Belle île en ville - 2
Collectif D'auteurs Atelier Les Cris De L'écrit
Il avait décidé de se retirer sur une île, son choix se porta sur l'Arc de Triomphe entouré par un flot perpétuel de voitures…. Faute de mieux !
Il aurait bien sûr préféré un autre lieu, mais puisque le hasard l'avait débarqué en cet endroit, il se plut à croire que c'était par sa propre volonté qu'il avait échoué ici.
Lui, le citoyen de l'île d'Yeu, lui, le fils de pêcheur, plus Vendéen que Français et même plus Islais que Vendéen, avait dû quitter la maison de granite qui l'avait vu naître, partir de Port Joinville pour une destination inconnue loin, très loin dans les terres, vers l'Est. Il s'était retrouvé avec bien d'autres compagnons d'infortune confronté à un froid blanc inhabituel sur son île natale. Il avait vu des arbres, des herbes et même quelques fleurs inconnues de lui car inexistantes sur la lande bretonne. L'horreur de son séjour avait été de très courte durée. Dans le vent glacial et nullement salé de cette contrée, une chaleur soudaine l'avait fait suffoquer et en une fraction de seconde, il n'avait plus existé.
La paix, la tranquillité, la sérénité régnaient en lui. Non, il ne regrettait même pas son ancienne vie, il n'attendait plus avec impatience le retour vers la côte sauvage et n'avait nulle nostalgie de ce creux de rocher où il avait l'habitude de rencontrer son amie de cœur. Non, il ne voulait rien, ne redoutait rien, son esprit, son âme aurait dit le curé qui priait chaque jour Notre Dame de Bonne Nouvelle à la Chapelle de La Meule, flottait au-dessus de son corps et il trouvait tout cela normal !
Il s'était senti soulevé, il avait eu vaguement conscience d'un enfermement mais, sans que cela ne le gêne, il était libre, il était évanescent, sans consistance mais présent cependant.
Il s'était retrouvé plus tard avec sept autres personnages dans le même cas que lui. Parmi les huit présents, il avait été choisi. Et c'était depuis ce jour-là qu'il résidait à cet endroit qu'il avait décidé être une île au milieu de la grande ville.
Les sons qui lui parvenaient lui rappelaient le grondement de la mer roulant sur les galets et se fracassant sur les rochers de la côte sauvage. Des tons aigus pointaient de temps à autres et dominaient le sourd ronronnement. Il se souvenait alors des grands goélands bruns qui planaient en raillant comme s'ils se moquaient des terriens incapables de s'élever dans le ciel. Parfois, il imaginait que c'était la corne de brume de quelque bateau signalant sa présence dans le coton humide masquant toute vue. Cependant, ces rumeurs n'étaient pas la musique de la mer, ce n'était que des bruits qui trompaient son silence !
Parfois, il percevait l'air frais passer au-dessus de lui. Il y cherchait la senteur de l'iode, du sel mais seule une odeur désagréable et inconnue lui parvenait. Il n'y entendait pas le sifflement du noroît dans les haubans et les drisses des voiliers ancrés au port, ni le clapotement de la mer le long de la coque des cotres qui mouillaient dans la baie. Rien à voir non plus avec la brise légère du printemps parfumée de l'arôme des genêts ou des ajoncs fleuris sur la lande. Ce souffle était bien différent de ce qu'il avait connu, ce n'était qu'un courant d'air qui frôlait son corps !
Chaque nuit, il voyait des lueurs qui provenaient il ne savait d'où. Rais de lumières blanches, faisceaux de lumières rouges, éclats orange ou bleus. Il essayait de décrypter la séquence logique de ces luminosités, recherchait quelque algorithme gouvernant ces scintillements mais n'y parvenait pas. Ce n'était pas les éclats du Grand Phare sur la butte de la Petite Foule qui distillait chaque nuit ses éclats blancs toutes les 5 secondes, ce n'étaient que des lueurs au milieu de ses ténèbres !
Enfin, c'était ainsi, il était retiré sur une île, entourée par un flot perpétuel de voitures, sous ce petit morceau de terre parisienne, surmontée d'un bouclier de bronze au milieu duquel la bouche d'un canon crachait une flamme éternelle. Et ce, depuis le 11 novembre 1920.