Bâtiment en pleine casse

Yeza Ahem

Texte d'une série sur la démolition des anciens bâtiments de l'UFR de Lettres Modernes à Toulouse

Le bruit, la vue obscurcie par une bâche blanche pour cacher les débris, et le son, peu à peu, qui s'intensifie : machine, roulements, casse, verre brisé, béton broyé comme de la paille, le tout entremêlé, au gré de la main de fer qui creuse, pelte, et entasse. Au sol, des éléments autrefois rigides, façonnés, gisent écrasés. Un smog de poussière de plâtre baigne les ruines. Et toujours ce bruit de va et vient, circulaire, des machines qui creusent, entassent, tournent, creusent, entassent, tournent, creusent... A un endroit, des guirlandes en éléments de béton armé pendent d'un étage survivant au sol, jonché de déchets. A un autre, un ancien panneau d'affichage gît parmi les autres débris de la vie estudiantine. Derrière la grille nous maintenant à distance du carnage transformant le bâtiment ancien en nouvelle montagne, je ressens un malaise. Les salles dans lesquelles j'ai cours subiront le même outrage dans quelques mois, quelques jours... En 2e année, je suis déjà une ancienne. La salle dans laquelle j'ai fait ma carte d'étudiante gît devant moi. Il n'en reste plus que l'indication sur le muret conservé : salle A2, entrée ouest, fléchée vers le néant. Je me recule. "Chantier : interdit au public". Oui, cette partie n'est plus l'université, elle nous a été volée par le chantier, nous excluant de son cœur. Il n'y a plus d'horizontalité dans ce chaos, plus que lignes torses, rompues, plus d'humains jusqu'à... demain ? De ces ruines renaîtront de nouveaux bâtiments, bien vite foulés aux pieds par des milliers d'étudiants qui n'auront jamais connu, jamais vu, l'ancien établissement. Si je vais jusqu'au master, je croiserai certains d'entre eux. Et là, oui, je serai une ancienne. On parlera avec nostalgie des anciens lieux. On se reconnaîtra entre nous, ceux qui ont connu "l'avant", par quelques allusions discrètes, des signes de connivence. Drôle, non ? Pourtant, honnêtement, tant qu'ils étaient debout, ces vieux bâtiments, on s'en plaignait, on critiquait le manque de chauffage, de praticité, d'électricité... Vivement qu'ils soient tous bien cassés pour qu'on se prenne à les aimer !


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