Belle île en ville
Collectif D'auteurs Atelier Les Cris De L'écrit
Il avait décidé de se retirer sur une île, son choix se porta sur l'Arc de Triomphe entouré par un flot perpétuel de voitures….
La journée s'était écoulée sans heurt ni malheur. Le refuge qu'il s'était choisi lui convenait finalement. Il l'avait exploré minutieusement, admirant aux quatre points cardinaux les magnifiques perspectives que lui offraient les avenues et les immeubles Haussmanniens.
La vue était belle à la lueur du jour tombant. Les tons chauds des feuilles des arbres les plus proches illuminaient ce paysage mais les nuances rousses fonçaient au fur et à mesure de l'éloignement en un dégradé tirant sur le noir et, tout au fond, un gris sombre noyait les formes et tout se brouillait là où le regard ne pouvait aller plus loin. Il se dit que les objets rapprochés sont nettement visibles, les lointains plus flous, mais en fait, est-ce vrai pour toute chose ?
Le soir était tombé maintenant et d'autres couleurs vinrent remplacer celles du jour. D'un côté des avenues : rubans de lumières blanches en couple parfaitement unies dans leur déplacement. De l'autre côté de l'avenue, rubans de lumières rouges tout aussi jumelles que leurs voisines. A ces deux tons s'ajoutaient des clignotements orangés tout autour de son île et même quelques éclats de lueurs bleues agaçantes et choquantes par leur tonalité froide.
Vagues blanches, vagues rouges, il était au milieu d'un tourbillon de lumières, il en était le centre, l'épicentre, l'œil du cyclone.
Les vagues déferlaient. Pas de doute, c'était marée haute, mouvement de ressac, bruits de mouvances ronronnantes au milieu desquels des crissements soudains laissaient imaginer quelque rupture de rythme dans le bon déroulement du flux.
Au loin, tels des phares guidant les vaisseaux égarés, des lumières empilées jusqu'au ciel semblaient attirer l'œil, mais, vers quel fanal fallait-il se diriger ? Quelle gigantesque balise lumineuse était la bonne ? Le choix devait être important pour ne pas s'égarer dans le dédale environnant et ne pas se fracasser contre les immenses rocs de pierres empilées.
Le bruit autour de lui berçait sa rêverie. Gammes montantes, gammes descendantes, soupirs : toute une musique incessante qui semblait ne jamais devoir se terminer par un point d'orgue.
Au milieu de la nuit, il perçut cependant une légère pause, du moins une agitation moins dense, un « lento » dans la symphonie, une accalmie dans les rubans colorés qui s'étiraient alors en pointillés espacés. Ce calme relatif ne dura que deux ou trois heures.
Bientôt, après cette courte période de l'étale correspondant au renversement de la marée, le flux montant reprit inexorablement son cours endiablé jusqu'au matin.
Et là ! Tout s'arrêta…. La mer de carcasses métalliques fut stoppée, l'île s'endormit dans un silence inattendu et inquiétant, sa plage s'agrandit par l'abandon du flot, le temps sembla suspendu. Il se surprit à retenir son souffle pour ne pas troubler l'intensité de cette quiétude angoissante. Cela dura peu, mais ce fut une éternité.
Le martèlement des sabots des chevaux de la Garde Républicaine le ramena à la réalité : il se souvint alors que c'était le 11 novembre !