be a good boy (première partie)
Guillaume Vincent Simon
1.
29 novembre 2012
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Il fallait que je termine mes cartons, je quitte Orléans ce soir. Mon appartement à Paris m'attend, mes meubles y sont arrivés, il ne manque que moi.
L'appartement est entièrement vide, plus de tableaux aux murs, plus de décoration. C'est une sorte de grand rectangle sans personnalité, sans bruit, d'un ennui atroce.
Je viens de trouver un super job dans un très bon cabinet d'avocat dans le 8ème arrondissement, je suis très bien payé et je viens d'hériter de mes grands-parents. Je suis assez triste de quitter cette ville, j'y ai passé une grande partie de ma vie.
Je vais dans le hall en marbre de l'appartement ; les cartons de vêtements, mes sacs de voyage, et d'autres trucs dans des caisses en plastique transparent, constituent les seuls meubles qui emplissent désormais cette pièce qui résonnent affreusement.
Mon téléphone vibre au moment où je prends mes clefs dans ma poche pour prendre la voiture. C'est Sarah. Un texto.
"hey ! Tu pars quand ? Il faudrait que l'on se voit avant que tu ne quittes définitivement la ville ! Je t'embrasse"
Je ferme mon téléphone, le remet dans ma poche. À ce moment, je me retourne et contemple mon appartement vide, les carreaux sont sales, et le soleil qui passe à travers fait apparaître les traces dessus. Je sors une cigarette, que j'allume tout en fixant mon ancien chez moi, je suis presque blasé.
Je mets la main sur la poignée en laiton. Je la tourne, je sors de l'appartement et referme la porte en la claquant, les déménageurs passent dans la journée prendre les dernières affaires.
La fumée de ma cigarette me fait pleurer en entrant en contact avec mes yeux bleus. J'ai pris mon sac de voyage gris. Je porte un pantalon à carreaux verts et bleus.
Une fois la porte fermée, je tourne les talons et me dirige vers la grande porte vitrée de l'immeuble, que je claque pour la dernière fois.
2.
"Oui Sarah, c'est Jacob, je quitte Orléans plus tôt, j'ai déjà pas mal de chose à faire en arrivant. Écoute, je ne peux pas vraiment te parler, je suis au niveau d'Auxerre, il pleut des cordes, j'ai failli me prendre un semi avec la Porsche, je t'appelle à Paris ma chérie"
Cela fait deux heures que je roule, je commence à en avoir marre, je suis impatient d'arriver. Je mets de la musique et je m'allume une cigarette.
People are, People so why should it be
You and I should get along so awfully
Je me concentre sur la route, la nuit commence à tomber, il doit être près de 21 heure. Les phares du cabriolet s'allument automatiquement, et diffusent sur la route une lumière froide, que viennent transpercer les milliers de goûtes qui s'écrasent sur la route.
J'ai froid, je tremble, je pense à demain.
Je compose le numéro de Léandre, un très bon ami que je connais depuis des années et que je ne vois pas fréquemment sur Paris. On s'est connu quand on était en 6ème, dans le lycée pour fils à papa que nos parents nous payaient. Ils étaient loin de s'imaginer que c'était en fait un bel apprentissage de ce qu'allaient être nos vies futures. Un gag où finalement nous n'avions pas à avoir de moralité, si ce n'est celle que la décence nous imposait.
"Actuellement indisponible, je vous propose de me laisser un message, je vous rappellerai dans les meilleurs délais, merci"
Ça fait six mois que je n'ai pas eu Léandre au téléphone.
J'avais quand même bien changé, ma vie avait pris une tournure différente. Me retrouver à Paris, j'espère, allait me permettre de renouer avec mes vieux amis, que je n'avais pas vu depuis un certain nombre d'années, suffisamment pour ne plus les connaître.
Perdu dans mes pensées, j'émerge presque en ayant les yeux qui piquent, je ne m'aperçois pas que je suis déjà vers Alfort, tout près de Paris, il me reste à peine 30 minutes de route. Je baisse ma vitesse à mesure que le trafic se fait plus dense. Les roues des semi-remorques arrivent au niveau de mes rétroviseurs. J'ai toujours trouvé cela angoissant, la peur de me faire écraser m'a toujours accompagné sur la route.
J'arrive maintenant quai de la Rappé, il pleut encore plus fort qu'à Orléans, mes essuis-glace dansent frénétiquement sur le pare-brise.
J'arrive Place des Vosges, où je loue maintenant un appartement, il n'y a personne, je trouve facilement de la place pour garer ma voiture. Je sors, il fait vraiment un temps dégulasse. Une bruine grasse s'écrase sur mon visage encore chaud, frappé par un vent glacial ; le ciel est gris, et plat.
Je prends mon sac de voyage mis dans le coffre avant du boxter, avant de traverser vers le 18 de la place, pour arriver chez moi. Mes meubles doivent normalement être déjà installés, il n'y a plus que ce qui est à Orléans qui manquent.
Au moment où je pousse la lourde porte de bois, mon iPhone sonne, c'est Léandre qui me rappelle.
"oui ! Comment vas tu ?"
"Jacob ! Alors ça y est ? Tu es parisien ? Enfin ?"
"oui, j'y suis, je viens juste d'arriver, j'allais rentrer chez moi, pour me poser un peu ; que deviens tu ?"
"écoute, la routine, les soirées, les filles, je ne vois pas le temps passer, et toi ?"
"je commence lundi au cabinet, je verrai. Et toi que fais tu maintenant ? Où travailles tu ?"
"je ne travaille pas, enfin pas comme toi, et euh,"
Il s'arrête un tout petit moment,
"enfin, je n'en ai pas besoin, et ça me saoulerai grave…"
Je trouve qu'il a une voix sombre, comme enrouée et rauque, un accent affreusement snob, vraiment méprisant.
Il s'interrompt encore une fois deux secondes, je l'entends tirer sur sa cigarette :
"écoute Jacob, je ne vais pas rester quinze plombes au téléphone, ce soir, une amie à moi organise une soirée chez elle, avenue Montaigne"
Il s'interrompt de nouveau, avec cette fois-ci un air comme agacé, puis il reprend :
"elle s'appelle Doris, elle est américaine. Ok, elle ne te connaît pas, mais je suis sûr qu'elle sera contente de te rencontrer. Elle invite tout le monde de toute façon, alors un de plus un de moins, ce sera pareil. Ok vieux frère ?"
"Ok, c'est à quelle heure"
Je suis maintenant au premier étage de l'immeuble, j'introduis la clé dans la serrure de la porte de mon appartement.
"à 21h, au 10 avenue Montaigne, dans le 8ème"
Il s'interrompt de nouveau, je l'entends à ce moment précis dire à une autre personne : putain tu me saoules là, arrête ça, puis il reprend :
"bon Jac' je te laisse à ce soir, je compte sur toi - bye"
Il raccroche aussi sec.
Je pousse la porte, tous mes meubles ont bien été posés tel que j'avais demandé au déménageur, la femme de ménage est passée également a priori, tout paraît vraiment très propre.
Je passe dans le salon qui donne sur la place, puis pénètre par une double porte dans ma chambre, qui donne sur la cour. Mon lit futon est fait, et j'aperçois dans le dressing que tous mes vêtements ont été rangé. Je suis heureux de ne pas avoir à faire ça, je déteste.
Je décide d'aller dans la cuisine me faire un café. J'allume les lumières du salon, qui diffusent un éclairage tamisé, pour me diriger vers ma cuisine en granit gris. La lumière s'y allume automatiquement.
J'insère une capsule dans la machine intégrée au mur, puis j'attends que ma tasse en verre se remplisse.
Une fois fait, je bois mon café appuyé contre le mur, et j'observe les gens passer sur la place. Il pleut maintenant. Il fait bon chez moi.
Les gens passent en courant le long des grilles qui entourent le parc. Les gouttes, à travers les réverbères tracent des lignes droites, qui partent dans tous les sens, et lacèrent la nuit tombante. Je rêvasse en m'interrogeant sur la manière dont Léandre m'a répondu. Comme si je le dérangeais alors qu'il m'appelait.
Je me rends compte qu'il est déjà 20h, et qu'il faut que je me prépare. Je compte arriver à cette soirée vers 21h30. Jamais à l'heure, c'est impoli.
Je file enfiler mon smoking et ma chemise, en passant devant la glace, je me regarde. Cela se voit que je viens de passer deux jours à bouger sans cesse, sans vraiment me reposer. J'ai le teins terne, mes yeux bleus sont presque cernés, et ma barbe est mal rasée. Je me trouve affreux.
Je n'ai pas le temps de faire quelque chose de mon visage, il faut que je parte. Je mets ma chemise qui vient sans doute d'être repassée par la femme de ménage qui avait la charge de l'installation de mes affaires et de les rendre prêtes à une utilisation immédiate.
Les haut-parleurs intégré au plafonds de l'appartement diffuse le concerto n°3 de Rachmaninov par Luganski, cette musique m'a toujours transporté, et m'a toujours fait tout oublier.
Je ne sens plus rien qui vit chez moi à part moi. Cette sensation m'angoisse. Au moment où je rentre dans le salon, afin de regagner l'entrée pour partir, je vois le voyant rouge du répondeur qui clignote. Je n'ai pas entendu mon téléphone sonner.
"Jacob, c'est Sarah, tu m'as dis que tu me rappellerai en arrivant chez toi. J'imagine que tu es très occupé. Fais attention à toi"
3.
Je prends mes clés de voiture. Je me regarde une dernière fois dans le miroir de l'entrée. Mes cheveux bruns sont plaqués sur le coté droit, mon regard est comme d'habitude très fier. J'avoue être perdu dans mes pensées, et ne pas trop savoir chez qui je vais.
Je sors de mon appartement en claquant la porte assez violemment, puis m'engage dans les grands escaliers en pierre du bâtiment. Devant la grande porte cochère de l'immeuble, je sors mon téléphone et envoie un texto à Léandre pour lui dire que je quitte mon appartement.
J'ouvre la porte. Dehors il pleut toujours. Je file sous les arcades de la place et rejoins ma voiture qui est garée un peu plus loin, près de l'ambroisie.
Je déverrouille la porte de la Porsche et file direction rivoli. Le gros moteur gronde dans les rues étroites, une fois rue de Turenne, comme pour oublier que je m'inquiète d'aller chez cette Doris pour revoir un ami que je n'ai pas vu depuis longtemps, j'accélère brutalement, si bien que je manque de renverser deux personnes qui traversaient alors que le feu était vert. La sono de voiture crache "losing my patiente" de Shit Robot. Je n'entends plus rien, je suis comme sourd, entouré de cette musique assez épurée, mais totalement coupé du reste de la vie à l'extérieur. Il y a beaucoup de monde sur la rue Saint-Antoine, je roule au pas.
Il est déjà presque 22h, je suis vraiment en retard.
Je commence à m'impatienter, je tape des mains sur le volants en cuir. J'avance vraiment doucement jusqu'à l'hotel de ville. Il y a encore plus de monde, les gens traversent la rue anarchiquement, la ville grouille de monde, qui ne regarde pas où ils vont. Certains mecs, sûrs de leurs atouts me fixent à travers le pare-brise.
Je fais vrombir le moteur dès que le feu passe au vert. Je n'ai jamais aimé roulé à Paris à cette heure là, il y a toujours trop de monde.
J'aborde la concorde, je suis bientôt arrivé. Je m'impatiente. Je prends mon oreillette et compose le numéro de Léandre afin de le prévenir que j'arrive d'ici peu.
Au bout de trois sonneries il répond. Derrière j'entends de la musique électro très forte, des voix et beaucoup de rire. Ils ont l'air d'être nombreux.
"Oui Jac', tu es en retard, Doris t'attend !"
"j'arrive j'aborde la rue Clément Marot, je pose la voiture et j'arrive"
"tu as un voiturier, donne lui tes clés il te la garera"
"il y a du monde ?"
"oui on est une petite centaine"
"bon je suis là dans quelques minutes du coup, comment je fais pour rentrer dans l'immeuble?"
"il y a deux types à l'entrée qui t'ouvriront et te diront comment accéder à l'appartement"
Léandre raccroche presque assitôt, sans que je ne puisse lui demander à quel étage se trouvait la soirée. Je me guiderai au bruit.
Je l'entends hurler pour réussir à se faire entendre malgré la musique qui a l'air de déferler là-bas.
Je suis maintenant avenue Montaigne. Je roule doucement afin de voir le numéro des bâtiments. Derrière moi, un taxi s'impatiente et klaxonne, puis me double. Le chauffeur me regarde et me fait un doigt.
J'arrive devant le 10, je fais demi-tour pour m'arrêter devant la porte dans le sens de circulation.
Presque au moment où j'arrête le moteur, un grand type black en smoking vient m'ouvrir la portière. Je la déverrouille, il m'ouvre alors la portière et baisse la tête au moment où je sors.
"Madame Cothgrove vous attends M. Plessis"
Je suis maintenant à l'extérieur, sous la bruine de la nuit. Je donne les clés du cabriolet au type.
"ne la garez pas trop loin. À quel étage vit-elle ?"
"6è et 7è, de toutes façons on vous accompagnera jusqu'à l'entrée"
Je m'éloigne de la voiture et rejoins rapidement le trottoir. Mon visage est humide et froid. Devant la grande porte en fer forgé et en verre, deux autres gars sont plantés comme des colonnes.
" M. Plessis, veuillez me suivre"
Je ne dis rien. Le plus beau des deux, un grand type blond habillé avec une queue de pie et un leggings noir me précède. Il tape le code de l'immeuble, ouvre la porte. La lumière s'allume automatiquement.
Le hall est majestueux, art déco. Tout résonne, chaque bruit vient s'écraser contre les murs, le sol et le plafond en marbre chair. Nous arrivons devant la cage d'ascenseur dont le fer forgé forme des fleurs géométriques et des lignes parallèles. Le verre dépoli occulte l'intérieur. Je vois la grosse masse noire de la cabine arriver dans un silence monacal. L'homme ne dit rien, et ne me regarde pas.
Une fois à notre niveau, les portes s'ouvrent. Il me fait signe de pénétrer.
À mesure que nous progressons dans les étages, je perçois de plus en plus la musique, qui est très forte. Arrivé au 7ème , les lumières de l'étage sont très sombres, rose et rouge aux angles. Je ne vois qu'une porte, j'en déduis que l'appartement à cet étage l'occupe entièrement.
Je pose les pieds sur le très épais tapis qui occupe le centre du hall rectangulaire. Le long des murs, des consoles en bronze et marbre sont recouvertes de très gros bouquet de pivoines, dont la couleur, irréelles, joue au ton sur ton avec les murs.
La musique est un bruit sourd. Je reste comme ça dans le hall pendant deux minutes, seul. Puis la double porte de l'appartement s'ouvre laissant sortir les sons hurlant de la sono.
Je vois un autre type habillé de la même manière sortir et parcourir le hall du regard. Il s'arrête sur moi et me sourit. Il sort de l'appartement puis me dit :
"venez, entrez, c'est ici"
Je le suis. Je pénètre dans un très grand vestibule dont les murs ont été recouvert de velours ras noir, devant lesquelles des sculptures contemporaines sur des piédestaux sont disposées. La lumière très faible confère à l'endroit une sorte de solennité étonnante, même si la musique electro vient la troubler. Il n'y a pas d'autres meubles, si ce n'est un tapis sur le parquet, qui contribue encore un peu à cette ambiance très duveteuse. À peine ai-je eu le temps de commencer à enlever mon manteau qu'un autre type s'approche et me demande de l'enlever.
Ils sont tous habillés pareil, et ont tous à peu de chose près la même tête. L'obscurité fait que je n'arrive pas réellement à distinguer son visage. Je vois seulement qu'il a une très longue cicatrice qui part de l'oeil droit et qui se termine au bout de son menton gauche, en passant par la bouche. Je ne dis rien, je fais comme si je n'avais pas vu son visage.
Nous empruntons maintenant un couloir très éclairé, en jaune, où les enceintes encastrées au plafond diffusent de la musique électronique entêtante et répétitive qui résonnent un peu partout, l'endroit ressemble à une chambre froide, seulement au mur, sont accrochés des tableaux que j'identifie en passant rapidement. Il y a un Warhol, au moins, et un autre que je dirai comme étant un Indiana. Au travers des pièces dont les portes sont ouvertes, j'aperçois des personnes autour de tables basses, à moitié nues en train de parler avant de fermer très rapidement la porte au moment où nous passons.
La musique s'enchaîne dans un rythme vraiment frénétique, presque hystérique. Je commence à me demander où est Léandre, je ne vois pas les centaines de personnes dont il parlait.
Nous continuons notre périple en pénétrant dans d'autres salon encore, je suis presque perdu, l'appartement a l'air immense. Nous entrons dans une grande pièce où une table de salle à manger est posée au centre, avec en son milieu deux saladiers en argent vide autour de la table des femmes très bien habillées se dandinent sensuellement en se touchant les cuisses et les cheveux sur la musique. Nous continuons avant d'arriver dans une autre pièce, où sont atablés autour d'une petite table basse, dans une pièce beaucoup plus petite, un groupe de personne, dont Léandre.
Il porte un bermuda et une veste de smoking bleu marine, avec un noeud très fin. Il a une mine affreuse, les traits tirés et la peau terne. Ses cheveux blonds sont maintenant très courts. À coté de lui, d'autres garçons, du même type, d'une grande maigreur, avec un air livide, eux-aussi.
À peine ai-je commencé à avancer qu'une grande silhouette blonde avec un chignon très serré se lève d'un fauteuil dont je ne voyais que le dossier.
À mesure qu'elle se lève et se retourne, je comprends rapidement qu'il s'agit de cette Doris, la maîtresse de maison. Elle porte une grande robe noire en soie, et semble crouler sous les rangs de perle, comme agglutinés à son cou frêle et presque ridé. Elle a un visage très fin, et frais, dont les paumettes saillantes sont comme pointées lorsqu'elle sourit.
Elle me regarde avec des yeux très profonds, à un tel point que cela me mets presque mal à l'aise. Il se dégage d'elle une odeur délicieuse, de musc et de fleur, une odeur qui monte rapidement à la tête, enivrante.
Je continue de m'avancer vers eux en me rendant compte que l'homme qui m'avait accompagné est déjà parti. La musique est forte, elle commence à me faire mal aux oreilles. Elle escquisse un large sourire, et laisse apparaître ses dents dont l'écartement entre les deux incisives ne peut que se remarquer. Léandre lui, me regarde arriver, presque insensiblement, à coté des autres, un peu en retrait, et détourne la tête vers le fond de la pièce où une grande estampe japonaise est accrochée.
La femme bloque son regard sur moi puis me dit avec un accent américain peu marqué :
"Je me présente, Doris Cothgrove ; c'est vous le fameux Jacob, vous ne pouvez pas imaginez comme je suis heureuse de vous rencontrer"
"Madame, le plaisir est également pour moi. Je ne vous connais pas, je vous remercie sincèrement de m'accueillir"
Elle me coupe presque aussitôt la parole :
"tu sais Jacob, j'ai l'habitude de recevoir, et notamment des jeunes hommes charmants comme toi. Et puis tu te rendras compte au fur et à mesure de la soirée qu'il n'y a pas vraiment de quoi être impressionné"
"je suis venu les mains vides, j'imaginais que vous n'alliez avoir besoin de rien"
Elle sourit presque d'une manière arrogante puis reprend, en tournant la tête vers Léandre qui lui pince ses lèvres.
"tu verras chéri que tu n'auras besoin de rien ce soir, et puis si tu as quelque chose à m'apporter lors d'une soirée, ce sera de me faire rire".
Je ne sais pas comment le prendre. Je suis vraiment très mal à l'aise.
"d'où venez vous Mme Costhgrove ?"
"appelle moi Doris"
Elle s'arrête un moment pour aller chercher son verre sur la table basse. Elle revient vers moi avec un grand sourire, et une coupe de champagne immense.
" mes hommes t'ont ils proposé quelques chose à boire ? "
"non pas encore"
"Mathew !"
Un des types à coté de Léandre arrive rapidement, l'air comme abattu,
"oui Doris"
"demande à Jacob ce qu'il veut"
Je suis vraiment très mal à l'aise de cette situation, si bien que je ne laisse pas le temps à ce mathew de me poser la question,
"je vais prendre un coupe s'il te plaît"
Il s'exécute presque aussitôt, machinalement. Il va vers le mur à gauche et ouvre une armoire en laque pourpre dissimulée dans le mur. La musique est toujours aussi présente, prenante, elle commence à m'angoisser. Il revient très rapidement et me tend la coupe, en me regardant avec un regard mêlé de tristesse et d'autre chose, comme une sorte d'inquiétude.
"merci beaucoup, que fais-tu dans la vie Mathew ?"
"je ne travaille pas, j'ai terminé mes études dans une école de mode, il y a six mois"
À ce moment, Doris arrive vers nous, et me pose la main sur l'épaule
"il travaille pour moi maintenant, il s'occupe de tout ce qui touche à mes achats de vêtements, je n'ai jamais aimé faire les boutiques, donc il s'en charge pour moi"
Mathew ne dit rien, comme s'il savait qu'il fallait qu'il se taise à ce moment précis. Je décide alors d'aller vers Léandre, qui s'est rassi sur la chauffeuse en cuir, sans faire attention à ma présence. Au même moment, Doris, comme si elle savait que j'allais aller lui parler va se rasseoir dans son fauteuil, avec sa coupe à la main.
"alors Jacob, comment s'est passé ton eménagement ?"
"Doris, laisse Jacob arriver"
"Léandre, tu as retrouvé la parole !?"
Je regarde à ce moment précis Léandre, qui comme s'il venait de recevoir une gifle baisse la tête, très humblement.
Je décide alors d'aller m'asseoir à mon tour autour de cette table. La seule place qu'on me laisse est évidement celle qui se trouve en face de Doris. Dans la pénombre, je la regarde, je ne sais vraiment pas quel âge elle peut avoir, cette femme est très étrange. La musique couvre la plupart des mots qui sortent de leurs bouches, je ne vois que leurs lèvres bouger, je n'arrive pas à comprendre ce qu'ils se disent. À coté de moi, Léandre, a perdu son regard joyeux, il semble ailleurs, et fixe le mur.
"comment as tu connu Doris Léandre?"
Il met peut être trente-secondes avant de me répondre. Il tourne la tête, me fixe avec ses yeux bleus en amande. Il n'exprime presque plus rien, si ce n'est une grande lassitude.
Il prend sa respiration, puis commence à me répondre
"comme toi Jacob, on me l'a présenté lors d'une soirée, puis je me suis attaché à elle. Tu verras c'est une personne extra. Et puis ses soirées sont incroyables"
"comment vas tu Léandre, tu n'as pas l'air forcément en forme"
"je vais bien. C'est gentil de t'en préoccuper"
"cela n'a pas l'air pourtant"
"qui pourrait avoir bonne mine avec l'éclairage qu'il y a ici ce soir ?"
Il s'arrête deux secondes, puis reprend
"mon verre est vide, je vais en rechercher un nouveau"
Je le regarde se lever, puis quitter la pièce pour se diriger à droite.
À ce moment précis, un autre type, qui était à coté de Léandre me fixe, avec un visage parfaitement placide. Il est brun, des yeux bleus extrêmement clairs, le teint presque émacié. Il est d'une beauté froide, même glaçante. Tout en me regardant avec instance et sans expression, il me dit :
"je m'appelle Jules, je suis ravis de te connaître Jacob, nous t'attendions tous depuis que Léandre nous a prévenu que tu passais ce soir"
"excuse moi, mais je vais le rejoindre, tu sais où il peut être ?"
Presque vexé, il détourne sa tête, et me laisse comme ça.
Je décide alors de me lever et d'aller à la recherche de Léandre. Au moment où je quitte la pièce, Doris me regarde et me dit :
"ne t'éloigne pas trop, l'appartement est grand, je ne voudrai pas que tu te perdes !"
"je saurai vous retrouver Doris, vous sentez tellement bon";
Je sors du petit salon et arrive de nouveau dans la grand couloir éclairé en jaune. Il y a beaucoup plus de monde que tout à l'heure, les gens passent et repassent dans les deux sens, me frôlant volontairement, touchant mon corps en même temps. Je décide d'aller là où je ne suis pas encore allé.
Je passe la double porte qui termine le couloir. J'arrive dans un immense salon blanc dont le sol est recouvert d'une épaisse moquette blanche. Les baies vitrées de la pièce donnent sur une terrasse dont je ne vois pas les limites depuis laquelle je vois la tour Eiffel. Au milieu de la pièce, deux canapés en cuir blanc et chrome de LeCorbusier, des fauteuils blancs Barcelona et un immense tapis gris perle. Sur les canapés, d'autres personnes sont assises, certains en smoking ou robe de soirée, d'autres à moitié nus, alors que les portes fenêtres sont grandes ouvertes. Tous boivent du champagne et sont totalement indifférents à mon passage. Je décide d'aller sur la terrasse. À l'extérieur, c'est comme si Paris était plongé dans une torpeur surprenante, en dehors de cet appartement où, la musique, les gens, tout me semble inquiétant. Le vent vient carresser mon visage chaud, je bois rapidement ma coupe. Il commence à faire froid, j'ai les mains vraiment froides.
Je fixe l'horizon, Paris de nuit, cela me repose vraiment. Je rêvasse et me demande finalement ce que Léandre fait ici, ce qu'il a à voir avec cette femme que je sens malsaine. Il a l'air soumis, dévoué à elle, tout comme les autres minets d'ailleurs. Je ne sais même pas si je veux savoir qui est Doris.
À ce moment, alors que je m'apprêtais à rentrer me resservir une coupe, je sens quelqu'un arriver derrière moi. Je me retourne. Il s'agit de Léandre.
"tu vas prendre froid avec ton bermuda, nous devrions rentrer"
"ne t'inquiète pas, je ne suis plus à ça près, et puis ici nous sommes tranquilles pour parler"
"comment ça?"
"je suis vraiment navré Jacob"
Il me dit cela d'un ton vraiment triste, presque depressif, le regard plongé dans mes yeux, mais vide, sans joie, ni même tristesse.
Il reste silencieux, nous n'entendons que la musique toujours aussi pulsative, et le vent, qui en passant dans nos oreilles, siffle.
"mais navré de quoi Léandre ? On s'est à peine vu"
"navré que tu sois venu, j'aurai aimé que ce ne soit pas le cas, et que tu trouves une excuse bidon"
"pourquoi tu dis ça ?" dis-je en commençant à m'agacer
"pourquoi ? Qu'y a t'il ? "
Il se retourne, et maintenant est de dos, il a l'air de scruter le paysage, placide. Puis il se prend la tête dans les mains.
Je le vois prendre sa respiration, puis commencer :
" tu ne sais pas à qui tu a à faire, tu ne sais pas qui elle est"
"je vais partir" lui répondis-je du tac-au-tac.
"tu ne pourras pas Jacob, tu es obligé de rester maintenant"
"de quoi parles tu Léandre ?"
"laisse tomber, je t'aime vraiment vieux frère"
"mais putain, de quoi parles tu là ? Tu délires ? Tu es sous coke ?"
"laisse tomber Jac' "
Je reste vraiment sans voix. Il faut que je parte d'ici. Il est bientôt minuit.
Je rentre dans le salon où l'ambiance a commencé à changer, la musique se fait plus forte, il y a plus de monde, certains, qui ont l'air ivres et totalement défoncés commencent à danser sur la musique d'une manière très lente, sexuelle. Je scrute le salon depuis le balcon, je ne vois ni Léandre, ni Doris,
À ce moment précis, un type, très jeune, au visage presque adolescent, presque totalement dévêtu, commence à se cabrer devant moi, en tournant la tête pour me fixer avec ses pupilles totalement dilatées droit dans les yeux, en rythme sur la musique, qui commence à me faire trembler la tête. Je ne peux pas m'empêcher à ce moment de boire très rapidement ma coupe, puis de chercher du regard un endroit où m'en resservir une. La situation me met trop mal à l'aise.
Il faut que je parte d'ici. L'alcool me monte d'un seul coup à la tête, m'enivre et me brouille rapidement les idées.
Je me dégage du type à la croupe tendue pour me diriger vers une sorte de commode en palissandre vernis sur lequel se reflète le rose et le blanc de l'éclairage de la pièce.
Une fois devant je prends la bouteille de Perrier Jouet et me ressers franchement une coupe. J'ai cette sensation vraiment bizarre de devoir partir mais d'en être incapable. Je suis attiré par cette soirée, même si finalement j'ai assez peur de ce qui peut s'y passer.
Je me regarde dans le miroir au dessus de la commode.
J'ai un teint cadavérique, certainement la lumière qui me fait cette tête. Je cherche alors Léandre, je ne vois plus;
Je me retourne en direction du salon, où désormais une trentaine de personnes sont réunies, regroupées autour des canapés blancs, toutes un verre à la main ; à ce moment précis, il y a comme une sorte de clameur qui s'élève. Tous les regards se portent vers la double porte qui mène à la salle à manger, Doris apparaît. Elle s'est changée depuis que je suis arrivé.
Toujours coiffée d'un chignon très serré, elle s'avance en marchant sur la moquette très épaisse avec des escarpins vernis noirs avec de très haut talons à semelle rouge. Elle porte un collant résille noir qui se glisse sous un robe en cuir Jitrois noir, cousue de perle. À son cou, un lourd collier de Diamant. Même si elle n'a pas l'air très à l'aise dans cette tenue, quelque chose d'assez intense se dégage d'elle, une sorte d'aura.
Fièrement elle s'avance et caracole.
Elle toise le salon de haut, puis fixe son regard en ma direction, elle arbore progressivement un grand sourire, puis en se rapprochant :
"Jacob, tu es là, je vois que tu commences à boire, c'est bien, il n'y a que comme ça que tu t'amuseras ici"
Je la regarde s'approcher de moi, marchant très fièrement, avec derrière elle toujours ces minets qui semblent faire son ombre.
Elle sent toujours aussi bon. Son sourire est figé, découvrant ses dents du bonheur presque jaunies, elle a une cigarette à la main.
"tu sais, il y a autres chose que l'alcool ici pour se détendre, si tu veux, vas dans la salle à manger"
"j'ai vu Doris, mais je n'aime pas prendre ce type de chose, merci beaucoup"
"tu as tors"
Je la vois alors se retourner pour susurrer quelque chose à l'oreille de l'un des garçons derrière elle, qui une fois qu'elle a terminé, acquiesce d'un hochement de tête, puis commence à partir dans la direction opposée, vers le couloir.
"de toutes façons Jac, puisque c'est comme ça que ton copain Léandre t'appelle, tu ne partiras pas d'ici sobre"
"je ne le suis plus Doris"
"parfait alors"
Nous restons comme CELA peut-être cinq secondes à se regarder, yeux dans les yeux. Ses pupilles sont vraiment dilatées, si bien que j'ai l'impression de lire au fond de son âme. Elle est immobile, seules ses vertèbres font craquer le corset qu'elle porte quand elle tente de respirer, engoncée.
J'ai le coeur qui bat à une vitesse folle, je finis ma coupe, encore plus vite.
"auriez-vous une cigarette Doris ?"
"vas dans le boudoir, tu en trouveras plusieurs paquets"
"où est le boudoir ?"
"c'est la pièce où nous nous sommes rencontrés trésor"
Je quitte le salon pour me diriger par la grande porte et aller vers la salle à manger, pour ensuite me poser de nouveau dans le boudoir de tout à l'heure.
Dans la salle à manger, une dizaine de personne forment un cercle autour de la table. La pièce étant relativement petite, et les personnes étant debout. Je ne vois pas immédiatement ce qui vaut un tel intérêt. En passant, je vois entre les épaules et les cous, une jeune femme à demi consciente, d'une blancheur diaphane, allongée nue sur la table.
Elle a les jambes presque écartées, la bouche entre-ouverte et les yeux statiques, qui fixent, indifférents le plafond aux moulures artdéco. Elle est immobile, seuls ses doigts bougent.
Je contourne le groupe, qui semble simplement la regarder, cet objet charnel posé entre des saladiers pleins de cocaïne.
À mesure que j'approche de la porte menant au couloir, je vois les mains et des bras s'agiter devant, entre les jambes je comprends rapidement ce qui se passe. Je décide de quitter cette pièce. Muet, presque choqué. J'arrive rapidement dans le boudoir, où deux des garçons de tout à l'heure sont vautrés sur le canapé à capiton de cuir bordeaux, l'un a le pantalon au genou, l'autre, est à moitié couché sur lui. Ils ont l'air de dormir profondément, malgré la musique extrêmement forte qui passe encore. Je trouve rapidement les cigarettes dans le bar. À coté des cartouche de Davidoff light, un boite en métal ronde, je ne peux m'empêcher de l'ouvrir.
À l'intérieur des cachets triangulaires verts et bleu, dessus, gravé un as de pique.
Je prends un paquet, me ressert du champagne avec la bouteille ouverte à coté, puis décide d'aller essayer de retrouver Léandre pour lui dire que je ne vais plus tarder à partir.
Au moment où je passe derrière le dossier du canapé, l'un des deux m'agrippe le pantalon, il me fixe avec une grande rage, et une grande inquiétude, il semble ne plus pouvoir parler, la musique le rend muet, puis, avec la même force, referme les yeux, comme sombrant dans le coma.
Je sors de la pièce avec de plus en plus d'angoisse, je ne sais pas comment tourne cette soirée. Je bois en marchant, je sens que je commence à tituber, que l'alcool me monte rapidement à la tête.
Il faut que j'aille dans les autres pièces. Je m'arrête deux secondes, car j'ai la tête qui tourne, de plus en plus, presque d'un seul coup. Je sors une cigarette du paquet marron, et l'allume tant que je peux, en fermant un oeil.
Je reconnais vaguement Vitalic, Stamina, j'ai l'impression de tourner sur moi-même. J'allume ma cigarette et de la fumée vient se mettre dans mon oeil droit. Je commence à pleurer par reflex.
Le champagne me monte vraiment très vite à la tête. Je marche en faisant claquer les talons de mes mocassins vernis. Je passe la porte d'un des salons devant lequel je suis passé en arrivant. Tous le monde est nus, en train de baiser, je crois halluciner quand je vois Léandre à quatre pattes, en train de niquer avec un gars de presque 60 ans, qui a garder sa chemise, de laquelle déborde son ventre.
Je ne sais pas s'il m'a vu, je reste dans l'embrasure de la porte pendant près de dix secondes, avant de ne plus en pouvoir, et de repartir dans l'autre sens. J'ai déjà finis ma coupe.
La musique et les lumières commencent à me rendre fou. Je veux trouver Doris, mais je veux aller me resservir. Je me dirige vers le salon. Lorsque je passe dans la salle à manger, je crois rêver.
Il y a déjà moins de monde autour de la table, peut-être une petite dizaine, des hommes et des femmes, d'âges différents, plus ou moins habillés, sont en train de prendre de la cocaïne sur le corps de la jeune femme qui a l'air morte. Elle saigne au niveau du flan gauche, elle semble avoir été poignardée, une sorte de flaque presque noire recouvre maintenant le plateau en acajou, et les saladiers en argent sont souillés de traînées rougeâtres. Elle est encore plus immobile, la tête penchée vers la gauche, le regard blanc, livide. La musique est toujours aussi forte, je commence à avoir envie de vomir.
Ils sont indifférents à mon état, je commence à tanguer, il y en a même qui rigolent je crois. Je laisse alors tomber ma coupe sur le parquet, elle se brise aussi net, et je marque dans les tessons. Je commence à perdre mon équilibre, et me rattrape sur le battant de gauche.
Il faut que j'arrive sur le canapé, au moins pour ne pas tomber par terre. J'ai l'impression que mes jambes sont en verre, et que je manque à chaque pas de les briser. J'ai le coeur qui va exploser, la tête aussi, mes yeux me piquent atrocement.
J'arrive en titubant sur le dossier du canapé blanc. Je n'avais pas vu que ma main était pleine de sang. En face de moi, sur la chauffeuse, Doris se tient, droite, les jambes croisées, en train de fumer et de boire. J'ai l'impression qu'elle me regarde avec délectation tomber d'ivresse, je crois même qu'elle sourit.
J'arrive enfin sur le canapé, je me vautre dessus, je ne sens plus mes mains. Je suis sur le dos, je fixe le plafond, je tourne, j'ai l'impression d'être sur un radeau en pleine mer, au grès des courant.
Je ferme les yeux. Je sens progressivement l'odeur de Doris se rapprocher de moi, je réouvre les yeux, je lui dis :
"pourquoi suis-je comme cela ?"
"it's nothing, you just have to be a good boy"
4.
J'ouvre les yeux très progressivement, il y a une grande lumière, tout me paraît blanc. L'air semble tiède. Doucement, je commence à regarder autour de moi.
Je suis allongé, je vois mes pieds nus. Il n'y a aucun bruit, je ne sens presque plus mes jambes, elles sont ankylosées, comme mortes.
Je comprends finalement que je suis dans un hôpital, je suis dans un lit, en face de moi, une fenêtre ; dehors, les arbres ont retrouvé leurs couleurs, le ciel est bleu et gris. Je ne sais pas quel jour nous sommes, je ne sais pas ce qui s'est passé, je n'ai souvenir de rien.
Je regarde autour de moi, il y a des bouquets de tulipes blanches. Pas de cartes.
Après quelques minutes, je réussis à trouver la télécommande du plasma sur la commode à gauche du lit, je l'allume.
Nous sommes le 2 avril 2013. Je suis pris d'un moment de panique, je ne sais pas ce qui m'est arrivé, je n'ai aucun souvenir. J'entends dans le couloir des voix :
"il y a du bruit dans cette chambre, ce n'est pas normal"
Puis, la poignée de la porte s'ouvre. Pénètre dans la chambre une infirmière d'une cinquantaine d'années, avec un vrai visage bienveillant. Elle a des yeux d'un marron incroyable.
" Jacob, comment allez vous aujourd'hui?"
" Que m'est-il arrivé ? Pourquoi suis-je ici ?"
"Vous avez eu un accident Jacob, tout début décembre, vous avez été dans le coma pendant quelques jours, et puis …"
Elle s'arrête un instant puis vient vers moi, toujours avec cet air rassurant, et reprend :
"je pense que ce n'est pas moi qui devrait vous en parlez. On m'a demandé d'appeler le commissaire de la police criminelle lorsque vous seriez revenu à vous"
"mais pourquoi n'ai-je aucun souvenir ?"
"vous avez développé un état de choc post traumatique, votre esprit a rejeté ce qui s'est passé le 1er décembre"
"mais je n'ai rien fais le premier décembre, je suis sorti chez cette femme le 29 novembre"
"vous n'avez pas encore l'esprit très clair, je vais prévenir le commissaire que vous avez retrouvé votre mémoire"
"mais pourquoi voulez-vous prévenir la police ? Qu'y a t'il ?"
"je ne connais pas tout, mais lorsque l'on vous amené ici, c'est parce que l'on vous a trouvé inanimé dans un endroit près du périphérique, les pompiers ont refusé de dire ce qui vous était arrivé"
"comment ça?"
"personnellement, je ne pense pas que l'on puisse arriver dans un tel état après un simple accident de voiture, la police a refusé que l'on communique sur ce qui vous est arrivé à vous six"
Je me sens m'enfoncer dans mon lit.
"qui y avait-il encore ?"
"il y avait 4 jeunes hommes dont vous, et deux filles mineures, c'est pour ça qu'au début tout le monde a pensé que vous aviez trop bu ce soir là, vous étiez tous sous drogue, trois personnes sont d'ailleurs mortes d'overdose d'héroïne et de cocaïne".
"je ne comprends rien, je ne prends jamais de drogue"
"vous étiez dans le coma à cause de cela, et du GHB aussi"
"qui sont les autres qui ont survécu ?"
"il y a deux garçons, un qui s'appelle Mathew, l'autre Jules, et une fille, qui s'appelle Lise"
"je ne les connais pas"
Elle commence à partir vers la porte, je l'arrête :
"comment vous appelez vous ?"
"je m'appelle Marianne, je vais prévenir la police"
Elle sort de la chambre rapidement, je me retrouve seul, à essayer de comprendre ce qui s'est passé. C'est le trou noir, je me souviens seulement de la soirée, jusqu'au moment où Léandre est parti de la terrasse, et de cette musique, Stamina.
Je n'ai aucun souvenir après, rien, aucune sensation, aucune émotion, c'est comme si je venais de naître.
Je parcoure mon corps du regard, j'ai une énorme cicatrice au niveau de l'abdomen, mon bras est plein de petits trous concentriques, je dois en avoir une dizaine. Je continue à me regarder, je constate avec horreur qu'il me manque l'ongle de l'auriculaire. Je n'ai souvenir de rien.
arrive de nouveau dans la chambre. Elle me regarde avec un regard vraiment tendre, apaisant.
"j'ai eu vraiment très peu pour vous, quand vous êtes arrivé, certains vous pensaient mort, moi j'étais persuadé que vous ne passeriez pas la nouvelle année"
"puis-je vous demander pourquoi j'ai toutes ces cicatrices ?"
"nous vous trouvé comme cela, vous aviez le ventre ouvert, comme si on avait voulu vous éviscérer"
Elle s'arrête, comme pour avaler sa salive, puis reprend,
"et aux pauvres jeunes filles, on leur a coupé la poitrine, le nez et les mains, c'était atroce. La seule qui a survécu à ce soir horrible s'est donnée la mort peu de temps après. Seules les filles ont été mutilé comme ceci"
"que sont devenus les autres ?"
"ils ont quitté la France"
Elle s'arrête de nouveau, va s'asseoir puis reprend :
"que faisiez vous avant dans la vie Jacob ?"
"j'étais avocat"
"comment avez vous pu vous mettre dans un tel pétrin ?"
"de quoi parlez vous ?"
"si la police veut vous voir, c'est qu'ils doutent de vous, ainsi que des deux autres garçons, mais vous êtes le seul à être encore ici"
"comment aurai-je pu faire une chose pareille ?"
"je le sais, ils arrivent dans dix minutes, ils n'attendaient que cela, que vous vous réveillez"
Je comprends alors qu'une nouvelle vie commence. Il faut que je retrouve Léandre, s'il est encore en vie, et plus largement Doris. C'est à cause d'elle que tout ceci est arrivé, à cause d'elle. J'essaie alors de me lever mais j'en suis incapable. Devant cela, arrive et m'aide à me mettre assis sur le bord du lit,
"il va falloir que vous soyez patient, cela ne fait qu'une petite semaine que vous marchez"
"pourquoi je ne me souviens pas des mois qui précèdent ? Ici ?"
"ce n'est pas forcément explicable, vous savez, le cerveau est parfois incompréhensible"
Elle passe son bras sous le mien, et m'accompagne dans la salle de bain.
Je tourne la poignée de la porte, je pousse la porte, la lumière s'allume automatiquement. J'arrive progressivement devant le miroir, je me fais peur. J'ai le temps blafard. Mon visage porte sous l'oeil droit une cicatrice circulaire, mes yeux sont tristes.
"la dernière que vous vous êtes regardé, vous avez pleuré pendant dix minutes"
"je suis perdu je crois, je ne sais pas ce que je dois faire"
"Jacob, si j'avais un conseil à vous donner, faites en sorte que la police comprenne votre état et comprenne que vous n'y êtes pour rien"
"mais je ne me souviens de rien"
Nous entendons des bruits de pas et des voix dans le couloir, me fait comprendre qu'il s'agit de la police. Toujours aussi gentille, elle me regarde, puis me dis
"courage, faite leur comprendre que vous êtes une victime"
Je décide de rester debout, en les attendant.
Une personne frappe à la porte, je réponds oui. Il n'y a pas d'autre bruit, qu'eux.
Rentre une petite femme, d'une quarantaine d'année, accompagnée d'un type grand et très mince, le teint presque jaune.
" M. Plessis, nous sommes ravis de vous voir en meilleur état, ça faisait deux mois que nous attendions un réveil lucide"
"Je ne sais pas si je suis lucide"
"je ne me suis pas présentée"
Elle s'interrompt deux secondes, va vers la fenêtre, puis reprend, en me regardant fixement :
"je suis Géraldine Massort, en charge de l'enquête sur les événements du 2 décembre 2012, en avez vous souvenir ?"
Je regagne mon lit, en me tenant sur le bras de .
" la seule chose dont je me souviens nettement c'est d'être aller avenue Montaigne pour faire une soirée, chez une américaine…"
La policière me coupe
"oui chez Mlle Cothgrove, nous l'avons déjà entendu, elle a regagné les Etats-Unis fin décembre"
"je ne me souviens que de cela, je suis allé de chez moi à chez elle en voiture, j'y ai retrouvé un ami, Léandre Hartman, puis je ne me souviens de rien, tout est trouble. Si je me souviens de quelques sensations, et puis de la musique aussi"
"vous dites ne rien vous souvenir de ce qui s'est passé après ?"
"non, rien, je me suis réveillé ce matin, j'avais l'impression que ma mémoire reprenait"
"il a passé le mois de janvier muet, vous le savez" rajoute alors
Géraldine Massort se dirige maintenant vers le type qui l'accompagne.
Elle pose le regard sur nous, avec une sorte de suspicion insidieuse en elle, comme pour m'accuser de quelque chose dont je n'avais pas conscience.
"je vais vous expliquer ce qui s'est passé, et comment nous vous avons retrouvé. Surtout, je vais vous expliquer M. Plessis, pourquoi nous tenons absolument avoir votre version".
Elle se retourne de nouveau, parcoure la pièce du regard. Elle se dirige vers la fenêtre pour y prendre une chaise qu'elle ramène vers le lit.
"le matin du 2 décembre, deux choses se sont passées ; dans un premier temps, un clochard a retrouvé une porsche noire décapotée et ouverte, près de la défense. À l'intérieur, il y avait toutes vos affaires ; vos papiers, vos cartes de crédit. Dans la boite à gant, de l'argent liquide, et de la drogue, beaucoup de drogue. Dans le même temps, une femme qui faisait son jooging, retrouva vers Puteaux, près du périphérique, six personnes presque toutes nues, presque en tas. Vous étiez tous inconscients, ou pour certains déjà morts"
Je l'écoute en accusant le coup. Je pense que je dois avoir l'air de m'enfoncer littéralement dans mon lit.
"quand nous sommes arrivés sur place, nous avons constatés que vous étiez tous drogués, de toutes sortes de substance. La plupart d'entre vous avait de grosses blessures, parfois létales, de multiples mutilations, et des traces de ce qui pouvait s'apparenter à de la torture. Vous étiez tous blafards, la pluie avait mouillé vos corps"
Elle s'arrête un petit instant pour rejoindre son collègue, ils baissent alors les yeux vers un cartable de cuir camel, usé et rapé, duquel elle sort un dossier en kraft jaune.
Mon souffle est presque suspendu, mon coeur lui n'arrête pas de battre de plus en plus vite et fort. Je ne peux pas m'empêcher de détourner le regard et de fixer l'extérieur où le temps semble s'être arrêté.
Elle revient vers moi une enveloppe en main, et commence à l'entrouvrir pour y prendre des photos.
"M. Plessis, j'ai besoin de vous…"
Elle continue à s'approcher de moi, et arrive presque au niveau du lit, sur lequel je me suis maintenant assis.
"vous comprendrez que vous étiez le propriétaire de cette voiture et que la seule chose qui nous permette d'enquêter sur ce drame est votre présence - vous êtes le seul encore présent en France"
"je ne me souviens de rien de cette soirée, je vous l'ai déjà dis, je ne me souviens que d'une musique qui est encore dans ma tête".
Elle s'interrompt deux ou trois secondes et passe sa main dans ses cheveux châtains, elle me fixe encore, avec des yeux qui me font froid dans le dos, comme incriminant quelques choses en moi. Elle tourne alors son regard sur tout le monde, puis prend sa respiration :
"pouvez vous sortir, j'ai à lui parler seul à seule"
alors me regarde et pose la main sur mon épaule. Tout en la carressant, elle s'adresse à Mme Massort d'une manière autoritaire :
"ne le mettez pas trop à l'épreuve, il est encore très fragile, il vient de se réveiller ; il n'a pas encore tout appris"
"Je sais, sortez maintenant"
En silence, ils quittent tous la pièce, je me retrouve seul avec elle. Elle a dans son attitude une sorte de rage, j'ai l'impression qu'elle m'en veut de quelque chose. Elle se retourne et se dirige vers une chaise posée le long du mur, puis la fait glisser dans un long crissement.
"je ne sais pas à quoi tu as joué avec tes amis ce soir là Jacob, mais je peux t'assurer que l'on ne te lachera pas de si tôt"
"de quoi parlez vous ? Vous vous rendez compte de l'état dans lequel je suis ?"
"tu n'as pas vu celui de tes copains, et surtout de tes copines …"
Je la regarde et décide de lui répondre presque aussitôt
"je ne me souviens de rien, vous pouvez me mettre la pression, me faire croire que je suis responsable de ce qui est arrivé, j'ai été drogué, je devais commencer mon travail le lendemain matin …"
Elle me coupe immédiatement :
"parlons en de ce travail "Maître Plessis", vous n'en avez pas, de travail, personne ne vous a jamais engagé, vous vous êtes installé ici sans raison apparente"
Elle s'arrête pour sortir un ipad de son sac. Je ne comprends plus ce qui arrive. Elle reprend rapidement tout en tapotant dessus :
"durant votre hospitalisation, qui j'espère ne durera plus, je me suis permise de m'intéresser un minimum à votre vie"
Elle s'arrête, déverrouille sa tablette, puis reprend :
"né à Orléans dans la bonne société locale, d'un père marchand d'art et d'une mère médecin, vous avez fait de belles études de droit à Lyon, avant de passer le barreau joliment à Paris I. Il y a un an vos grands-parents décèdent, et vous lèguent une somme que je ne gagnerai certainement jamais dans ma vie, et vous décidez de venir vous installer Place des Vosges, sans autres ressources"
"je vous dis que je suis collaborateur dans un cabinet"
" M. Plessis, il ne faut pas se droguer, regardez, vous perdez la mémoire, aucun cabinet parisien ne vous a engagé" me dit elle alors très sèchement, avec un air moqueur;
Je me sens mal, je ne sais pas quoi dire, elle est vindicative, elle me provoque je pense.
"ce que j'ai eu le plus de mal à comprendre, c'est les importantes rentrées d'argent durant votre convalescence, près de 200 000 € en deux mois, de la même personne, vous savez celle que vous prétendez n'avoir rencontré qu'une fois, Doris Cothgrove, qui d'ailleurs vous a envoyé de drôle de lettres"
"elle ne connaît pas mon adresse, ce n'est pas possible"
"écoutez M. Plessis, nous vous avons mis en examen début février, et nous avons pu recueillir votre courrier"
Elle s'assoit en face de moi,
"je pense qu'elle ignore tout de ce qui se passe pour vous ici, du moins que vous êtes dans de sales draps"
"mais qu'ai-je fais ?"
"écoutez, c'est simple, vous êtes accusé de trois homicides volontaires, d'actes de tortures, de trafic de stupéfiant, de proxénétisme et je passe les délits, qui finalement n'ont plus aucune incidence sur la situation dans laquelle vous êtes et comment vous allez finir votre vie de nanti"
"je ne vois pas sur quoi vous vous basez, je n'ai rien à voir dans ce qui s'est passé, j'étais moi aussi totalement drogué, inconscient et mutilé"
"oui c'est évident, mais vous n'êtes pas le seul à être accusé, il y a aussi vos deux amis qui se sont réfugiés aux Etats-Unis, mais voyez vous, il n'y a que vous qui restez, et je peux vous assurer que le procureur ne va pas vous lâcher, cet événement a choqué toute la France pendant les fêtes de Noël"
Elle s'arrête deux secondes et sourit presque ironiquement,
"vous allez devoir appelez un de vos confrères, je pense que dès votre sortie de l'hôpital, vous allez en détention, enfin, je suis sûre"
"sortez, je veux rester seul"
"oui, mais je ne serai pas loin, à partir de maintenant, il y aura sans cesse quelqu'un devant cette porte, vous êtes dès maintenant en captivité M. Plessis, vous rencontrerez le procureur d'ici peu, et vous quitterez l'hopital dès que les médecins vous jugeront en l'état"
"qu'avez vous contre moi ?
"ce qu'il y a de plus indubitable, des preuves ADN et des empruntes, qui vous situent systématiquement au centre des événements, vous n'êtes pas prêt de retrouver une vie normale M. Plessis, ou alors, il va falloir faire revenir les personnes qui étaient avec vous, et en particulier Mme Cothgrove"
Je sens la colère monter en moi, je ne sais pas ce qui s'est passé, je ne douterai jamais de moi, de ma morale, ou des choses que je peux faire.
Je regarde Géraldine Massort d'une manière tenace et lui dis
"c'est un coup monté, je suis incapable de faire une chose pareille, ce n'est pas dans ma nature, je suis quelqu'un de bien, de gentil, je ne suis pas violent"
"je ne crois que ce que j'ai pu constater et je constate que vous êtes mêlé jusqu'au cou dans un des plus terribles meurtres de ces dernières années, sans que rien ne puisse vous en disculper. Certes vous ne vous en souvenez pas, mais cela n'a jamais été une circonstance atténuante pour qui que ce soit, qui plus est dans une affaire comme cela".
"je veux être seul, partez. De toutes façons je ne peux pas partir"
Elle se lève de la chaise et commence à partir en la laissant à coté de mon lit ; je sens une vague de rage déferler en moi, inondant mes pensées et polluant mon esprit. Je ne douterai jamais de moi, je ne me crois pas capable de faire des choses pareilles.
Je la regarde réunir progressivement ses affaires, puis quitter la chambre en claquant la porte, sans un au revoir ni même une phrase.
J'ai la certitude qu'elle me croit coupable.
Je suis maintenant seul dans la chambre, il n'y a pas un bruit, je regarde les arbres dehors, la vie continue. Je regarde la TV dont le son a été coupé.
Il faut que je retrouve Léandre et Doris, il faut que je leur parle, que j'essaies de comprendre ce qui s'est passé. Je ne comprends vraiment rien à ce qui m'arrive, je suis inquiet.
À ce moment, la porte s'ouvre de nouveau et je vois entrer seule. Elle arrive vers moi avec un regard toujours aussi maternel, mais qui est maintenant un peu mêlé d'inquiétude.
Elle s'assoit sur la chaise à coté de moi puis me dit :
"comment prenez vous tout ce qui vous arrive ?"
"ai-je le choix de mal le prendre ?"
"je veux dire, vous venez presque de reprendre conscience, et tout ceci vous tombe sur la tête"
Elle s'arrête un petit moment, comme pour avaler sa salive, puis reprend :
"vous venez d'apprendre que vous ne serez pas libre en sortant d'ici , on vous accuse de meurtres, c'est très grav..."
"mais qu'on t-il contre moi ?, je serai curieux de le savoir"
Elle met un petit temps avant de me répondre, puis, d'un air grave et d'une voix posée :
"votre sperme a été retrouvé dans les victimes, vous aviez un peu de leur peau sous les ongles, et surtout vous êtes le seul à être rester ici"
Je sens monter en moi une grande tristesse, je suis vraiment inquiet, il faut que je parte avant que je ne puisse plus le faire. Je dois faire comme eux, partir aux Etats-Unis, et quitter la France avant d'être arrêté.
"je n'ai rien à voir dans tout ce qui arrive, , je vous l'assure, je suis parfaitement innocent"
Elle ne me répond pas immédiatement, puis en me regardant droit dans les yeux me dit :
"je vous ai vu pendant ces deux mois, je n'ai vu que quelqu'un de gentil, de touchant, je ne vous crois pas non plus capable de faire une pareille chose"
Elle regarde la fenêtre, comme pour s'échapper du moment pesant présent
"mais après on ne peut pas nier l'évidence Jacob"
"dans combien de temps je sors de l'hopital ?"
"normalement d'ici 4 jours, le temps que vous vous remettiez normalement à marcher"
"puis-je vous faire confiance ?"
Elle ne dit rien, me regarde fixement, le regard fixe, tendre et triste, puis elle hoche la tête pour me faire comprendre que oui.
"il ne faut pas que je me fasse arrêter, je dois trouver une solution pour quitter la France"
Je m'arrête un court instant, je pense alors immédiatement à Ambroise, un ami d'enfance, dont les parents ont un avion au Bourget. Je me dis alors qu'il me serait possible avec l'argent qui a été versé sur mon compte de payer l'aller vers New-York. Ils contrôlent mal les entrées en jet sur le territoire, presque juste que l'identité du passeport correspond avec celle inscrite sur le tableau de bord, je me dis que c'est la seule solution pour moi de quitter la France, les Etats Unis n'extradent pas.
" ?"
"savez vous où est mon téléphone ?"
"oui, il est dans la table de nuit, mais il ne doit plus être chargé, il y a le chargeur aussi. Voulez-vous que le mette en charge ?"
"oui merci beaucoup"
J'hésite encore à confier à mon idée, mais ses yeux emplis de tendresse et de sincérité finissent par me convaincre.
"pouvez-vous m'aidez ?"
Elle me regarde droit dans les yeux, l'air inquiet, comme pour essayer de comprendre ce qui se passe, et surtout ce que je vais lui dire.
Au moment où elle ouvre la bouche pour me répondre, un franc rayon de soleil perce dans la pièce, et vient lui caresser la joue gauche.
"que voulez vous que je fasse Jacob ?" me demande t'elle alors franchement inquiète.
" je ne veux qu'une chose, assez simple"
Je m'interromps deux ou trois secondes, je la fixe droit dans les yeux, comme pour lui faire comprendre que je suis très sérieux, puis je reprends alors qu'elle devient progressivement blême :
"il faut que je quitte la France, je sais comment, il faut que je débloque de l'argent, et que j'aille au Bourget, mais je ne peux pas quitter l'hopital comme ça, c'est là que j'aimerai que vous m'aidiez"
"comment ?"
"je ne sais pas, faite moi transférer vers le Bourget, et dès que l'on peut, je m'enfuis"
"et après qu'allez vous faire ?"
"après, ça me regarde, je vais aller aux Etats Unis, retrouver cette Doris, et m'expliquer. Elle m'a foutu ma vie en l'air"
"mais qu'allez vous lui faire ?"
"déjà parler, puis après, je verrai"
scrute le vide, j'ai l'impression qu'elle essaie de choisir ce qu'elle va me répondre.
"je vous paie si il n'y a que ça, ce que vous voulez, je ne vais plus avoir besoin de beaucoup d'argent, je vous paie ce que vous voulez, vraiment"
"je ne veux pas de votre argent, mais je veux vous aider, nous en parlerons demain, pour l'instant, reposez vous encore, je vais essayer de vous faire partir demain, car normalement, ils vous mettent dans un hôpital pénitentiaire dans les jours qui viennent, il faut faire cela avant".
commence à partir, elle est presque en train d'ouvrir la porte, lorsque je lui dis :
"venez avec moi"
"où? "
"dans l'avion qui m'emmenera aux Etats Unis"
Elle se retourne et fixe la porte, puis me répond dans le vide :
"je verrai, si je vous permets de fuir, ma vie est brisée aussi"
"vous me direz demain"