Bon anniversaire Julien

Odile Rousseau

Julien a 16 ans et sa vie dévie

Bon anniversaire Julien !!!!

Ça fait quoi au juste d'avoir 16 ans ? Se souvient-on chacun des émotions de nos 16 ans ?

Faisait-on la fête avec les copains à 16 ans ? Devenait-on adulte dès qu'on avait 16 ans ?

Pouvait-on faire tout ce qu'on voulait ?

Pouvions-nous quitter la maison si on en avait ras la casquette de toute cette vie que l'on pensait si vaine et si déprimante ?

 

Julien  était englué dans tous ses problèmes relationnels, dans ce corps qui lui intimait de manger et manger, engloutir tout ce qui se trouvait dans le frigo, bien sûr aux heures où les parents  avaient décidé que ce n'était plus l'heure.

La nuit, il se levait discrètement et se bâfrait. Il n'éprouvait aucun plaisir de ses gloutonneries nocturnes, juste une jouissance presque sadique devant  la colère des parents le matin, quand ils retrouvaient le frigo à moitié vide et la table même pas débarrassée.

Son organisme, comme une machine à broyer le temps ?, la vie ?, les angoisses ? réclamait plus et plus. Ce que Julien absorbait ainsi compensait probablement l'inexistence de relations extérieures qui auraient pu lui donner une énergie différente et plus constructive.

Mais c'était son anniversaire, un anniversaire  nul, sans copain, entre son père et sa mère qui  avaient donné beaucoup d'eux-mêmes pour que ce soir-là soit plus festif .

 

On sentait bien la cohésion de ce couple, aimant, attentif mais si désarmé devant ce grand gars d'1,90m , replié physiquement et moralement sur lui-même.

 

Julien avait  déjà oublié ce jour ; il avait d'autres projets dont il faudrait bien discuter un  jour avec  eux.

Il travaillait en silence sur ce projet, travaillait tellement que son objectif (avoir 0 dans toutes les matières) allait atteindre la perfection.  Quelques semaines encore de présence inefficace au lycée, quelques semaines encore à se faire engueuler à la maison, quelques jours encore à plier l'échine et

PLAFF !!!!

Tout serait déballé !

 

Il se voyait quitter l'école , quitter la maison, avoir un appart à lui et jouer  devant ses écrans aussi longtemps que le sommeil  ne l'emmènerait , lumière allumée  et téléphone sur le nez !!!

 

Tel était son plan. Aujourd'hui les adultes pourraient en rire, sauf que les adultes c'étaient ses parents.

 

C'est le bilan scolaire du second trimestre qui fit le « boulot ». Plus aucun résultat supérieur à 2, plus d'observations motivantes de professeurs, bilan nul, en fait.

 

Julien ne pouvait plus reculer ; après une engueulade mémorable, une succession de punitions à venir et de suppression de connexion, il lâcha :

JE NE VEUX PLUS METTRE LES PIEDS A l ECOLE

J AI 16 ANS ET JE FAIS CE QUE JE VEUX DE MA VIE !!!!!

 

La colère des parents n'aurait pas été au paroxysme que c'en eût été drôle.

«  Ah oui et tu vas faire quoi ? »

 

« CUISINE  je vais aller travailler dans les restaurants »

 

Le silence qui suivit réveilla la peur du père, constatant que son fils prenait le même chemin que lui, déscolarisé à 16 ans et tout de suite dirigé dans le système de l'époque –TUC- ( travaux d'utilité collective). Sa mère , institutrice, avait remué ciel et terre pour éviter le désœuvrement de son fils. Aujourd'hui, à son tour, ce père revivait cette situation si inconfortable, si compliquée, tellement difficile d'être dans l'empathie mais le lien d'amour existait et il allait falloir prendre en compte la désespérance de ce grand ado, leur fils.

 

Le lycée accepta la déscolarisation partielle de Julien en signant les différents stages en cuisine qu il pût trouver : pizzéria pour une semaine, crêperie pour 15 jours, un restaurant gastronomique pour 10 autres jours et ainsi, de stage en stage, fin juin arriva.

 

Au plus profond de lui, il ne se sentait pas plus libéré, il portait toujours ce mal être indéfinissable de l'adolescence et du sentiment d'être toujours enfermé, étriqué, pas libre de vivre à son rythme de larve connectée ; en fait quand il prenait sa tablette, son pc … il se sentait LIBRE, VIVRE.

 

Avril , Mai, Juin  les semaines passèrent…..

Apprendre à éplucher les carottes,  répondre « Oui Chef », se coltiner les autres apprentis dans la cuisine, moqueurs jusqu'à la perfidie, laver les grosses gamelles, répondre « Oui Chef », trouver la mandoline, répondre «  Oui Chef », se faire engueuler et répondre « Merci Chef »

En même temps, les parents de Julien devaient envisager la suite avec lui. Seconde techno ? École de cuisine ? Reprise du lycée ?

Toujours à son écoute ils décidèrent donc à trois de visiter l'école de cuisine. Bel accueil, environnement favorable, alternance des cours et des stages en situation, liste du matériel et des vêtements à acheter. Ils allèrent donc à Paris tout acheter dans un magasin spécialisé

Couteaux, tabliers, costumes, chemises, cravates…. Ah il était beau le Julien, le costume lui allait bien mais qui était dedans ?????

 

Septembre arriva, et un nouveau rythme commença pour Julien et sa mère. Elle avait modifié ses horaires  de travail pour l'accompagner tous les jours soit à l'école de cuisine, soit dans un restaurant inaccessible avec les transports en commun.

 

Une confiance énorme s'empara des parents, une accalmie dans la tempête, qui ne dura que 6 semaines.

Bien sûr, on aurait pu penser que les tables de travail, les pianos n'étaient pas adaptés à sa très grande taille ; bien sûr on aurait pu penser que ses débuts dans le métier s'accompagneraient de quelques coupures ; mais pouvait –on imaginer qu'il finirait sous une voiture ( devant le restaurant)pour faire comprendre à ses parents qu'il n en pouvait plus ?

Le moment qui suivit , après les premiers soins, fut pour sa grand-mère qu il appela en lui disant : « je t'aime »

Juste ça !!! Elle sentit qu il s'était passé quelque chose, il ne l'appelait jamais mais ils étaient tous les deux connectés, autrement que par un appareil électronique.

 

Elle reprit le téléphone et appela son fils. «  Oui Maman pas grave, juste quelques contusions superficielles. »

Elle se dit qu'il fallait prendre en compte  ce troisième signal d'alarme, après le lumbago et la coupure. Julien n'en pouvait plus ; trop de stress, trop de discipline, trop de ratages.

 

Alors quoi ?

 

Cette fois –ci  les parents démissionnèrent quelques jours. La mère de Julien lui en voulait tellement d'avoir tant donné en temps, en énergie, en tendresse pour qu' il réalise ce qu'il croyait bon pour lui et  elle se sentait trompée, tellement déçue, trop fatiguée de l'avoir porté ainsi pour en arriver dans cette impasse.

 

Les vacances scolaires de Toussaint arrivaient…

 

Les tensions à la maison, les rancœurs qu il faudrait bien oublier, leur tendresse qui n'avait pas fléchie, leurs questionnements nombreux et divers…

Mais où était la réponse ?

Que deviendrait Julien ?

 

Finalement, par dépit ou par envie, Julien demanda sa réintégration au lycée. Il dût faire cette démarche seul, se prendre en main, assumer sa décision

 

On râle souvent de la faiblesse du système scolaire, de son manque d'empathie pour les élèves, mais cette fois-ci, Julien reprit le lycée en seconde au mois d'octobre.

Apparemment heureux ? Content de retrouver de nouveaux élèves ? Trouvant la vie plus facile qu'en cuisine ?

 

Que lui reste-t-il de ce petit détour dans sa vie, de cette expérience professionnelle, des contraintes et des moments positifs ? 

A-t-il analysé le sens des choix qu'il a fait avec et grâce à ses parents ?

 

L année scolaire avançait et Julien semblait retomber dans cette passivité destructrice, pas de travail personnel, pas de contrôles réussis.

Nouveau bilan scolaire désastreux…

 

Et le coronavirus confina tout le monde !!!!!

 

 

 

 

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