Caesar

Anneloup Roncin

Un adolescent mourant nous parle de celui qu'il aimait.

Le sang battait contre mes oreilles, rendant mes tympans douloureux. Les sons m'étaient indiscernables et ma vue se brouillait. Qui étais-je ? Ah, oui. Ça. Et bien, je vais vous faire un résumé rapide. Un résumé parce que vous n'avez pas besoin de plus, et rapide parce que nous n'avons plus beaucoup de temps devant nous. Enfin, moi. Vous, j'espère que vous pourrez partir et que vous raconterez mon histoire. Vous écoutez ? Très bien.

Il était une fois un jeune garçon – la quinzaine, tout jeune – qui ne connaissait rien ni personne. Le monde était vaste et il s'en moquait. Pas d'amis, pas de projets, pas de rêves et un intellect jamais employé. Ça, c'est moi.

Oui, je ne commence pas à ma naissance. En bref : une mère, un père, des frères, une bicoque. L'une boit, l'autre fuit, les frères entrent dans des gangs et se fourent dans des histoires pas possibles. Moi, au milieu de tout ça, et pourtant à l'écart. N'allez pas croire que j'étais rejeté ou des conneries du genre. Je ne suis ni un gringalet ni un pauvre timide. Au contraire, je dirais que je me suis toujours bien débrouillé. Mais comme je l'ai déjà dit, j'étais le cadet, et mes frangins m'ont tenu éloigné de toutes ces embrouilles. Enfant choyé que je suis ! Que j'étais.

D'ailleurs, j'ai exagéré. Mes frères sont un peu sortis des embrouilles. Après que l'aîné ai crevé, ils ont compris qu'ils étaient pas imbattables. Immortels. Dommage que j'ai pas appris la leçon en même temps. Mon nom ? Qu'est-ce que vous en avez à foutre, de mon nom ? Choisissez-en un, l'histoire n'en sera pas changée. Tiens, appelez-moi Caesar. C'était mon surnom. Non c'est pas ma famille qui me l'a donné. Celui qui en a eu l'idée… Quand vous le verrez, dîtes-lui que je suis désolé, ok ? Il aurait jamais dû me rencontrer. Non, je suis pas une tapette. Mais parfois, c'est pas qu'une histoire de sexe, alors oui je l'aimais, ce putain de mec. Enfin, je l'aime. Y a aucun bouton off à ce sentiment, et je dois dire que je l'ai jamais cherché non plus.

Oui, c'est vrai que j'ai dit que j'avais aucun ami. C'est pour ça que je commence quand j'ai 16 ans : c'est là qu'y a du changement. Donc un jour banal, qui commence par une bonne bagarre. Je me fais virer de cours – rêvez pas, y en avait pas que des comme moi là-bas. Une école sympa, moyenne, pleins de gens différents qui te regardent de travers. C'est que mes frères y avaient laissé leur marque, et que j'étais tout comme eux : pas patient. Un peu stupide,  sans doute. Mais j'ai plus le temps de regretter quoi que ce soit.

Je voulais qu'on me foute la paix et y avait pas cinquante mille façons d'y arriver. Alors je tapais sur tout ce qui m'approchait. En deux jours j'étais tranquille. Donc, ce jour-là je suis viré de cours. Je sors et monte sur le toit – on est bien là-haut, surtout qu'y a jamais personne. J'allais pour m'installer en plein milieu, au soleil. Mais y avait déjà un mec. Vêtements troués, mais le genre fait exprès, des chaînes au pantalon et des cheveux noirs mal coiffés qui lui arrivaient aux épaules. Il était assis et regardait de l'autre côté. J'hésitais même pas. C'était MON coin tranquille, et j'étais de mauvaise humeur. Alors je suis allé le bousculer. Il s'est levé et m'a regardé. Ses yeux ! Déjà là, j'en frissonnais. Des petits yeux bleus, trop bleus : j'en avais jamais vu d'aussi clairs, je savais même pas que la couleur existait.

Devant moi, il a juste haussé un sourcil. Il a rejeté ses cheveux en arrière – putain que j'aimerai pouvoir les toucher encore, ses cheveux ! – Et il a tendu la main. Vous y croyez peut être pas, mais il était vraiment classe. Mais c'était pas une raison pour déroger à mes habitudes, alors je lui suis foncé dans le lard. Il se battait pas trop mal et je me suis pris quelques mauvais coups, mais au final il s'est retrouvé à terre. Il a pas pleurniché ni rien, juste un sourire en coin.

Alors je lui ai tendu la main. Je sais toujours pas ce qui m'a pris, mais je l'ai fait. Et donc, on est devenus potes. Potes, amis, amants. Vous avez pas besoin des détails, lui les connait et c'est suffisant. Tout ce que vous avez à savoir c'est qu'on était inséparables. Il avait un corps à en mourir. Littéralement, à ça oui on peut le dire, hein ! Après c'était pas une beauté non plus, enfin aux yeux des autres. Une vilaine cicatrice lui barrait la joue, cadeau de son daron.

Mon surnom, il me l'a donné un jour qu'on était que tous les deux. Quelque chose à propos de mon arrogance. Je lui avais répondu que ce mec était mort à cause de son fils. Il a plus rien dit, juste sourit d'un air super triste.

Vraiment, j'ai aimé cette période. J'aime ce mec et je regrette rien. C'est sûr que je vais crever à cause de lui, maintenant. Mais on dit bien « qui aime bien châtie bien » non ? Lui aussi il m'aime. Mais bon, la vie ça s'arrête pas pour t'arranger, alors on a du faire avec.

Désolé, attendez juste une seconde, que je reprenne mon souffle. Je vais plus tenir très longtemps. Oui, c'est lui que vous devrez aller voir. Je veux qu'il sache que je sais ce qu'il a fait. Je sais qu'il a risqué sa peau pour moi, je sais qu'il m'a pas vendu pour rien, je sais que son amour était pas faux. En fait, il m'a persuadé de rejoindre un gang. Vive mes frangins, hein ? Ils avaient pas mal d'ennemis, et y en a un qui a coincé mon bel amant ténébreux. Le chantage, vous connaissez ? Ben il s'en est prit plein la gueule de cette connerie. Alors il a craqué. Mais je lui ai dit de me faire confiance. Alors il m'a vendu à l'autre connard ambitieux, et de là c'est mes frères qu'ont eu droit au chantage. C'est un peu compliqué mais c'est pas comme si vous en aviez quelque chose à faire, des détails. Je vous résume ça grossièrement et on passe à la suite, vous voulez bien ?

Donc, mes frangins sont venus me chercher. Et là mon amour a dû se battre contre eux ; sinon c'est moi qui crevait. Sauf qu'en même temps il leur donnait des infos, où j'étais, les sorties, le nombre des hommes. Quand je l'ai vu il a fait comme s'il était froid, comme si c'était tout calculé depuis notre rencontre, que j'avais été un super pigeon. Mais mes frangins m'ont tout avoué.

Paraît qu'il s'est sauvé depuis, avec sa sœur. Ouais, c'est elle qu'était en danger à la base. Sauf qu'avant de partir, il a tué le chef de ce gang foireux. Ça, c'était pour moi. Alors je sais qu'il m'aime. Bien sûr il s'est un peu loupé, j'allais pas être sauvé comme ça.

Au début personne me cherchait d'ennuis : il avait prévenu que si on touchait à ma belle gueule… Vous voyez le topo. Ça les a pas retenus assez longtemps. Alors là, je crève après un putain de coup de feu. C'est un peu ma faute aussi. J'ai pas été discret, à chercher mon bel amant.

Alors dîtes-lui que je l'aime. Que je regrette rien. Dîtes ça aussi à mes frangins, qu'ils aillent pas se venger. Ah, oui, parce que c'est ses hommes à lui qui m'ont descendu. J'ai jamais dit que c'était un ange. Il m'a menti, a triché, volé, m'a trahi. Je pourrais dire que c'était pour sa sœur, mais y a pas que ça. En fait, son père c'est le boss des boss. Alors il lui court après. Pour la reconnaissance paternelle, vous voyez ? Mais je le connais, moi. Quand il sera au niveau de son père, il le descendra. Et il lui dira : « ça, c'était pour Caesar ».

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