuls, pourquoi, il était plus facile pour lui d'imaginer le monde, plutôt que de le voir tel qu'il était et pourquoi…Il avait cru entendre famille, mais il s'était alors enfui, pour ne pas avoir à répondre. Il se rappela qu'à l'époque, il croyait ne pas plaire aux filles, sans se demander si ce n'était pas lui qui ne s'intéressait pas à elles. Il avait même eu une relation avec une jeune aveugle, assuré qu'elle ne le jugerait pas sur son apparence, jusqu'au jour où elle avait entrepris de le « dévisager » avec ses mains : tout y passa, les cheveux, le nez, les oreilles les lèvres le cou, la poitrine. Ses doigts le palpaient et il voyait bien qu'elle humait son odeur. Effrayé, il s'était enfui à nouveau… Ils étaient néanmoins restés amis. Quand il la revoyait, maintenant, ils ne pouvaient s'empêcher d'en rire. 

En repensant à ce que l'infirmière venait de raconter, il pensa qu'il faudrait, enfin, qu'il demande à ses parents de lui raconter comment ils avaient quitté l'Inde et s'ils avaient encore de la famille dans ce pays et comment ils avaient connu Mayra, la vieille dame qui était décédée quelques années plus tôt.

Mais il devrait attendre qu'ils reviennent du Portugal, 


 

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