Butterfly

- Butterfly !

Je me retourne. Clara s'arrête à quelques pas de moi, essouflée, et me regarde. Je savais que c'était elle qui m'avait appelée, sa voix est reconnaissable entre mille, même quand elle prend ce ton inquiet si rare chez elle, qui est d'ordinaire rayonnante de joie. Nous nous fixons un instant. Je suis à bout de souffle, moi aussi. Elle s'approche de moi en silence. Elle le sait, elle n'a pas besoin de parler, surtout pas en ce moment, sa présence suffit à me réconforter un peu. Dans ses yeux, une lueur me fait comprendre qu'elle est vraiment désemparée. Pas plus que moi, mais elle l'est. Nous nous connaissons depuis toujours, un regard est largement suffisant pour que nous devinions les pensées l'une de l'autre. Je fonds en larme, je me prends la tête entre les mains, je hurle à pleins poumons. Elle pose ses mains sur mes épaules d'un geste doux, mais hésitant. Heureusement, il n'y a qu'elle qui m'a suivi quand j'ai quitté la classe en courant. J'aurais eu honte qu'on me voit dans cet état, même en ces circonstences.. Clara a tout de suite compris que quelque chose n'allait pas quand le principal est entré en plein cours de maths, et m'a prise à part pour me parler à voix basse. Elle comprend toujours tout. Je ne veux pas croire ce qu'il m'arrive. Je me laisse tomber sur le sol terreux qui nous sert de cour de récréation. Mes larmes ne cessent de couler. Peut-être ne s'arrêteront-elles plus jamais ? Clara s'agenouille près de moi, prend dans ses bras mon corps secoué de sanglots. Elle me murmure quelques paroles réconfortantes, mais je ne comprends pas tout. A part qu'elle sera toujours là pour moi. Nous restons de longues minutes comme ça. Dans ma tête, les mots du principal résonnent encore. Morts. Ils sont morts, et je ne leur ai même pas dit "au revoir". Mes parents.. Ils sont partis avant moi ce matin. Ils devaient seulement aller faire les courses. Mais il a fallu qu'un poids lourd leur rentre dedans. Ils sont morts sur le coup. La voiture a été totalement défoncée. Notre voiture. Papa la trouvait trop petite. Il avait prévu de la changer le mois prochain.

- Butterfly..

Les larmes ne coulent plus sur mes joues. Ce prénom, si peu commun. Je le détestais quand j'étais petite. Alors les paroles de ma mère me reviennent en mémoire : "Butterfly, tu n'aimes pas ton prénom ?" J'avais secoué la tête. Tout le monde se moquait de moi à l'école. "Ma chérie.. Nous l'avons choisi pour une raison bien particulière, ton père et moi. Nous croyions que je ne pourrai jamais tomber enceinte, et tu es arrivée. Y a-t-il quelque chose de plus beau qu'un papillon qui déploie ses ailes colorées avec l'espoir de trouver une jolie fleur où se poser ? Tu es comme ce papillon, ma chérie. Notre espoir." Je fonds de nouveau en larmes à ce souvenir. Plus rien ne sera jamais pareil.