Bloodhound : A Naomi Wyatt Adventure Chapitre 1
jeffzewanderer
BLOODHOUND
A Naomi Wyatt Adventure
Occupé à essuyer ses verres pour leur donner un aspect vaguement présentable, Joe remarqua à peine la silhouette s’approchant de son comptoir. Difficile de le lui reprocher. Des silhouettes de ce genre, il en avait vues des centaines, des milliers, au cours de ses vingt années en tant que barman au Cat’s Paw Saloon (« le meilleur saloon de Golden City »).
Une chemise et un pantalon visiblement choisis plus pour leur côté confortable que pour leur élégance, l’inévitable « stetson » pour se protéger du soleil texan, un foulard et un ceinturon dans lequel était rangé un révolver, les sacoches sur l’épaule, le tout recouvert d’une couche de crasse… Le voyageur typique, qui vient de passer trop de temps avec son cheval et pas assez avec une savonnette.
Connaissant la routine, le barman moustachu n’attendit même pas que le nouvel arrivant ait atteint le comptoir pour y déposer un verre rempli de whisky. Puis il se pencha à nouveau sur sa vaisselle. Mais la voix du client l’interrompit :
- Garde ton poison et donne-moi plutôt une chambre avec un bain. Et trouve-moi aussi quelqu’un pour s’occuper de mon cheval.
En entendant cela, Joe leva la tête. Pas à cause de ce qui venait de lui être demandé, même si ça allait à l’encontre du rituel immuable de tout étranger entrant dans un saloon. Ni même à cause de l’insulte (totalement injustifiée d’ailleurs) à son whisky. Non, ce qui avait attiré son attention, c’était la voix dudit étranger. Pas le genre auquel il était habitué pour le cow-boy moyen. Et, lorsqu’intrigué il regarda enfin avec un peu plus d’attention ce fameux cow-boy, il comprit aussitôt pourquoi. Ses yeux s’écarquillèrent comme des soucoupes. C’était une jeune femme qui se tenait devant lui, au visage plutôt agréable pour autant qu’on puisse en juger malgré la saleté : traits fins, cheveux blond foncé coupés courts sous son chapeau, lèvres pulpeuses.…
Naomi soupira. A chaque fois c’était pareil. A croire qu’aucun barman du pays n’avait jamais vu une femme dans son établissement. Du moins une avec tous ses vêtements. Elle claqua des doigts juste devant la figure hébétée de l’homme.
- Ho ! Ça vient, oui ?
Joe, tiré de sa stupeur secoua vivement la tête :
- Désolé, miss, mais… Vous êtes sûre que vous voulez une chambre ici ? Il y a un autre hôtel un peu plus loin qui serait peut être plus…
- Propre ? le coupa la jeune femme.
- Non ! s’exclama le barman, emporté par sa fierté professionnelle. Le Cat’s Paw est irréprochable pour ce qui est de l’hygiène ! Aucun de nos clients ne s’est jamais plaint !
- Bon, les femmes n’y sont pas interdites ?
- Euh, non…
- Parfait ! Alors tu vas me donner ma clé et faire préparer mon bain. Vite ! conclut Naomi en frappant du plat de la main sur le comptoir. J’ai trois jours de cheval dans les fesses et je ne suis pas d’humeur à discuter !
- T…tout de suite, miss, bégaya Joe en lui tendant une clé.
De toute évidence il s’était trompé. Il n’avait pas affaire à une femme mais à un grizzli du genre particulièrement caractériel. Il la regarda monter les escaliers et disparaître dans le couloir. Puis il s’empressa de vider les épluchures de patates de la bassine et de la remplir d’eau chaude. Mieux valait ne pas contrarier cette furie.
* * *
Le soleil était en train de se coucher lorsque Naomi se réveilla. Elle s’était endormie dans la baignoire (qui semblait plutôt polyvalente à en croire la pelure de patate qu’elle avait trouvée au fond). La chambre était du genre simple, pour ne pas dire spartiate. Une armoire, une table de chevet sur laquelle était posée une lampe à huile et un lit qui, Dieu merci, était exempt de toute forme de vie. Enfin, elle n’était pas venue en vacances mais pour raisons professionnelles. Car Naomi Wyatt était une chasseuse de prime et son gibier se trouvait ici, à Golden City.
Marvin « Bloodhound » Trent. Recherché pour huit meurtres plus cruels et brutaux les uns que les autres. Et ça n’était que ce qu’on pouvait prouver. En observant les lieux où il avait commis ses divers méfaits, confirmés ou présumés, Naomi en avait déduit qu’il opérait depuis Golden City. Quant à savoir pourquoi personne du coin n’avait cru bon d’alerter les autorités, il y avait deux possibilités. Soit il se tenait à carreau quand il était dans son repaire et les habitants ignoraient ses crimes ; soit, plus probablement, lui et sa bande répandaient une telle terreur que nul n’osait leur déplaire.
Sa bande. Voilà ce qui empêchait Naomi de simplement aller chercher Trent chez lui et de l’en faire sortir à grands coups de pied au cul. Elle serait morte avant d’avoir fini de se présenter. Mais elle avait un plan pour éviter ça. Un plan qu’elle comptait mettre en œuvre dès ce soir.
Sur ces considérations, la jeune femme sortit de son bain, se sécha prestement avec la serviette fournie par le patron (quel luxe ! Elle était même presque blanche) et entreprit de se changer. La première phase de son plan nécessitait une tenue bien différente de celle qu’elle portait habituellement.
* * *
Autant Joe l’avait à peine remarquée quand elle était entrée pour la première fois dans l’établissement, autant, lorsque le soir venu Naomi apparut en haut de l’escalier menant aux chambres, il faillit s’en décrocher la mâchoire. Lui et à peu près tous les clients du saloon. Ce n’était pas à cause de sa beauté, pourtant incontestable une fois la jeune femme apprêtée dignement. Ce n’était même pas à cause de sa robe du vert des pins dans les montagnes, aux épaules bouffantes et surtout au décolleté… prononcé (même si ce dernier point devait quand même jouer). Non, c’était quelque chose de plus subtil. L’aura de confiance en elle qu’elle dégageait. La grâce presque animale avec laquelle elle descendit lentement les marches. Personne à Golden City n’avait jamais vu une femme comme elle.
Naomi savoura l’instant. Une femme doit toujours réussir son entrée, lui répétait sa mère quand elle était petite. A en juger par le silence de cathédrale qui avait ponctué son entrée, elle aurait été fière. Sentant toujours tous les regards sur elle, elle observa la salle. Deux immenses lustres l’éclairaient. Le comptoir était juste à côté de l’escalier. Contre le mur du fond se dressait une petite scène où trois danseuses en guêpière et bas résille répétaient à l’infini quelques pas de danse destinés essentiellement à faire admirer leurs jambes au son d’un piano mécanique mal accordé. Tout le reste de l’espace était occupé par des tables. Et à l’une de ces tables, située dans l’un des coins, se déroulait ce dont la jeune femme avait besoin. Une partie de poker.
Ce fut donc vers celle-ci qu’elle se dirigea, traversant la salle d’un pas assuré tout en soignant son déhanché avant de venir se camper devant les quatre joueurs attablés.
- M’accueillerez-vous parmi vous, gentlemen ? leur demanda-t-elle d’une voix suave.
Le quatuor échangea quelques regards, et malgré la pénombre elle en vit au moins deux rougir.
- Avec plaisir, Miss, répondit enfin le plus âgé, un homme d’une soixantaine d’années, à la longue chevelure blanche et à la moustache aussi épaisse que soignée. Je suis le docteur Morrisey, Alex Morrisey. Et mes partenaires sont Chris McLaughlin, Danny Nelson et Alvin Carter.
Naomi les salua tour à tour, en profitant pour les examiner. Le premier était un jeune homme rouquin, qui avait déjà sérieusement rougi et qui vira carrément à la pivoine lorsque la jeune femme lui sourit pour le remercier de la chaise qu’il était allé chercher à la table voisine. Le deuxième était un solide gaillard, aux cheveux noirs et à la barbe touffue, et le dernier un petit homme rondouillard avec un début de calvitie. L’autre pivoine de l’assemblée.
- Vous êtes bien aimables, les remercia-t-elle en prenant place. Je m’appelle Naomi Wyatt. Vous jouez au texas hold’em ? ajouta-t-elle en désignant le « flop » au milieu de la table.
- Je vois que vous connaissez, fit Danny Nelson. Petite blind à 5 $, la grande à 10$.
Délicatement, elle sortit une liasse de billets roulés de son décolleté (et faillit éclater de rire en voyant les quatre hommes détourner pudiquement le regard tout en rougissant).
- Je crois que j’ai là de quoi commencer, dit-elle en souriant toujours.
Et la partie débuta. Peu à peu les conversations reprirent dans la salle. Les danseuses se remirent à exécuter leur chorégraphie simplette, et les serveuses, c’est à dire les danseuses qui n’étaient pas sur scène et avec une jupe en plus de leur guêpière pour avoir quelque chose à dévoiler pendant le spectacle, recommencèrent à passer d’une table à l’autre. Elles prenaient une commande, en apportaient une autre, ou, le plus souvent, conversaient avec les clients, selon leur propre chorégraphie finalement bien plus complexe.
Une heure plus tard, Naomi était en tête de la partie. Elle faisait attention à ne pas trop plumer ses partenaires. Non seulement ils ne le méritaient pas, mais en plus de ne pas être des joueurs remarquables, et malgré leurs efforts, ils ne pouvaient s’empêcher d’être distraits.
Deux heures plus tard, Naomi était en train de se dire qu’elle allait passer une soirée, certes agréable, mais fort peu productive. Enfin, les quatre hommes étaient de bons compagnons et la bouteille de whisky qu’elle leur avait offerte avait enfin réussi à les détendre, ce qui avait grandement amélioré leur conversation à défaut de leur jeu.
Trois heures plus tard, elle était sur le point d’abandonner tout espoir de succès et de se résoudre à se contenter de ses gains au jeu quand l’homme entra. Il était de taille moyenne, très mince, au visage long et tout en arêtes. Ses cheveux blonds et raides tombaient sur ses épaules et sa moustache encadrait une fine bouche, dont les lèvres émaciées dessinaient un rictus arrogant. Il portait des vêtements forts élégants : une chemise d’un blanc immaculé, une veste, un gilet et un pantalon noirs bien coupés. Mais tout dans son attitude trahissait le fait que ce n’était qu’une façade. Comme si on avait habillé un singe pour le faire passer pour un humain. Ou plutôt comme un chien galeux qu’on aurait voulu faire passer pour un loup.
Il était accompagné de deux hommes dont la nature n’aurait pas été plus claire, s’ils s’étaient promenés avec un écriteau « bandit minable » autour du cou.
Naomi sut instantanément que le poisson qu’elle espérait ferrer venait d’apparaître. Le sentiment de malaise sourd qui passa dans la salle quand « l’homme chien » et ses compères allèrent commander au bar, pelotant au passage toutes les malheureuses serveuses qui passaient à portée de leurs pattes, confirma cette certitude. Il était temps de sortir le grand jeu.
En quelques mains, Naomi récolta un beau pactole, qu’elle s’employa à arranger le plus ostensiblement possible devant elle sous le regard consterné de ses « partenaires ». Consternation qui n’était pas tant due à l’argent qu’ils venaient de perdre qu’au fait que la jeune femme avait réussi à attirer l’attention de « l’homme chien ». Celui-ci, ayant fait signe à ses acolytes de rester au comptoir, se dirigeait vers leur table.
- Bien l’bonsoir, M’sieurs dames ! lança-t-il aux joueurs. Ça m’a tout l’air d’une belle partie ! J’ai bien envie de me joindre à vous.
Il avait dit cela tout en observant sans gêne le décolleté de Naomi.
- On allait s’arrêter, intervint le docteur Morrisey d’un ton glacial mais derrière lequel pointait la peur.
- Oh, j’comprends, doc. Sûr qu’à votre âge z’êtes plus habitué à vous coucher tard. Mais, y’a pas d’problème. J’vais prendre votre place et on va se finir la partie entre jeunes. Hein, les gars ?
Le docteur jeta un bref regard autour de la table, cherchant un soutien quelconque. Il n’en trouva aucun. Résigné, il se leva. Mais alors qu’il s’apprêtait à récupérer ses gains, le nouvel arrivant lui posa la main sur l’épaule.
- Hey, doc, z’avez pas compris ? J’prends vot’place, donc j’récupère c’qui va avec. C’est que justice, non ?
A nouveau le vieil homme implora des yeux l’aide de ses partenaires de jeu. En vain .Ils avaient tous baissé le regard, sauf Naomi, qui observait la scène avec intérêt. Etouffant un juron frustré, Alex Morrisey se retira la tête basse en abandonnant son argent.
- Ben, voilà, fit l’ « homme chien » en s’asseyant à la place qu’il avait usurpée. On est entre nous, et foi d’Randy Bolton, on va bien s’amuser !
Un concert de hochements de tête peu enthousiaste lui répondit. Seule Naomi ne bougea pas.
- Bon, vous, j’vous connais, les gars, mais c’est qui cette jolie pouliche ? reprit-il.
- Miss Wyatt, répondit l’intéressée d’un ton glacial.
- Et vot’ p’tit nom, c’est… ?
- Seulement pour les gens bien.
Sur cette réplique cinglante, elle se leva.
- Je vais chercher une autre bouteille, messieurs. Je suis sûre qu’elle sera très appréciée.
En se dirigeant vers le bar, elle eut l’impression que toute la salle la regardait comme on regarde un chaton qui vient de provoquer un tigre. Au comptoir, elle fit signe au barman de lui apporter une autre bouteille de whisky et, en attendant, parcourut la salle des yeux. Au bout d’un instant, elle repéra ce qu’elle cherchait.
- Euh, miss… l’interpella le barman, l’air gêné, je ne voudrais pas avoir l’air de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais…
Il lui fit signe de s’approcher et reprit en murmurant :
- Le type qui vient de s’inviter à votre table, c’est « Rabid Randy », le bras droit de « Bloodhound Trent » et…ben, disons qu’on ne l’appelle pas « Rabid » pour rien.
- Oh ? murmura à son tour Naomi, feignant la surprise. Mais, je ne veux pas d’ennuis…
- Alors, laissez le gagner, miss. Il est complètement nul et il ne supporte pas de perdre. Le dernier qui l’a battu, il lui a collé une balle dans les… enfin, là, quoi.
- Merci, fit la jeune femme en lui adressant un sourire radieux. Je ferai attention.
Puis elle se dirigea vers la table, la nouvelle bouteille à la main. Un instant, Joe songea à prendre le fusil qu’il gardait toujours caché sous le bar et à virer Randy « manu militari ». Cette malheureuse courait à sa perte. Mais la perspective de la vengeance de Bloodhound et de sa bande l’en dissuada. Alors il secoua tristement la tête et retourna à sa vaisselle.
En allant regagner sa place, Naomi songea à ce que le barman lui avait dit. Ainsi ce « Rabid Randy » était un piètre joueur… Voilà qui allait lui faciliter la tâche. Elle n’aurait même pas besoin de piocher dans la réserve de cartes qu’elle avait dissimulée dans sa jarretière. Apparemment distraite par ses réflexions, elle bouscula une des serveuses, manquant de peu de la faire tomber. Elle put cependant la rattraper à temps, et s’excusa avec effusion de sa maladresse.
- Bon ! s’exclama Randy lorsqu’elle fut rassise, et après voir ingurgité coup sur coup trois verres de whisky. Maintenant que miss Wyatt (il prononça son nom avec une ironie non dissimulée) nous a ravitaillés, on va p’têt pouvoir jouer.
- A vous la donne, Chris, dit seulement la jeune femme.
Quelques mains plus tard, elle dut se rendre à l’évidence : « complètement nul » commençait à peine à décrire l’absence totale de talent de Randy Bolton pour le poker. Sa tactique se résumait essentiellement à prendre une expression triomphante quand il avait un jeu minable et vice versa. Un bluff au travers duquel un enfant de cinq ans aurait vu. En plus, s’il avait compris ce qu’étaient une paire, un brelan ou un carré, il avait plus de mal avec les suites et la notion de couleur lui était totalement étrangère. Il s’était d’ailleurs déjà couché trois fois avec des mains quasi imbattables. Seule sa façon de miser pouvait déconcerter, mais plus à cause de son côté complètement aléatoire que grâce à une subtile stratégie.
Au bout d’une demi-heure de jeu, Naomi dut faire exprès de le laisser gagner quelques gros pots pour éviter qu’il ne sorte de la partie. Il n’était pas encore à point. Mais, grisé par ces quelques victoires et persuadé que la chance lui souriait enfin, Randy se mit à jouer encore plus mal, si c’était possible. Si bien que la jeune femme avait parfois du mal à ne pas éclater de rire ou lever les yeux au ciel. Alors elle observait les autres joueurs. Chris, Danny et Alvin étaient tiraillés entre peur et perplexité. Perplexité parce que s’ils avaient bien compris que Naomi baladait Randy, ils ne savaient pas pourquoi elle s’évertuait à jouer ainsi avec le feu. Et peur à cause de Randy, justement, qui s’énervait de plus en plus. Parfois un gros gain le calmait un peu, mais comme il perdait quelques instants après, il s’énervait de plus belle. Et le whisky qu’il descendait à toute allure n’arrangeait rien.
Quand il jeta violemment son verre par terre après un bluff raté avec une paire de trois, Naomi décida qu’il était temps d’en finir. Elle préparait son coup depuis quelques mains, à chaque fois qu’elle avait la donne, et elle en avait profité pour trier quelques cartes et les replacer stratégiquement dans le paquet. Si bien qu’une fois la dernière carte du « flop » dévoilée, Randy devait se retrouver en possession d’un superbe brelan de trois.
Rien qu’au sourire qu’il tentait de dissimuler derrière une mine faussement déconfite, elle sur que le truc avait réussi.
- Messieurs, fit-elle en feignant d’étouffer un bâillement, je suis épuisée. Je vous propose un quitte ou double pour en finir.
Chris, Danny et Alvin sautèrent sur l’occasion et se couchèrent, en profitant ainsi pour récupérer ce qu’ils avaient pu sauver de leur argent. Randy, certain de triompher se leva en abattant ses cartes.
- Regarde- les et pleure ma jolie ! s’écria-t-il.
Sans un mot, juste en souriant, la jeune femme dévoila à son tour son jeu : une quinte flush royale. Randy passa du triomphe à la stupeur, puis à la fureur en quelques secondes. Il serra les poings jusqu’à ce qu’ils blanchissent. Toute l’assemblée s’attendait à une explosion.
- Oh ! Monsieur Bolton, s’exclama soudain Naomi, comme c’est galant de votre part !
Cette fois l’incompréhension succéda aux autres expressions sur le visage de l’intéressé. La jeune femme se leva alors elle aussi et, tapant dan ses mains comme une midinette émerveillée, elle, reprit :
- C’est tellement gentil de m’avoir laissé gagner ! Vous êtes adorable !
Même le cerveau débile de Randy Bolton reconnût là l’occasion de sauver la face qui lui était offerte.
- Euh, ouais, bafouilla-t-il. J’suis comme ça, moi, un vrai gentleman… C’est d’famille…
- J’aimerai tant vous remercier…
Tout en disant cela, Naomi vérifia du coin de l’œil que la serveuse qu’elle avait bousculée un peu plus tôt était bien en train de s’approcher. C’était bien le cas.
- Ben, ça peut p’têt se faire, enchaîna Randy, gagnant de l’assurance. Une jolie dam’zelle comme vous, ça doit savoir faire des tas de trucs.
Le geste qui accompagna ces propos ne laissait planer aucun doute sur la nature desdits « trucs ».
- Oh ! M. Bolton », répliqua Naomi, l’air mi-surpris, mi-condescendant, je crains de devoir vous décevoir, mais…
Alors, elle passa le bras autour de la taille de la jeune serveuse, arrivée à la table avec un timing impeccable, lui posa une main sur la poitrine et l’embrassa langoureusement. Puis, le baiser terminé, elle se retourna vers Randy :
- Vous n’avez pas ce qu’il faut », conclut-elle avec un sourire moqueur.
Sur ces mots Naomi, accompagnée de la jeune fille qu’elle tenait toujours par la taille, se dirigea vers l’escalier afin de regagner sa chambre. Laissant une assistance hébétée derrière elle. Même le piano mécanique, faisant lui aussi preuve d’un timing irréprochable choisit ce moment pour s’arrêter. On pouvait entendre les mouches voler dans la salle.
Randy se tenait planté devant sa chaise, les bras ballants, les yeux comme des soucoupes et la bouche bée. Ce ne fut que quelques secondes après que les deux femmes aient disparu à l’étage qu’un son se fit enfin entendre. Un gloussement étouffé. Puis un ricanement. Un rire. Un autre. Un instant plus tard, un fou rire général s’était emparé de l’assemblée. Toute l’assemblée sauf Randy, qui avait bien compris qu’il était la cause de cette hilarité. Dans une rage noire, il fonça vers le bar.
- Hey, boss…, l’apostropha un de ses hommes.
Un coup de poing dans la mâchoire l’interrompit et l’envoya valser deux mètres plus loin. Un vide se forma instantanément autour de l’ « enragé », qui avait rarement autant mérité son surnom. Il attrapa la première bouteille à portée de main et entreprit de la vider sans même prendre un verre. La salle était à nouveau silencieuse, et les moins courageux commençaient à se diriger vers la sortie. En humiliant Randy, la belle inconnue avait allumé la mèche d’un bâton de dynamite, et les plus sensés des habitants de Golden City ne voulaient surtout pas être là quand l’inévitable se produirait.
- Euh, boss…, osa marmonner le second homme de main alors que Randy attaquait une seconde bouteille. Le regard noir qu’il reçut en réponse faillit le dissuader de continuer.
Pourtant, il poursuivit :
- C’est qu’une bonne femme, boss. Vous en avez rien à foutre, non ?
- Juste une femme, hein ? marmonna l’enragé. Une sale petite putain, qui m’humilie… qui joue avec moi… puis qui me refuse c’que j’mérite. Une putain qui se prend pour un mec ! J’vais lui montrer, moi ! J’vais lui apprendre à se foutre de « Rabid » Randy Bolton ! Elle va déguster ! Et sa copine aussi !
Il criait maintenant.
- Joe ! Ramène-toi, sac à merde !
Le barman s’approcha avec réticence. Il aurait bien pris le fusil, mais l’homme de main le surveillait.
- Elle est où ? Sa chambre !
- Je peux pas vous le dire, monsieur Bolton, commença-t-il.
Le canon d’un révolver atterrit dans sa bouche. Randy avait dégainé l’arme qu’il portait dans un holster d’épaule. Il arma le chien.
- Joue pas au con, Joe ! Le numéro ! Maintenant !
- V…Vingt huit, articula péniblement le barman.
- Ben, tu vois, quand tu veux.
Rabid Randy repoussa violemment sa victime et se dirigea vers l’étage pendant que ses deux acolytes surveillaient la salle, la main sur leur arme.
- Sale putain ! répétait-il. Tu vas voir ! J’vais te crever, moi ! Putain !
Arrivé devant la chambre vingt huit, il en défonça la porte d’un coup de pied et pointa son arme vers le lit. Vide. Du coin de l’œil il aperçut la serveuse, affolée, qui se terrait dans le coin opposé. Soudain, il ressentit une vive douleur. Puis tout devint noir.
To be continued…