Bleu turquoise et Cabernet d'Anjou

la-musique-de-l-ame

02/04/2018

Je m'assis à la table qu'on m'avait assignée et commandai sans attendre un verre de Cabernet d'Anjou en guise d'apéritif, lequel me fut servi rapidement accompagné d'une poignée de chips et de quelques olives. J'avalai sans plus attendre une première gorgée de ce breuvage à la fois frais, croquant et sucré avant de scruter la carte en quête d'un menu qui conviendrait à ma modeste faim. A peine avais-je parcouru quelques lignes que mon regard fut attiré par le bleu turquoise d'une robe qui se trouvait droit devant moi. Elle appartenait à une dame séduisante, à l'aube de la quarantaine, qui partageait sa table avec un homme plus jeune dans l'attente d'une tierce personne, à en juger par le nombre de couverts. Un gilet de laine blanc recouvrait ses épaules et la partie supérieure de la robe, laquelle dissimulait une paire de collants brillants à motifs noirs organisés en lignes pointillées. La curiosité me fit coucher légèrement la carte, dont j'avais délaissé la lecture, pour dévoiler une paire d'escarpins sublimes. Hautement perchés, ils étaient faits de daim et d'un ruban de soie qui prenait naissance sous ses talons pour venir s'enrouler puis se nouer autour de ses chevilles. A cette vue, je bus une seconde gorgée de mon Cabernet qui me parut plus fruité et plus succulent encore qu'à nos débuts. Je ne me privai pas de l'apprécier en gardant les arômes aussi longtemps que possible dans ma bouche et les yeux irrémédiablement posés sur cette charmante inconnue.

L'homme qui lui faisait face était à l'évidence une connaissance, visiblement taquin, blagueur même mais le pauvre peinait à faire mouche. Malgré ses efforts fournis, quelque chose semblait laisser l'interlocutrice sur la réserve, distante, à demi réceptive bien qu'elle répondait chaque fois sans gêne ni retenue. Je regrettai de ne pas la voir plus enjouée et m'imaginai devant elle, buvant ses sourires pleins et entiers, envoûté par son regard accrocheur et sa chevelure courte. Je ne me lassai pas de contempler ses jambes se croiser puis se décroiser sous la table, comme un signe d'anxiété, un geste d'impatience. Les mouvements de sa robe étaient alléchants, doux, satinés et ses escarpins d'une beauté grandissante par-dessus ses collants.

Je fus interrompu dans ma rêverie par le serveur à qui j'indiquai le premier menu de la carte pour ne pas le renvoyer bredouille, un menu qui après une lecture rapide me satisferait parfaitement. Près d'une heure passa ainsi, à les observer tous les deux, surtout elle, son expression, ses manières, tandis que je savourais mon Cabernet d'Anjou sans me presser. Mon premier plat arriva en même temps que le mystérieux retardataire qui n'était autre que son mari. Je remarquai seulement l'alliance qu'elle portait à son pouce gauche et un sourire tout à fait différent des précédents inonda son visage, entre bonheur et soulagement. Ils s'embrassèrent dans une tendresse sincère et touchante. Ces deux-là devaient être heureux et je le fus pour eux. J'esquissai à mon tour un sourire large, la remerciant en silence d'avoir embelli mon début de soirée. Je terminai mon apéritif à la robe rosée, comme un point final à cette parenthèse, et enfourchai mes couverts pour entamer enfin mon entrée, l'attention peu à peu détournée de cette table d'en face, pour respecter leur intimité.

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