Bang Bang
atsuna-revane
Note : Ce texte est inspiré de la chanson du même titre, Bang Bang, chantée par Nancy Sinatra. Cependant le texte ne colle pas autant à la chanson que 'Pieces", mais c'est ce qui m'est venu en l'écoutant.
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On a décidé de vivre ensemble, du jour au lendemain.
Pas qu'on en ait vraiment eu envie, non, mais plutôt par nécessité.
C'était juste comme si on ne pouvait pas vivre l'un sans l'autre.
Comme si chaque seconde passée loin de lui me tuait à petit feu.
Lui était plutôt du genre extraverti, impulsif. Il passait d'une émotion à l'autre avec une sincérité écrasante, avec la force d'un soleil en plein explosion. Et je me sentais bien en sa compagnie, pour cette raison ; comme s'il était parvenu à me réchauffer le coeur. Il m'apportait en quelque sorte la part d'humanité qui m'avait toujours fait défaut.
Moi par contre, j'étais tout le contraire. Renfermé, silencieux, hypocrite. Je préférais mimer la bonne humeur plutôt que de montrer ce que je considérais comme des faiblesses. Je ne voulais pas qu'il sache que j'avais mal, que je souffrais, que je me posais trop de questions. Des questions sur lui, sur nous, sur cette relation pas naturelle.
Seulement, il me comprenait trop bien, et peu à peu, il a mis chacun de mes pires secrets à nu. Il m'a dépecé, m'a décortiqué jusqu'à ce qu'il ne reste rien des barrières que j'avais érigées autour de moi avec tant de soin. J'étais faible, à sa merci, mais je me suis laissé faire parce que je voulais qu'il m'aime. Je le voulais de tout mon âme. Même si je n'étais pas capable de lui rendre le centième de ce qu'il m'offrait.
Et ça me rendait malade.
Et j'avais envie de pleurer, de hurler, de lui faire mal comme il me faisait du mal.
Pourtant je l'aimais. Aussi sincèrement que possible. Avec autant de force qu'il m'était donné de posséder.
Et ça me rendait euphorique.
Et j'avais envie de crier de joie, de le serrer dans mes bras encore et encore, de m'enivrer de lui, de me repaître de la lumière qu'il dégageait.
Ce que j'aimais le plus chez lui, c'était sa façon de venir se blottir contre moi durant la nuit. De me caresser le visage tendrement quand je faisais des cauchemars. De toujours être attentif au moindre de mes mouvements. Son regard était du genre de ceux qui vous couvent en permanence, comme si vous étiez la chose la plus précieuse au monde.
Ce que j'aimais le moins ? Probablement sa manie de toujours pleurer quand j'avais envie qu'il rie. Ou de toujours me sourire quand je voulais qu'il se fâche.
Notre vie de couple était loin d'être parfaite. Il y avait des hauts et des bas. Surtout des bas, en fait. Mais étrangement, ni lui ni moi ne parvenions à nous détacher de l'autre. Et plus nous essayions, plus c'était difficile.
« Les vampires n'existent pas. Le véritable vampire, c'est toi, » m'a-t-il dit un jour, le visage baigné de larmes. Ca pourrait sembler ridicule, et pourtant... Pourtant, oui, j'étais un vampire, un parasite se nourrissant de lui. Je le menais tout droit vers la mort, tout en sachant que sa mort me tuerait. C'était inexorable. Aussi certain que personne n'est éternel.
Je l'ai vu se saigner pour moi – littéralement -, j'ai vu son regard mourir, son corps s'affaiblir pour toutes mes folies, j'ai vu son esprit s'effilocher à mesure qu'il pénétrait le mien. Nous n'avons rien pu faire. Et nous fixions cette mer déchaînée emporter nos corps désarticulés loin du rivage.
J'aurais dû tout arrêter depuis longtemps.
J'aurais dû.
Mais j'en ai été incapable. Et voilà où nous en étions, ce jour-là. À se fixer sans comprendre ce qui se passait. Je pense que nous avions dépassé la limite. Franchi une barrière invisible. Sauté une falaise de trop. Et la blessure que je venais de lui infliger, c'était celle qui venait de nous précipiter droit vers la chute.
« Pourquoi ? » me demandait-il.
Il aurait dû pleurer. Mais à la place, il me regardait avec ces yeux étrangement secs, toute l'amertume du monde gravée sur son visage. Toute la douleur enfouie dans son coeur, cachée derrière un rictus, un pantomime de sourire.
Pourquoi ? Pourquoi est-ce que j'avais ramené ce gars dans notre lit, pendant qu'il n'était pas là ? Pourquoi ça faisait deux mois que je ne voulais plus le toucher ? Pourquoi je préférais boire de la vodka dans le bar d'à côté et baiser avec des inconnus plutôt que de passer la soirée avec lui, comme avant ? Pourquoi est-ce que j'avais cette sale manie de détruire tout ce que je possédais ?
Pourquoi est-ce qu'il m'avait aimé ?
Pourquoi, moi, je l'aimais encore ? Est-ce que je l'aimais vraiment ?
« J'en sais rien. »
« T'en sais rien ? Moi, je crois que j'ai compris. »
Je savais que, dans la main qu'il tentait de cacher de mon regard derrière son dos, se trouvait le magnum que j'avais rangé dans la garde robe.
« Est-ce que tu crois que ça vaut encore la peine d'espérer ? Est-ce que j'ai encore une bonne raison d'être là ? » me demanda-t-il ensuite, la voix à peine brisée par ses sanglots retenus.
« Je voudrais te répondre que oui, » je baissai la tête piteusement avant de continuer, « tu sais que j'ai besoin de toi... »
« Et moi, tu sais de quoi j'ai besoin ? »
Il tendit le magnum vers moi d'une main tremblante, puis l'agita autour de lui, désignant notre appartement.
« C'est pas de ça dont j'ai besoin, » continua-t-il. « J'ai attendu. Que tu reviennes vers moi, comme avant. J'ai tout fait pour te rappeler que j'existais encore. Mais ça n'a servi à rien. J'en peux plus, je suis épuisé. J'ai plus envie de vivre ça... Je t'aime, tu sais, sincèrement. Et je préfère encore mourir que de te voir t'en aller. »
J'ai dégluti difficilement, incapable de bouger. Mon coeur semblait s'alourdir dans ma poitrine à chacun de ses mots. On s'est regardés pendant quelques minutes, sans rien dire, sans frémir. Il n'y avait pas besoin de paroles ou d'explications pour ce qui allait suivre.
J'étais incapable de rester.
Lui non plus.
On n'a pas eu besoin de se dire adieu.
Avant que je quitte la pièce, il m'a dit ce qu'il me répétait souvent : « je peux pas vivre sans toi ».
J'aurais dû rester.
Mais sa voix était déjà morte.
Alors je suis parti.
J'ai fermé la porte derrière moi, les mains tremblantes, le visage blême. Le claquement sonore a résonné un instant dans le silence du couloir. Puis, c'est arrivé.
BANG !
La détonation avait été si courte, et pourtant elle semblait encore présente, presque palpable, dans l'air autour de moi. Elle me compressait la poitrine de son irrémédiable réalité.
Mon coeur s'est arrêté. Je n'ai pas eu besoin d'ouvrir à nouveau la porte pour comprendre.
« Je peux pas vivre sans toi. »
Sa voix se répercutait en échos infinis contre les parois de ma tête, en même temps que je tombais à genoux, fauché par le coup de feu qui venait de m'ôter la seule personne capable de m'aimer.
J'ai imaginé la scène, malgré moi. Le magnum dans sa main, le sourire amer sur ses lèvres, ses yeux rougis par trop de larmes, et ces mots, à peine murmurés - « Je t'aime » -, comme pour rendre plus cruelle cette explosion indécente.
Bang bang, my baby shot me down.
« Tout est fini alors. »
Tout est fini.
5/10/2010