BRENDA WHITESNOW

Catherine Killarney

Le conte Blanche-Neige revisité en mode western.

Quelque part aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle.

Brenda Whitesnow, vingt ans, vivait avec son père, veuf depuis des années, sur l'immense ranch familial. Ils possédaient des milliers de bêtes, qu'ils élevaient pour les vendre ensuite, soit pour le lait, soit pour la viande, dans les villes du nord. Whitesnow travaillait dur, aidé par plusieurs cowboys ; Brenda gérait la maison, l'intendance, les achats et les ventes, mais trouvait encore le temps pour accompagner son père dans de longues chevauchées sur le domaine. Elle adorait cette terre, où elle était née, qui appartenait à la famille depuis trois générations. D'immenses étendues chaudes et arides, mais qui se couvrait avec les pluies de printemps d'une épaisse toison herbeuse pour nourrir les troupeaux. Ils n'étaient pas riches, mais fort aisés, et c'était amplement suffisant.

          Après un voyage à Philadelphie pour y négocier un lot de bétail, et contre toute attente, Whitesnow ramena une épouse. Charmante au premier abord, très jolie, mais qui détesta immédiatement sa belle-fille. Son mari lui avait parlé d'une enfant… et elle s'était un peu sottement convaincue que Brenda n'avait qu'une dizaine d'années. Or, Coralie aimait dominer et cette Brenda de vingt ans s'avérait tout sauf docile. En outre, sa jeunesse, sa beauté, sa gentillesse, sa joie de vivre, séduisaient tout le monde (les Whitesnow, isolés, aimaient à convier les lointains voisins à de grandes réunions où l'on festoyait ensemble), ce qui était extrêmement agaçant.

Coralie n'avait pas jeté son dévolu sur ce vieux cowboy inintéressant pour rien. Avide d'argent et de richesse, elle avait appris que le sous-sol du ranch regorgeait de pétrole, une substance qui depuis plusieurs années assurait des fortunes à ses heureux propriétaires. Lorsqu'elle en parla à Whitesnow, il déclara qu'il était au courant mais ne voulait en aucun cas changer ses activités traditionnelles. Tant pis pour lui… il mourut quelques semaines plus tard. Et Coralie présenta alors ses projets avec plus de véhémence. Elle se heurta cependant à Brenda, qui avait toujours été d'accord avec son père et ne se sentait ni l'âme d'une femme d'affaires ni l'envie de patauger dans l'huile noire et malodorante. Il fallait agir.

Afin qu'on ne soupçonnât pas des manigances criminelles, Coralie devait s'en débarrasser discrètement. Elle chargea son amant, Colin, un jeune blanc-bec assez stupide qu'elle venait d'embaucher, de l'emmener très loin et de la tuer. De son côté, elle annonça à tout le monde que Brenda avait décidé d'aller étudier à Dallas. 

Coralie fit boire à la jeune fille un cocktail indien, qu'elle tenait de sa grand-mère apache, qui l'endormit profondément. Puis Colin la ligota sur son cheval et s'enfonça dans les vastes contrées désertiques qui entourait le ranch. Lorsque Brenda se réveilla, criant, vociférant, il lui répondit qu'elle pouvait toujours s'époumoner, que cela ne servirait à rien ; elle n'avait qu'à regarder le paysage : personne, et aucune maison à des kilomètres à la ronde. Au bout de deux jours, alors qu'elle était déjà épuisée par le manque d'eau et de nourriture (Colin se gardait bien de partager ses petites provisions), il la descendit enfin du cheval et l'assit, calée par des rochers. Puis il la regarda. Coralie lui avait demandé de la poignarder, mais la jeune femme était si belle, si belle, et lui n'avait pas vraiment le cœur d'un meurtrier… il ne put se résoudre à lui ôter la vie. Au loin, tout là-bas, on apercevait un village. Il laissa faire le destin. Elle s'en sortirait. Ou pas. Mais ce ne serait pas par sa faute.

Brenda le regarda partir, trop faible pour dire quoi que ce soit. Il lui fit signe, lui montrant les maisons au loin, au pied de larges collines. Elle suivit son doigt des yeux et une bouffée d'espoir l'envahit. Mais aurait-elle le courage de se traîner jusque là-bas ? Il le fallait. Colin était reparti. Son destin tenait dans les quelques forces vitales qu'elle possédait encore. Elle réussit à se lever, accablée par le soleil, par la soif, par la faim, mais, déterminée, résolue, elle avança pas à pas, concentrant toute l'énergie qui lui restait pour rester debout et marcher. Elle jeta sa veste, elle avait si chaud… Finalement, elle s'écroula, évanouie.

Elle se réveilla dans un lit propre et douillet. Une femme tamponnait son visage avec un linge humide. Elle la fit boire, doucement, puis lui apporta à manger.

- Je m'appelle Maud, dit-elle. Mon fils vous a trouvée tout près de la route. Que vous est-il arrivé ?

Brenda ne répondit pas. Pas tout de suite. Elle avait déjà des idées de vengeance en tête et ne voulait en aucun cas que l'on puisse perturber ce qu'elle allait élaborer.

- Je ne sais pas, répondit-elle. Je ne me souviens pas.

Maud avait deux fils… et depuis un mois, sept neveux. De deux à douze ans. Son frère et sa belle-sœur étaient morts, dans un accident de diligence, alors qu'ils revenaient de Dallas. Les enfants n'avaient pas d'autre famille qu'elle, mais onze personnes à la maison, c'était bien difficile à gérer.

- Je vais vous aider, dit Brenda. Je ne sais plus qui je suis, mais je sens que je suis forte et vaillante. Appelez-moi… connaissez-vous un joli prénom ?

- Liz ? C'était celui de ma mère.

- Va pour Liz.

- Dormez, reposez-vous. Nous reparlerons de tout ça demain.

Brenda-Liz fit connaissance avec le reste de la famille et notamment la fratrie orpheline. Intimidés, et encore sous le choc de la perte de leurs parents, les enfants la regardaient avec crainte. Mais la joie avec laquelle elle aidait Maud dans ses travaux, son sourire éblouissant, les délicieux gâteaux qu'elle confectionnait et les chansons qu'elle leur apprenait, brisèrent leurs peurs. Elle décida, avec leur accord, de devenir leur maman d'adoption et s'installa dans la petite ferme qui était la leur autrefois, juste à l'entrée de la ville. Maud devint sa meilleure amie et l'aida à remettre de l'ordre dans le petit potager, dans le poulailler et les clapiers. Elle gardait ce qu'il lui fallait pour nourrir sa famille, puis vendait le surplus de légumes, d'œufs, de volailles, de lapins. Et les gens du village complétaient l'ordinaire de la petite famille avec quelques menues provisions par-ci par-là, ou bien des vêtements pour les enfants. Le médecin de la ville, quant à lui, était tombé sous le charme de Liz, mais celle-ci, trop occupée, n'avait pas encore remarqué combien il était joli garçon, aimable et bien éduqué.

Brenda fulminait en pensant à sa fortune perdue, et tremblait à l'idée que des derricks pussent déjà se trouver à l'œuvre sur ses terres. Elle ne savait pas où elle était et dut se renseigner tout en n'éveillant pas l'attention. Puis elle tenta d'échafauder un plan ; mais il fallait faire vite, avant que le pétrole ne se mit à couler, or elle ne pouvait pas abandonner les enfants… Le dilemme devenait terrible. Et ce fut donc Coralie qui la trouva en premier.

Car Colin avait des remords et la suppliait de faire quelque chose. Alors, elle l'empoisonna. Et Brenda ne perdait rien pour attendre. Coralie se présenta dans le village et enquêta. Elle apprit l'existence de cette jeune femme, Liz, qu'on avait découverte près du village et qui s'occupait maintenant d'une famille nombreuse. Elle la vit effectivement très vite, effectuant quelques courses au village après avoir accompagné la tribu à l'école.

Alors que Brenda était seule à la maison, elle s'introduit dans la maison puis sortit dans le potager où elle avait aperçu la jeune femme, prête à se mettre au travail. Elle tira alors de sa poche un petit pistolet, se prit les pieds dans une racine d'arbre et le coup partit. Brenda tomba à terre. 

Mais le brave médecin, qui passait juste dans le coin, entendit le coup de feu et se précipita, tout en appelant le shérif, en train de discuter avec l'hôtelier de l'autre côté de la rue. Ils n'eurent aucun mal à maîtriser Coralie, rouge de colère, criant injure et insultes, consacrant son énergie à maudire Brenda plutôt qu'à tenter de s'enfuir.

La jeune femme n'avait été que légèrement blessée. Elle raconta alors toute son histoire au docteur Davis et s'aperçut qu'il avait des yeux magnifiques et un sourire très doux.

Bientôt, ils abandonnèrent lui son cabinet et elle sa ferme, et partirent s'installer sur le grand ranch Whitesnow, heureusement encore épargné par les puits de pétrole. Ils emmenèrent avec eux, bien évidemment, les sept petits orphelins et vécurent dorénavant très heureux.

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