Caïn et Abel, une toute autre histoire...

Robert Drabowicz

Caïn et Abel, ou comment ce genre d'histoire peut encore s'écrire différemment aujourd'hui sur la trahison d'un frère.

Il était une fois un papa et une maman qui s'aimaient très fort. La maman mit au monde deux fils. L'ainé fut appelé Caïn. Le benjamin, qui avait 6 ans de moins, portait le prénom d'Abel. Caïn et Abel s'aimaient d'un amour fraternel très fort.  Rien ni personne ne pouvait l'entacher. Le papa avait élevé ses fils avec une certaine rigueur et un sens très aigu de valeurs qu'il estimait aussi incontournables qu'indispensables chez un homme. Ainsi, loyauté, franchise, fierté de soi-même, dignité, respect de la parole donnée et sens de l'honneur étaient au premier rang des valeurs qu'il portait au pinacle des principes de vie. Il s'employait donc à ce que ses fils les adoptent et, à chaque occasion propice, se servait du fait de vie qui les illustrait pour les rappeler et en tirer une morale démonstrative.

Le temps avait passé, le papa mourut brutalement de maladie relativement jeune. Quelque temps plus tard, Caïn émigra très loin, de l'autre côté de la Terre et se construisit une nouvelle vie. La maman s'en alla vivre la sienne dans un autre pays, non loin de son fils Abel. Plus tard, Caïn accéda à la nationalité de son pays d'accueil, renonçant ainsi à celle de son pays d'origine. Il prenait des nouvelles régulièrement de sa maman et de son frère par téléphone. Lorsque le temps fut venu, la maman cessa son activité professionnelle et rentra au pays pour prendre une retraite bien méritée. Abel, qui habitait à proximité, se mit à s'occuper d'elle de façon de plus en plus accrue au fil du temps. Sa maman s'enfonçait tout doucement dans une vieillesse qui finit par devenir peu à peu et de plus en plus invalidante, tant dans le domaine physique que psychique. Ainsi, il dut s'occuper de lui faire ses courses, surveiller ce qu'elle mangeait ou faisait, assurer tous ses déplacements et veiller à la sécurité de sa vie solitaire. Cela finit par l'obliger à passer la voir deux à trois fois par jour. Jusqu'au jour où sa condition s'étant considérablement dégradée, notamment mentale, il lui fallut se résoudre à envisager de la placer en Maison de retraite médicalisée. Le coût de cette mesure dépassant largement les revenus de sa maman imposait alors à devoir combler le manque en y participant. Abel fit connaître la situation à son frère tout en lui disant qu'en ce qui le concernait lui, il était entièrement d'accord. Caïn ne répondit pas. Abel dut insister, allant jusqu'à le mettre en face de ses responsabilités de fils. Caïn finit par lui notifier une fin de non-recevoir. Il venait ainsi d'abandonner son frère, le laissant seul assumer financièrement la charge que représentait cette situation. Se sentant trahi, Abel réagit immédiatement et lui fit savoir que « Celui qui n'a plus de mère perd aussi son frère ! ». Il lui signifia la rupture totale et définitive de leur relation ainsi que le caractère grave et impardonnable de la faute. 

Nul doute que Caïn, depuis fort longtemps très loin de sa terre natale, ne se sentait plus concerné par ce genre d'obligation morale d'abord, mais tout aussi juridique ensuite. Nul doute également qu'il n'ignorait pas que sa nouvelle nationalité ainsi que l'absence de toute convention judiciaire entre son pays d'origine et celui d'accueil le protégeait de l'obligation de s'y soumettre, ce qu'Abel ne mit pas longtemps à découvrir.

Mais le pire est que Caïn disparut complètement des quelques contacts et relations qu'il entretenait avec sa mère, ce qu'Abel ne réussit pas à comprendre étant donné que la rupture ne les concernait qu'eux deux. Le summum de l'abjection fut atteint lorsqu'Abel apprit par un ami que Caïn était revenu pour un court séjour au pays, était passé à proximité de la Maison de retraite, mais… n'avait même pas daigné ni la voir, ni s'enquérir de ses nouvelles auprès du personnel ! 

La maman, après quelque temps s'inquiéta que son téléphone ne lui donne plus aucune nouvelle de son fils Caïn. Abel dut alors lui avouer ce qui s'était passé. La maman ne comprit pas, peu aidée qu'elle fût avec une tête que son âge avait considérablement amenuisée. Elle se contentait de dire à Abel : « Ah… tu sais comment il est, tout ça va passer, il reviendra ne t'inquiète pas ! »

Les années passèrent. L'âge n'avait pas fait preuve de beaucoup de mansuétude auprès de la vieille dame. Elle ne se déplaçait plus qu'en fauteuil roulant et de nombreux soucis de santé l'avaient considérablement affaiblie. Sa tête peinait même parfois à reconnaître Abel. Cependant, lorsque son acuité refaisait surface, ses premiers mots étaient pour demander à Abel s'il avait des nouvelles de son frère. Ceci avait le don d'exacerber encore davantage sa rancune envers le comportement de celui qu'il n'appelait même plus son frère, mais… « ce type ou ce salaud ».

La maman s'éteignit doucement un soir de février. Cela faisait sept ans que Caïn était absent de sa pauvre vie. Le matin même de sa disparition, très affaiblie et clouée sur son lit à la Maison de retraite, elle avait encore demandé, dans un ultime sursaut de lucidité, des nouvelles de son fils disparu. Abel, très peiné, tourna sa tête et se mit à pleurer… Il se jura aussi que si d'aventure il revoyait « ce type, ce salaud », la première chose qu'il ferait avant toute autre chose serait de lui coller son poing dans la figure. Il scella cette pensée définitivement en y ajoutant qu'il en donnait sa parole, une chose à laquelle il était impensable de faillir selon l'enseignement du papa !

Durant bon nombre de ces sept années, Abel avait dû participer tout seul au financement du séjour de sa mère en Maison de retraite. Quasiment chaque jour, il lui avait rendu visite, veillant sur tout et à tout en se substituant à elle notamment pour le règlement des affaires administratives…

Abel fit tout cela sans sourciller, patiemment et avec amour. Et cela lui avait paru tout à fait normal.

N'était-il pas… tout simplement son fils ?

  • ah ..nous connaissons tous des situations comparables ...en plus , si la maman avait des biens , à sa mort Caïn aurait demander son héritage le 1er et avec grande attention , sans tenir compte des dépenses antérieures de son frère ..et pour la maman , l'attente du retour du fils prodigue ,ça fait très très mal ..oui son fils mais qui gardera des cicatrices toutes sa vie , alors qu'il n'a fait qu'être un vrai fils

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    Brigitte Causeret

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