Big apples

Christophe Loupy

Commentaires : j'ai écrit ce conte au début de l'année 2001, c'est-à-dire plusieurs mois avant les événements du 11 septembre. Est-ce un écrit prémonitoire ? Une simple coïncidence ? Je n'en sais rien, à vrai dire. Par la suite, troublé par cette histoire, plus certaines autres coïncidences qui se sont enchaînées dans ma vie, j'ai décidé d'inclure ce conte dans un roman fantastique pour adultes (et exclusivement pour adultes), intitulé L'Antestament (La bible de Satan), un roman très étrange, au scénario "diabolique" qui transforme le lecteur en assassin (disponible en librairie).

Il était une fois, un pays divisé en deux.

À droite, il y avait la mer et des terrains verdoyants ; à gauche, le désert et de la rocaille.

À droite, il y avait Lamé, un village constitué de petites maisons en bois, au toit de chaume et aux volets multicolores ; à gauche, Larmac un autre village fait de cases en terre séchée, au toit plat et aux murs blancs.

Chaque village avait son roi. À droite, gouvernait Rico ; à gauche, Roco.

Le village de Rico possédait des terres fertiles où poussaient légumes et fruits en abondance.

Celui de Roco avait un sol inculte. Malgré tous les efforts de ses habitants, rien n'y poussait. Pas le moindre brin d'herbe.

Alors, un jour, Roco convoqua ses sujets et leur dit :

"C'en est trop, tous ces gens qui mangent sous notre nez sans jamais partager avec nous ! Ils ont pourtant beaucoup de nourriture, mais ils préfèrent laisser pourrir les fruits sur les arbres plutôt que de nous en faire profiter ! C'en est trop ! Profitons, nous aussi, de ces richesses perdues et allons prendre ce qu'ils ne veulent pas nous donner !"

Ainsi fut fait et toutes les nuits, alors que les habitants de Lamé dormaient, ceux de Larmac venaient dans leur verger voler leurs fruits.

Mais les paysans de Rico s'en aperçurent rapidement et le rapportèrent à leur roi. Celui-ci, très en colère, décida de se rendre dans la grotte de la Sorcière de Mâlemort .

Il s'inclina devant elle et demanda :

" Roco et les siens viennent voler nos fruits. Donnez-moi le moyen de les arrêter."

Alors, la Sorcière tendit deux graines à Rico et lui dit :

"Plante ces deux graines au sud de ton verger, là où le soleil et l'eau caressent tes terres. Elles donneront deux pommiers géants aux fruits empoisonnés."

Rico confia les graines à ses meilleurs agriculteurs et quelques jours plus tard, comme par enchantement, deux arbres s'élancèrent à l'assaut du ciel. Ils étaient vraiment gigantesques. Les pommes qui y poussaient étaient grosses et colorées.

Les gens de Larmac, attirés par ces beaux fruits, grimpèrent aux troncs de ces arbres la nuit suivante. Puis ils rentrèrent chez eux, heureux de leur cueillette et distribuèrent les pommes à leur famille.

La moitié du village mourut empoisonnée.

Roco se mit en colère. Il regarda les deux pommiers géants, symbole de la puissance de ces gens égoïstes, et décida d'aller voir la Sorcière pour trouver un moyen de se venger.

Celle-ci l'attendait. Elle sourit et lui donna le conseil qu'il souhaitait :

"Coupe le tronc de ces arbres et fais-les tomber sur le village de ton ennemi."

La nuit suivante, Roco envoya ses meilleurs bûcherons dans le verger. Les deux arbres étaient si larges qu'ils mirent plusieurs heures à les couper.

Au petit matin, lorsque les gens de Lamé se réveillèrent, les pommiers géants s'effondrèrent sur leur village et tuèrent la moitié d'entre eux.

Cette fois, la guerre était déclarée.

Les hommes ne s'intéressaient plus aux pommes. Leur but était maintenant d'éliminer définitivement leur ennemi…

Rico décida, une fois de plus, d'aller voir la Sorcière pour obtenir un ultime conseil avant la bataille.

Lorsqu'il entra dans la grotte, il constata que Roco était là, lui aussi.

Cette fois encore, la Sorcière les attendait. Elle avait disposé, à sa droite et à sa gauche, des autels blancs sur lesquels brûlaient des bougies. Elle les montra et dit :

"Les flammes de droite représentent les vies de tes sujets, Rico, celles de gauche, les vies des tiens, Roco. Chaque fois que vous en soufflerez une, une personne mourra."

Chaque roi allait se précipiter sur les bougies de l’autre quand une voix les arrêta dans leur élan :

« Bonjour ! »

Ils se retournèrent et découvrirent un homme à l’entrée de la grotte. C’était un vieillard, vêtu d’une longue robe blanche.

« Je suis un voyageur solitaire, dit-il, et je cherche un village chaleureux pour m’accueillir. »

Les deux rois observèrent le vieillard un instant et réfléchirent.

« Vieil homme, lui répondit Rico, si tu cherches un village accueillant, ne va surtout pas chez cet assassin. Il a tué la moitié des miens en abattant deux arbres géants sur nos maisons ! »

« Quelle injustice ! protesta Roco. C’est lui qui a commencé en empoisonnant la moitié de mon village ! »

Mais la Sorcière commençait à s’impatienter :

« Peu importe qui a commencé, dit-elle, vous êtes ennemis, alors soufflez ces bougies ! »

« Bonne idée, approuva calmement le vieillard, j’aimerais savoir qui va souffler le premier… »

Mais ni Rico, ni Roco ne soufflèrent. Chacun était persuadé d’être le gentil. Le méchant, c’était l’autre. Evidemment !…

Après de longues minutes, les deux rois s’énervèrent :

« Alors ! Qu’attends-tu pour attaquer, vermine ! »

« Allez, assassin ! Souffle le premier, tu en meurs d’envie ! »

Mais comme personne ne voulait être celui qui soufflerait le premier, la Sorcière se mit à hurler :

"Soufflez ! Soufflez ces bougies ! C'est un ordre ! Sinon, c'est moi qui vous tuerai !"

Les deux rois tremblèrent de peur. Ils savaient que la Sorcière était capable de les pulvériser s'ils n'obéissaient pas.

À ce moment-là, ils aperçurent un troisième autel au fond de la grotte. Il était noir, en forme de dragon. Un chandelier, noir également, y brûlait.

Poussés par le même élan, les deux rois bondirent vers l'autel et soufflèrent sur la flamme.

Avant que la Sorcière n'ait eu le temps de réagir, elle disparut dans un tourbillon de ténèbres.

Lorsque les rois rentrèrent chez eux et racontèrent leur aventure, ils furent accueillis comme des héros.

Les deux villages se réunirent pour fêter la sagesse et le courage de leurs rois et tous ensemble, ils décidèrent de faire la paix. Roco proposa l’aide des siens pour reconstruire le village de Rico et pour cultiver ses terres. Rico décida de partager ses récoltes.

Le vieil homme, lui, s’était éloigné en silence. Bientôt, il ne fut plus qu’un petit point à l’horizon. 

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