Bienvenue chez les morts

thegirlwiththeeyetattoo

« Voilà votre ticket, bienvenue chez les morts.»

Et tatouer sa peau de baisers, et inspirer ses soupirs.

Sur le bout des lèvres, elle avait son nom. Toujours. Ses murmures étaient des mélodies qu’elle apprenait par corps. Il était un barbelé accroché à son poignet, un fil de laine rouge qui lui fermait les yeux, elle marchait à l’intuition de la sensation, comme happée par un appel aveugle, elle vacillait dans ses pas, tricotant frénétiquement leur tragédie.

Elle se sentait étourdie, gribouillée, mais la valse continuait, et comme la vie, il fallait danser et vivre ou s’effacer et mourir.

Il fallait donner son cœur aux cors puisqu’il avait décidé de ce dessein. Elle  entonnait les cuivres et les violoncelles avec fièvre,  comme un hymne à l’amour. On aurait  dit qu’elle récitait des incantations ancestrales, ressuscitant sur sa langue tous les fantômes des filtres d’amour et toutes les héroïnes raciniennes.

Elle avait pour public des monstres faits de mille ombres qu’elle convoquait elle-même, dans ses grands yeux d’encre.

Etoilée de sueur, les traits durs, elle tournait dans la salle déserte, rejouant, pour l’éternité et un jour, la danse de l’envie. Elle virevolterait jusqu’à tomber en lambeaux. Pendant les siècles à venir, elle résisterait à la vieillesse et à la poussière, en vendant son âme aux virils.

Le garçon la regarda, partagé entre dégoût et  désir.

Il avait envie d’elle.

Carmen des temps moderne, elle charmait l’oxygène, saturait l’air d’improbable.

Mais cette sensation surnaturelle lui faisait peur, il la dévisagea d’une œillade irrévérencieuse.

Les violons cessèrent.

 Le sang ne colora plus ses joues.

Le temps se figea.

La lumière pâlit.

Il s’éloigna avant qu’elle ne l’invite à pénétrer  son empire.

Presque en courant. Il se cacha de ce lys au goût d’hémoglobine.

Elle le suivit dans un ultime effort, les cheveux en bataille, la poitrine soulevée, amoureuse de la première heure, elle ordonna au vent de susurrer à cet inconnu le secret de ses courbes, pour que lui seul entende, pour qu’il revienne.

Mais aucune demande ne traversa jamais la toile.

Et la danseuse resta prisonnière de son tableau, et le garçon s’en alla.

Il ne restait que le trouble du gardien de musée qui avait contemplé la scène.

Et comme tous les soirs, il la laissa là, dans son mausolée mélancolique, sans se douter qu’un jour, la poussière ferait tousser les violons et trébucher la belle au royaume des morts à jamais glacés par le vernis.

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