Béances historiques
Dominique Capo
Hier, en fin d'après-midi – comme c'est le cas pratiquement chaque jour -, je termine ma session d'écriture aux alentours de dix-sept heures. Mon ordinateur reste allumé. Mais je quitte mon bureau pour rejoindre mon salon, et visionner des émissions, documentaires, débats, etc. évoquant les divers et multiples aspects de notre civilisation, de notre société, de ce qu'est l'Homme… que j'ai enregistrés précédemment sur le disque dur de mon lecteur-enregistreur de DVD. C'est ma façon de me changer les idées ; mais également de m'instruire, d'enrichir mon esprit, mon âme, ma conscience de la myriade de perspectives dont ces derniers sont constitués. Ce n'est qu'après avoir mangé – vers vingt-et-une heures généralement – que je visionne un film ; avant d'aller lire au lit jusqu'aux environs d'une heure du matin.
Hier donc, j'ai visionné l'un des deux documentaires diffusés sur M6 mercredi soir. Ils évoquaient tous deux la période Nazie, et par extension, la Seconde Guerre Mondiale. Ils étaient suivis par la rediffusion – très tard – d'un téléfilm s'intitulant « l'Enfant de Buchenwald ». Il me semble d'ailleurs me souvenir que celui-ci a été diffusé en en première partie de soirée sur cette même chaîne il n'y a pas si longtemps. Je l'avais visionné parce que son récit est tiré d'une histoire vraie. Et il était passionnant parce que particulièrement méconnu.
Il faut dire que, si ce n'est les grandes lignes de cette époque dramatique, énormément de faits, d'événements, de dimensions et d'éclairages sont, le plus souvent, passés sous silence. Non pas que cela ne soit pas possible de les traiter : les archives filmées sur l'ascension et la chute du IIIe Reich, d'Hitler, de ses affidés, sur les kyrielles de projections évoquant ces années-là, sont nombreuses et diverses. Ainsi, par exemple, lorsque j'habitais encore Paris et que je me rendais régulièrement à la FNAC située aux Halles – pour ceux et celles qui connaissent la capitale -, je me suis acheté une série de documentaires évoquant le premier conflit mondial. Or, lorsque j'ai examiné leur jaquette, je me suis rendu compte que ceux-ci totalisaient près de dix heures d'images. Ils étaient commenté par Marc Ferro, qui est l'un des historiens et plus éminents spécialistes de cet affrontement titanesque du début du XXe siècle. Nombreux sont en effet les historiens qui inaugurent ce siècle en 1914, et le concluent en 1989 avec la Chute du Mur de Berlin. Et évidemment, cette longueur inaccoutumée pour un documentaire historique m'a ravi ; mais aussi surpris.
Ce n'est que lorsque je les ai visionné – en plusieurs fois – que j'ai compris pourquoi ils étaient si importants en terme de durée. Uniquement parce que, non seulement ils s'attardaient sur les causes de ce conflit ; son contexte, les enjeux politiques, économiques, sociaux, etc. Ils s'attardaient également sur ses conséquences à court, à moyen, et à long terme. Je me rappelle notamment qu'ils soulignaient notamment les effets de la Révolution Russe de 1917, ainsi que ce qui en a résulté.
Je possède toujours cette série de documentaires. Ils sont rangés sur l'étagère de mon salon consacrée aux DVD historiques. Par la suite, j'ai lu plusieurs ouvrages de Marc Ferro sur cette période. Et spécialement son « La Grande Guerre » placé parmi les dizaines de livres d'Histoire apposés dans ma Bibliothèque. Enfin, une partie, parce que j'en détiens tant que j'ai dû en transférer les deux-tiers chez ma mère par manque d'espace.
Bref, tout cela pour dire qu'en ce qui concerne les deux documentaires diffusés mercredi soir sur M6, je trouve très bien qu'ils soient proposés sur une grande chaîne, et à une heure où le maximum de personnes peuvent le suivre. Pour celui que j'ai visionné, il était certes intéressant. Je suis peut-être exigeant – dans ce domaine, comme dans d'autres, vous le savez maintenant -, cependant, il ne mentionnait pas nombre d'épisodes significatifs, voire fondamentaux, afin de l'embrasser et de l'expliquer avec discernement. J'en ai assez visionné depuis plus de deux décennies que j'étudie l'Histoire dans sa globalité, pour savoir qu'en 85 minutes, il est impossible d'aborder tous les thèmes qui s'y réfèrent. Par exemple, dans celui-ci, tout ce qui concerne la « Guerre du Désert » a été effacé ; de même que la guerre sous-marine, ou l'invasion des Balkans, de la Scandinavie, etc. Plus spécifiquement à la France, la Collaboration est un sujet complexe à ne pas aborder avec légèreté en quelques minutes. Comme les camps de concentration ou la Shoah. A eux seuls, tous ces aspects méritent amplement d'être approfondis.
Malgré tout, des documentaires tels que celui-ci – ou d'autres – ont un mérite : celui d'offrir un premier aperçu de ce qu'a été le Nazisme et la Seconde Guerre Mondiale, à ceux et à celles qui n'en savent pas grand-chose… malheureusement. Car, il y a tant de personnes, jeunes ou moins jeunes, pour qui ce passé relativement récent est inconnu. Ou pour lequel ils sont imprégnés d'a-priori, de raccourcis, d'amalgames, de contre-vérités. Et, à mes yeux en tout cas, il n'y a rien de plus dangereux et de plus effrayant que d'oublier les effets dévastateurs de cette tragédie : les 50 millions de morts qu'elle a coûté ; les 6 millions de Juifs exécutés dans des camps d'extermination ; la Shoah ; la Guerre Froide entre l'Est et l'Ouest qui en a résulté, et qui a laissé son empreinte sur notre mode de société jusqu'à nos jours.
Comme je l'évoque parfois, il faut connaître notre passé, pour appréhender notre présent, et envisager l'avenir. Si on en n'est pas informé, il est inévitable de renouveler les erreurs de nos aïeux. Et quand on y regarde de près, il n'est pas anodin de revoir surgir l'antisémitisme, la haine, le racisme, etc. de nos jours. A chaque grande crise que traverse notre Civilisation, ces fléaux se réveillent inévitablement. Les boucs-émissaires sont toujours les mêmes. Les idées reçues, les idées préconçues, les fauteurs de troubles, sont, « de facto « désignés. Tout cela, uniquement parce que les gens ne savent pas d'où et comment ces notions sortent ; pourquoi ils en sont imprégnés à ce point ; de quelle manière l'inconscient collectif les a modelé depuis des dizaines ou des centaines d'années alors qu'ils s'appuient sur des erreurs sociétales monumentales. Pire encore, ces idées reçues sont des vecteurs de haine, d'intolérance, d'extrémisme. Ils sont les ponts d'appui du Front National, entre autres. Les gens l'ont perdu de vue, mais c'est sur des thèmes tels que ceux exaltés par ce parti, que le Nazisme s'est développé. On en connaît le résultat. Au départ, les exclus ayant subi la crise de 1929 ont vu en Hitler celui qui pouvait redresser leur pays ; une sorte de « sauveur » puisque les autres politiques de Droite et de Gauche avaient échoué. Hitler s'est servi magistralement des peurs et des troubles nés de la récession pour se hisser au pouvoir. Les gens se sont imaginé que, puisque son idéologie n'avait jamais été expérimentée, pourquoi pas ne pas l'essayer…
Cela ne vous rappelle rien. Aujourd'hui, les arguments de l'Extrème-Droite Française, et plus largement, Européenne, sont équivalents. Ils usent des mêmes vieux clichés. Ils se servent des mêmes vieux démons afin que les hommes et les femmes terrorisés par les incertitudes de notre époque, se jettent dans leurs bras. Ils comptent sur le fait qu'ils ont « oublié » les mécanismes qui ont conduit la plus monstrueuse des idéologie au gouvernement d'un pays. Ils comptent sur la naïveté, la crédulité, l'espoir, et surtout, l'inculture en matière d'Histoire, de leurs adhérents ou sympathisants. Ils enracinent éventuellement dans leurs esprits des contre-vérités, des propagandes, relativisant les horreurs qui ont été perpétrés par leurs prédécesseurs : « les chambres à gaz n'ont été qu'un détail de l'Histoire » ; « Hitler a aussi fait de bonnes choses. » ; « Il n'y a pas eu six millions de morts au cours de la Shoah. ». Cette attitude, qui est de négliger la multitude de facettes de ce qu'a été cette forme de totalitarisme, engendre révisionnisme et simplification à outrance.
De fait, des documentaires tels que celui-ci, et tant d'autres disponibles de maintes façons différentes, sont essentiels pour « réapprendre » aux gens ce que l'ignorance ou la méconnaissance, sont susceptibles d'engendrer. C'est triste, c'est affligeant, mais je constate personnellement au regard des échos que j'en ai ici et ailleurs, que cette pédagogie est essentielle ; voire vitale. Des documentaires tels que celui-ci ont le mérite de remettre en perspective la réalité des faits d'une période pas si lointaine ; et dont l'idéologie est toujours présente ; en sommeil certes, pour l'instant. Mais prête à se réveiller et à conduire le monde au chaos une nouvelle fois, si nous n'y prenons pas garde ; si nous ne demeurons pas vigilants en permanence ; si nous ne stoppons pas ces partis qui souhaiteraient la propager une fois de plus après qu'ils aient été porté au pouvoir.
Car, ne vous faites pas d'illusions : une fois qu'un parti comme celui d'Hitler hier, ou celui de Marine Le Pen aujourd'hui, arrive au gouvernement d'un État, il ne le lâche plus. La démocratie, la république, la liberté, la tolérance, etc., toutes ces valeurs auxquelles nous tenons tant, sont systématiquement emportés dans la tourmente qu'ils déclenchent. Et cela se termine à chaque fois de la même façon : dans le sang, la mort, la violence…
Alors, oui !!! Ce genre de documentaire est indispensable. Incomplet, mais indispensable. Après, à chacun de nous de se procurer d'autres sources d'enseignement – livres, films, débats, archives, etc. - sont à notre disposition pour cela. Il y a, notamment, plusieurs films que j'apprécie de revoir de temps en temps pour m'en remémorer quelques fragments : La Chute, le Jour le plus long, la Rafle, Paris brûle t-il ?, la liste de Schindler, sont des incontournables. Quant à moi, c'est parce qu'en tant qu'historien, j'ai énormément approfondi - entre autres période – l'entre deux-guerres à un moment donné de mon existence, c'est parce que j'ai accumulé de nombreuses notes, que je rédige actuellement un livre sur les Origines occultes de l'idéologie Hitlérienne. Ma maigre et modeste contribution à cet élan pour réveiller « la conscience de ceux et de celles qui ont oublié ».
Je ne sais pas encore quel va en être le résultat. C'est un travail très exigeant, nécessitant beaucoup de concentration, de réflexion, de recherches, de lectures, etc. Il implique énormément d'investissement personnel en temps, en corrections, en relectures. Néanmoins, il m'apparaît comme considérablement pertinent au vu des béances culturelles dont j'ai été le témoin. Pourtant, j'estime qu'il est de mon devoir, aussi infime soit-il, d'accomplir cette tâche. D'ailleurs, en attendant de visionner le second documentaire que j'ai enregistré mercredi, je m'y remets tout de suite...
Dominique