Bleu nuit
My Martin
Il existe 500 espèces de requins -raies incluses. 8 ordres. 35 familles. Ils sont présents dans tous les océans du monde, ainsi qu'en eau douce.
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Océan Arctique. L'ombre grise monte. Les parasites en forme de bâtonnets horizontaux sont fixés à ses yeux blancs. Il est aveugle. Sa nageoire caudale ondule avec grâce, de droite à gauche et le propulse en avant. Perfection glacée, vie autre. Il s'éloigne. La nageoire fuselée se dissout dans la nuit bleue.
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Le requin du Groenland
ou laimargue -étymologie, "glouton"- du Groenland
Somniosus microcephalus, somnolent à petite tête
Requin -quien, chien de mer- de la famille des Somniosidae.
Ces squales des grands fonds -environnement mal connu- sont dotés d'un organe lumineux.
Laimargue atlantique, requin de fond, requin des glaces, requin dormeur. Il n'offre pas de résistance lors de sa capture.
Façonnée par plus de 200 millions d'années d'évolution, l'espèce est l'une des plus grandes au monde. L'ancienneté de notre lignée humaine, à partir des Australopithèques africains, s'élève à 4 millions d'années.
Corps allongé, épais, aux tons gris-bruns. Petite tête, museau arrondi. Yeux minuscules.
Espèce "presque menacée" (IUCN International Union for Conservation of Nature). La baisse des effectifs est préoccupante pour l'avenir de l'espèce.
Longtemps pêché dans l'Atlantique Nord et l'Arctique pour le commerce de l'huile extraite de son foie, riche en vitamine A et en squalène.
Le squalène est une substance présente dans l'huile de foie des requins des abysses, en raison de ses propriétés de séquestration de l'oxygène.
Le squalène confère à l'huile des propriétés bienfaitrices, anticancéreuses et anticholestérol. Ce lipide aux propriétés réparatrices est un précurseur de l'hormone anti-vieillissement -la DHEA,déhydroépiandrostérone. Il ralentit le vieillissement des cellules et accélère leur régénération.
Le requin des glaces ne représente plus aujourd'hui un intérêt commercial important des mesures de protection sont prises, limitant sa capture. Encore autorisée, mais réglementée dans certains pays de l'Arctique, sa pêche est interdite dans d'autres pays -le Canada. Avant 1960, les pêcheurs d'Islande et du Groenland capturaient jusqu'à 50 000 squales par an.
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Le requin s'observe entre 200 et 300 mètres de profondeur.
L'un des plus gros requins carnivores de la planète. Le second, après le grand requin blanc. Le seul requin des eaux polaires de l'Atlantique Nord.
Sa longueur moyenne est de 2,5 mètres à 4,5 mètres, mais il atteint jusqu'à 7 mètres (1 200 kg). Le vertébré à la longévité la plus importante -estimée à près de 400 ans.
Le requin dormeur du Pacifique -Somniosus pacificus- a une taille plus modeste -4 mètres. Découvert en 1944. Avec le cachalot, l'une des rares créatures à se nourrir de calmar colossal (500 à 1000 mètres de profondeur).
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Poisson pélagique (haute mer). Espèce principalement bathybenthique (grands fonds). Rarement observé autour de 200 mètres de fond, le plus souvent entre 200 et 400 mètres, jusqu'à 600 mètres.
Il fréquente les eaux polaires des océans Atlantique et Pacifique. Côtes de l'Arctique, de l'Europe à l'Amérique du nord.
Sa présence est signalée dans les eaux australes (îles Kerguelen, île Macquarie, etc.) -risque de confusion avec l'espèce proche Somniosus antarcticus, requin dormeur, qui fréquente les eaux polaires et le nord de l'océan Pacifique.
ll affectionne les eaux entre 2 et 7 °C -toujours inférieures à 12 °C.
Un spécimen -espèce voisine, requin dormeur du Pacifique ?- a été pêché en 2013, au large de la Louisiane ; il supporte les eaux chaudes du Golfe du Mexique.
Le requin remonte à la surface en hiver, car les eaux se refroidissent alors. Il se rencontre dans des eaux proches de la surface, lorsque l'on remonte vers le Nord, où les eaux polaires sont plus froides.
Sa répartition verticale varie en fonction de la température des eaux et de la taille / l'âge des individus. La majorité des spécimens de moins de trois mètres sont capturés entre 100 et 1 000 mètres. Les requins de plus de quatre mètres sont pêchés entre 1 000 et 1 300 mètres de profondeur. Le record de profondeur pour ce requin serait 2 200 mètres.
Premières observations en 1930. Premières photos d'un spécimen vivant, en 1995. Le seul squale qui tolère les températures arctiques à l'année.
2003. Observatoire des requins du Saint-Laurent ORS. Étude des élasmobranches -"branchies", sous-classe, poissons cartilagineux, raies et requins- et du requin du Groenland.
A ce jour, étude des raies et requins dans le golfe et estuaire du Saint-Laurent, le fjord du Saguenay, le Canada atlantique et l'océan Arctique.
Le requin passe facilement l'hiver au Québec, Canada. Il réside à l'année dans le golfe du Saint-Laurent et dans le fjord du Saguenay -profond de 300 mètres.
L'autopsie d'un requin péché en janvier 2006 dans le fjord Saguenay, a montré qu'il était contaminé par différents produits industriels toxiques, dont le mercure. La pollution représente une menace pour ce prédateur carnivore.
Avec prudence, il est possible de l'observer en plongée à Baie-Comeau, sur le fleuve Saint-Laurent.
Ces requins ont tendance à nager près des plongeurs. Contrairement à d'autres squales, ils ne craignent pas le son produit par les chapelets de bulles qui s'échappent des scaphandres.
Les squales quittent le fond pour enquêter sur l'activité des plongeurs près de la surface. Dans un cas, un requin a traqué une équipe de plongeurs jusqu'à la surface, en fin de plongée ; reconnaissance visuelle d'un prédateur de phoques expérimenté.
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Somniosus microcephalus est ovovivipare -les œufs éclosent à l'intérieur du corps maternel. La femelle donne naissance jusqu'à dix jeunes par portée. Les nouveau-nés mesurent 40 cm. Lors de l'accouplement, le mâle mord la femelle pour la retourner -sa peau est deux fois plus épaisse que celle du mâle.
La maturité sexuelle intervient lorsque le requin mesure au moins 4 mètres, soit un âge proche de 150 ans.
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Le requin est muni de dents effilées au niveau de la mâchoire supérieure et larges, au niveau de la mâchoire inférieure.
Il se déplace lentement, à la vitesse de 30 cm par seconde. Au maximum 74 cm par seconde -moins vite que ses proies, les phoques, 6 mètres par seconde.
Le requin blanc, de taille comparable au requin du Groenland, 11 mètres par seconde.
Il profite du fait que les phoques dorment dans l'eau, pour échapper aux ours blancs, pour les dévorer.
Le requin doit nager en permanence, même à faible vitesse, pour ne pas trop se refroidir et pouvoir respirer, afin de maintenir un courant d'eau et d'apporter suffisamment d'oxygène à ses branchies. Pendant son sommeil, il continue de nager.
Il n'a pas été observé en train de se nourrir ou chasser. Il se nourrit de tout. Charognard, il mange ce qu'il trouve mort sur le fond.
Il chasse
le calmar, la pieuvre, des mammifères marins -le phoque et le marsouin commun, des poissons osseux (saumons, harengs) et cartilagineux (autres requins, raies)
des cétacés bélugas, des narvals. Des restes d'animaux terrestres (chien, cheval, renne, ...)
des coquillages, crustacés
des restes d'ours polaires (?) -charognes, oursons
des détritus d'origine humaine -sacs plastiques, lignes et filets de pêche.
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Le requin croît lentement, de 0,5 à 1 cm par année, toute sa vie. Vertébré cartilagineux, il a la plus longue espérance de vie connue au monde et surpasse la baleine boréale.
Mammifère, taille près de 20 mètres, poids 75 à 100 tonnes, longévité 200 ans.
Le requin pèlerin a une taille maximale de 12 mètres et une espérance de vie de 50 ans. Poids 5 tonnes. Alimentation composée de zooplancton. Il se rencontre dans les océans et mers tempérés, sur les plateaux côtiers. Espèce vulnérable, diminution des effectifs, insuffisant brassage génétique.
2016. Des études sont menées, afin d'estimer l'âge de requins, à partir du cristallin de l'œil -datation au carbone 14. Des isotopes radioactifs proviennent des essais nucléaires atmosphériques dans l'Arctique, au cours des années 1950 et 1960.
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Arctique soviétique, au-delà du cercle polaire. En 1955, la Nouvelle-Zemble est vidée de sa population, pour accueillir les expérimentations nucléaires soviétiques.
« Site C », Soukhoï Nos (73,7° N — 54,0° E), de 1957 à 1962.
30 octobre 1961, sous Nikita Khrouchtchev. La bombe RDS-202 "Tsar Bomba" -27 tonnes- est larguée à 13 km d'altitude, par le bombardier Tupolev Tu-95 modifié.
Explosion aérienne -3 500 m d'altitude- de la bombe. 50 mégatonnes, 800 fois Hiroshima, la plus forte explosion nucléaire jamais réalisée dans le monde. Bombe à hydrogène -thermonucléaire / à fusion.
Les essais sont conduits à d'autres endroits de l'archipel, la moitié de sa surface est cataloguée « zone d'essais ».
Rapport du Parlement français, février 2001. Incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires dans le monde.
« ... Les 91 essais atmosphériques de Nouvelle-Zemble représentent une puissance totale de 239,6 mégatonnes. 97 % de la puissance des essais atmosphériques soviétiques. 55 % de la puissance dégagée par la totalité des essais atmosphériques mondiaux (440 Mt). ... ».
Les rivages de Nouvelle-Zemble dans l'océan Arctique sont l'une des zones où les déchets nucléaires de l'ère soviétique furent envoyés par le fond :
une trentaine de réacteurs nucléaires, du combustible nucléaire, des conteneurs de déchets radioactifs
le sous-marin K-27 avec deux réacteurs. Sabordé en mer de Kara -33 mètres de fond- avec l'intégralité de son combustible nucléaire, le 6 septembre 1982.
Les Américains : dans les années 1960, ils construisent deux réacteurs nucléaires, pour alimenter en électricité des bases militaires,
à Fort Greely, en Alaska. Plusieurs accidents, contamination des cours d'eau. Les populations locales font état de leucémies
et à Camp Century, nord-ouest du Groenland. 200 tonnes de déchets liquides.
Les États-Unis ont testé le comportement de radioéléments à Point Hope, dans le nord-ouest de l'Alaska.
21 janvier 1968. Accident de Thulé. Crash d'un bombardier américain B-52 de l'United States Air Force, transportant quatre bombes nucléaires à hydrogène, près de la base aérienne de Thulé (Groenland). Rupture et dispersion des charges nucléaires.
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Le cristallin se construit tout au long de la vie mais ne se régénère pas. Les atomes de carbone demeurent à l'endroit où la matière organique s'est déposée, du centre vers la périphérie-tels les cercles de croissance d'un arbre.
L'âge de deux femelles serait 330 ans et 390 ans.
Le temps de renouvellement de l'espèce est estimé à 14 ans.
Ils vivent dans les eaux glaciales, leur métabolisme est plus lent que celui des autres créatures marines. La température activerait des « gênes anti-âge », qui combattent les infections et prolongent la durée de vie.
La majorité des squales vivent une centaine d'années.
Osmose -équilibre des concentrations de sels dans et hors du corps du requin. Flottabilité. Le requin n'a pas de reins et n'urine pas. Afin de maintenir une quantité d'eau stable dans son corps, le requin conserve une concentration élevée d'urée dans son sang -acide urique, antigel naturel. Il compense ainsi les faibles concentrations de sel.
Des niveaux élevés d'urée toxique endommageraient son corps en déstabilisant les protéines ; le requin conserve des niveaux encore plus élevés d'oxyde de triméthylamine (TMAO) -une des formes de l'excrétion azotée-, afin de contrer les effets néfastes de l'urée. Il ne dépense pas d'énergie pour maintenir les niveaux d'eau vitaux dans son corps.
La viande ne peut être consommée directement cuite. Appréciée au Groenland et en Islande, sa chair est lavée et bouillie pour éliminer l'oxyde de triméthylamine (TMAO), neurotoxine -antigel naturel. Produit issu de la transformation de certains aliments par les bactéries intestinales (microbiote).
Ses effets sont proches de l'ivresse ; les chiens qui mangent de la chair crue, donnent l'impression d'être ivres.
Les Inuits disent d'une personne sous l'emprise de l'alcool, qu'il a la "maladie du requin".
Sa chair contient une forte quantité d'urée, pour réguler sa flottabilité, d'où son surnom de pee shark -requin-pipi.
Lors des pêches, seuls le foie et l'huile sont conservés.
Les Inuits utilisent sa peau de la même façon que le cuir, et ses dents tranchantes, pour faire des couteaux à cheveux.
Le requin est souvent porteur de crustacés copépodes, parasites oculaires bioluminescents -Ommatokoita elongata. Attachés à la cornée de ses yeux, rendus blancs, aveugles. Les parasites bioluminescents l'aideraient à attirer des proies ?
En janvier 2021, au large de la Nouvelle-Zélande, des scientifiques ont identifié trois espèces de requins lumineux :
le requin lanterne à ventre noir -Etmopterus benchley. Famille des Etmopteridae, espèce de requins bathybenthiques (grands fonds océaniques)
le requin-lanterne du sud -Etmopterus granulosus
le requin cerf-volant, le plus grand vertébré bioluminescent au monde.
Passé 100 mètres de profondeur, règnent le froid et l'obscurité. Les créatures vivantes communiquent au moyen de la bioluminescence hormonale -pour se nourrir, repousser un prédateur ou se reproduire. Loin d'être une exception, la bioluminescence est une stratégie largement répandue :
entre 100 et 4 000 mètres de profondeur, 75% des espèces de plus d'un centimètre émettent leur propre lumière
40% des organismes, sur le fond marin.
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Le requin nage à la vitesse de 0,34 mètre par seconde. "Le dormeur du Groenland". Malgré cette lenteur, il capture des phoques, à plus de 500 mètres de profondeur. Des proies rapides qui se déplacent à environ 3,8 mètres par seconde. Le requin est opportuniste en maraude, lorsqu'il croise des phoques endormis entre deux eaux. Il chasse en embuscade.
Son odorat est aiguisé. Il dispose d'organes autour de la tête -récepteurs tubéreux et ampoules de Lorenzini, capables de détecter les faibles champs électromagnétiques de ses proies, dans l'obscurité.
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Les Islandais sont friands de sa chair, dont ils font du Hákarl -requin fermenté.
Le requin est vidé, désossé, coupé en gros morceaux. Les portions sont enterrées sous du gravier. Après huit semaines de fermentation, elles sont déterrées puis séchées pendant plusieurs mois. La viande est prête à être dégustée.
Fort goût de fromage. Impression de consommer de l'urine. Le Hákarl est apprécié pour la sensation d'ivresse qu'il procure. Cet effet provient de l'oxyde de triméthylamine (TMAO) contenu dans la chair.
Création, année 2000. Arctic Technology CentreCentre de technologie arctique ARTEK, à Sisimiut (Groenland).
Les requins du Groenland sont une nuisance pour les pécheurs.
Ils sont pris dans les filets des pécheurs et rejetés morts dans l'eau. Ils pèsent une tonne, mesurent près de 7 mètres. Ils détruisent les lignes de pêche.
Leur viande est toxique pour les humains. Les chercheurs pensent qu'elle pourra être utilisée comme biocarburant pour les Inuits.
la viande huileuse est en mesure de produire du biogaz, à partir des "déchets" de l'industrie de la pêche. Ce biogaz sera utile pour chauffer ou produire de l'électricité pour les Inuits, avec une méthode neutre en termes d'émissions de carbone. Le processus consiste à mélanger la viande à des algues et de l'eau usagée. Ce projet pourrait aider certains villages à devenir auto-suffisants.
Des spécialistes s'élèvent contre ce projet : le requin vit dans une zone limitée l'Arctique et demeure mal connu.
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Les Islandais l'appellent « Skalugsuak », d'après une légende inuit.
Une vieille femme lave ses cheveux avec de l'urine et les sèche avec un linge. Le linge est emporté par le vent et tombe dans la mer. Il devient Skalugsuak, le premier requin du Groenland.
Il vit dans le pot d'urine de Sedna, la déesse de la mer. Sa chair détruit la peau humaine.
Le requin est un esprit qui vient aider le chaman.
Les attaques contre des humains sont rares, en raison de la profondeur et la température auxquelles évolue cet animal.
1859. Une jambe humaine est trouvée dans le contenu stomacal d'un requin péché à Pond Inlet, sur l'île de Baffin -Nunavut, Canada.
1940. Un agent de surveillance de la faune est traqué par un requin du Groenland, alors qu'il marche sur la banquise -île aux Basques, Saint-Laurent. Comportement du prédateur de phoques.
Un cas d'attaque mortelle sur des Inuits en kayak -non documenté.
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