L'eau, dis c'est ?
panthere_de_gouttiere
Vous nous avez surnommées " petites oreilles ", la moindre des choses serait de nous prêter un peu la vôtre. Mais si vous préférez parler shopping, passez votre route: ici pas besoin de chaussures, rendez les avec vos larmes aux crocodiles, et mettez la en sourdine.
Après tout, c'est normal: Vous ne nous connaissez que via vos télés et ces-îles de France, voyez sûrement la vie comme un long fleuve sans quilles. Détrompez-vous énormément, croyez-en nos éléphants, la mer qui s'agite est souvent amère. Ne soyez pas trop "ses-vers", gardez quand même la pêche, et plongez avec nous pendant ces quelques lignes.
Je pourrais vous dresser une jolie table-oh ! , vous servir une soupe où les dauphins qui jaillissent des vagues sont des sourires de bonheur, mais ici même Flipper aurait de quoi avoir peur. Il porte peut-être mieux son nom que la voie lactée certains de ses astres. Désolée, les étoiles filantes ne sont plus très vivantes, ne reviennent jamais des abysses pour peupler des mers effervescentes. Alors au fond de l'océan ton thème astral, bienvenue en austral, là où même les eaux sont sales. On s'y jette toujours ?
Quoi, il ne reste déjà plus que toi ? En passant au singulier, j'avais bien senti le vent tourner.
Malgré ta bravoure, il n'y aura pas de détours. Accroche-toi Dante, on rentre dans le cercle de dents et... de la mort. L'enfer à repasser, t'as raison de te chiffonner. Oui, je vais te montrer par là où nous passons, lorsque la grosse dame nous tente. Elle s'appelle faim, et nous conduit souvent à la nôtre. Tu sais c'qu'on dit, en période de disette, pas possible de faire la cosette.Dans cet archipel isolé, il faut bien trouver de quoi manger. Comme chaque matin, l'océan ne fait pas encore trop de vagues: de son regard vitreux, il nous laisse la porte ouverte. C'est le calme avant les thons bêtes, le temps où les poissons pas encore rouges, ignorent leur propre fête. Le ciel somnolent est d'une grisaille, comme s'il s'en fichait de nous tenir en cisaille. Et ce, partout qu'on aille. Aïe, ça va faire mal ! Accroche-toi à moi comme à un cheval, il reste encore un long chenal à parcourir. Mais ce n'est pas le pire. A partir de maintenant, il va falloir nager à toute vitesse sur plusieurs centaines de mètres. Et pour l'instant, seul mon coeur s'accélère. Ma vue se trouble avec les eaux, je n'y vois plus grand chose. Tu deviens trop lourd sur mon dos, et même si tu respires fort, je voudrais bien que tu me fasses de l'air.
Je chute !
Ce n'est pas ta faute : le fond tombe brusquement à plus de vingt mètres.
La voilà, la zone rouge ! Pourtant, il y fait plus noir que dans un mausolée. Encore désolée. Le problème, c'est qu'ici les vautours de la mort sont chicaniers. Ils ne volent pas, mais ont des ailerons. Oui, comme celui-là, derrière-nous ! Ce bourreau fend l'océan plus vite qu'un coeur. Je sais, tu as peur. J'aurais du te le dire avant ? Finalement, tu te fiches de savoir ce que nous vivons ? Une chance, car nous mourons. Quoi, toi tu ne veux pas ? Moi non plus ! Alors, aide-moi un peu. Tu me cries: " Attention, le requin va sauter !" Et moi je te réponds, non non, il ne fait que jouer... Et je te laisse deviner qui fait le mouton. Je le réalise avec les ondées glaciales qui nous éclaboussent, ces vieux loups n'ont pas fini de faire la pluie et le beau temps. Nous sommes dans de sales draps. Je tente une esquive sur la droite. Rien ne va plus, douille-heure ou douleur, les jeux sont faits ! Pas nous, je ne sens rien: j'ai réussi. Je rafle la mise, le requin ne se remplit pas la poche de sang. Entre deux clignements, je distingue l'ombre pesante du monstre qui retombe. A l'aveuglette, je fonce tout droit. Des nuées serpentines s'enroulent autour de nous, se dispersent en gouttes perfides et volubiles. Il y a anguille sous roche. J'ai beau ne rien voir, je sens des mouvements en dessous. Des tremblement nerveux secouent mon corps. Je suspecte l'océan de vouloir me happer, je renie cette bouche géante qui refoule d'ignobles relents à la surface; j'imagine le requin y remonter, comme un monstre avide grimperait les marches de vos caves. Je veux me détacher de ces eaux putrides, maintenant ! Mais je me liquéfie, comme si ces geôles spongieuses me forçaient à ne faire qu'une avec elles. Je ne jetterai pas l'éponge ! Je saute sur le côté. Puis d'un autre, et encore d'un autre... Je suis fatiguée, je m'essouffle. Je pars en vrille. Le requin aussi !
Qu'est-ce qu... ?... je vois rouge... je... Où est... mon autre moitié ? Aïe... j'ai mal...
* Rit-d'eau * : les méduses géantes écartent avec une molesse lugubre leurs filets translucides...
L'eau t'as ri ? Tant mieux, nous les otaries, personne ne nous pleure.
(c)