CALVAIRES
Eric Chesneau
LE LIVRE
Jusqu'où peut-on pousser le sens du sacrifice?
Un jeune couple en mal d'enfant, une bâtisse séculaire plus vivante qu'il n'y paraît, la tombe profanée d'un alchimiste, un étrange entomologiste, une mystérieuse guérisseuse, des suicides récurrents... et une chose tapie dans la tourbière: jamais l'Auvergne n'aura paru si inquiétante que dans ce polar ésotérique et initiatique qui vous vaudra une haletante nuit blanche... Un roman salué par les amateurs du genre. "Un roman fantastique prenant qui nous entraîne au coeur d'une malédiction millénaire". Voici ce qu’en dit Didier Giraud sur le site « Mondes Etranges ».
« Nous tenons avec Calvaires un vrai, un bon roman fantastique, dans la droite ligne de références anglo-saxonnes telles que James Herbert et dans lequel Eric Chesneau démontre qu’il n’est nul besoin de situer l’action d’un roman de ce genre dans le Maine américain ou dans la campagne anglaise embrumée. (…) Eric Chesneau a un talent inné, qui se travaille peut être mais qui ne s’invente pas : ses textes sont agréable et intéressants à lire. (…) On ne saurait donc trop recommander la lecture de Calvaires, qui démontre qu’on peut raconter autrement des histoires fantastiques et donner ainsi une nouvelle jeunesse à des thèmes déjà traités de nombreuses fois, mais arrangés de manière plutôt habile pour former un ensemble cohérent et crédible. Et on ne peut qu’espérer qu’Eric Chesneau, après un premier roman dans la catégorie "polar" poursuivra dans la voie de son second... et donc de préférence dans le fantastique ! »
LES PREMIERES PAGES
Mercredi après-midi
Mater Dolorosa
- Oouuuuiiiiiaaaaailllle!
Le cri enveloppe le calvaire de granit émoussé par les ans et les pluies qui régulièrement érodent les coulées de pierres du Gévaudan, arrondissant les pierres taillées par la main de l’homme mais également celles crachées par Vulcain voici des centaines de milliers d’années…
- Aieaïeaïeaïe-heuuuuu!
Il se perd ensuite dans le vrombissement du poids-lourd chargé de bœufs au garde -à - vous qui s'en vont finir leur vie de ruminant dans quelque abattoir du coin.
- Aaahhhaaaa!
Le râle s'étiole enfin dans l'éclat de rire qui secoue Claire pendant plusieurs secondes. La bougresse, les cheveux sur les yeux, brandit vers les cieux menaçants un morceau de sparadrap de la largeur d'une pelle à pizza et long comme une étole d'évêque.
- Qu'est-ce que tu peux être douillet, mais c'est pas possible!
- Attends, tu te rends pas compte! T'as arraché tous mes poils sur au moins vingt centimètres! je râle.
- Oh! Ecoute, Bert...
Bert, c'est moi. On a le prénom qu'on peut. C'est Bert pour Bertrand, car j'ai horreur de mon prénom que je trouve précieux et maniéré, alors c'est Bert pour tout le monde sauf pour ma mère et l'administration. Je contemple le spectacle de désolation qu'affiche mon avant-bras. Sous le pansement que Claire vient d'ôter, la cicatrice suppure un peu sur la peau blanchie et malaxée par quelques jours passés dans la moiteur d'un sparadrap et d'un bandage que je me suis, jusqu'à ce jour, refusé d'ôter.
- Ne frotte pas, ça va être encore pire...
Claire, à l'instar d'un insecte coprophage, fait une énorme boulette du morceau de sparadrap qu'elle glisse dans une poche en plastique. La bande Velpeau le rejoint.
- Bon, on y va Mater Dolorosa? Sinon, en plus de souffrir le martyre, tu vas être trempé!
Je bougonne. Comme pour lui donner raison, les premières gouttes de pluie s'écrasent sur le pare-brise de la voiture qui disparaît sous quelques tonnes de bagages.
J'avais insisté pour emporter le minimum, mais Claire a la délicieuse manie de rendre le superflu indispensable, ne serait-ce que pour une balade de deux jours, et de parvenir à rendre utilisable le moindre millimètre cube d'une voiture. De fait, même une 4L peut, après quelques réflexions, se métamorphoser en habitacle d'Antonov. Au détriment du conducteur et du passager, bien sûr.
- Allez, je conduis !
Sans attendre la réponse, Claire grimpe dans la vénérable Renault et tourne la clé de contact.
J'enjambe le sac à main qui traîne au pied du siège du passager, bute dans la trousse à pharmacie (« Elle doit toujours être à portée de la main, on ne sait jamais »: tel est l'un des nombreux préceptes de Claire), me cogne le genou au cric qui pendouille depuis la boite à gants (« Un cric planqué sous trois tonnes de bagages est inutile » a également coutume de lancer Claire) et parviens à m'asseoir sur le siège, relevé de quelques dizaines de centimètres par les deux vestes (les miennes évidemment, pas celles de Claire) qu'elle n'a pu caser ailleurs (« De toute façon, tu te fous pas mal de porter des fringues froissées » m'a-t-elle lancé, péremptoire, avant de quitter la maison.)
Je dis adieu au calvaire de granit qui, me semble-t-il, n'a jamais aussi bien porté son nom. Sous le Christ en croix qui gît à trois mètres de hauteur, des femmes de pierre, trois (sans doute Marie, Anne sa mère et peut-être Marie-Madeleine) recueillent son corps brisé dont les jambes, d'ailleurs, manquent pour partie, sans doute victimes de l'érosion ou du désaveu de Dieu dans une région pourtant parsemée d’églises romanes et d’abbatiales clunisiennes.
- On ne devrait plus être loin maintenant!
C'est Claire qui a souhaité marquer une pause à quelques kilomètres de notre destination. « Il faut s'arrêter toutes les deux heures, tout le monde te le dira ». Bon, on ne transige pas avec la sécurité. Et puis, la pause a été l'occasion de virer ce foutu bandage que je n'osais enlever depuis quatre ou cinq jours. C'est vrai que je suis douillet, et alors? Mais une caresse de scie sauteuse, c'est tout sauf érotique. Alors, ça fait mal.
Est-ce être douillet que de souffrir réellement? Je cogite, en essayant d'éviter le parapluie qui, invariablement, à chaque tressautement du véhicule, se plante dans ma nuque sans pourtant parvenir à me soutirer le moindre gémissement. On ne transige pas avec la sécurité, tu parles... Au premier coup de frein, je risque de me voir transformé en espadon ou en licorne.
- Tu as la carte?
Je la cherche sans succès, avant de la trouver là où je m'y attends le moins: dans la boîte à gants, au milieu des cassettes de Genesis et de Gainsbourg.
On vient de passer Allègre, et « sa tourbière légendaire » affirme un panneau publicitaire planté sur le bord de la route.
A ma droite, s'alignent des haies de genêts et de fougères, trouées de quelques îlots de digitales dont le mauve tranche sur les différentes tonalités de vert. Des murs de hêtres, de sapins et d’épicéas hérissent les flancs volcaniques. De l’autre côté de la chaussée, ravinent des prairies à travers lesquelles sillonne la lance d’argent d’un petit cours d’eau. Un troupeau de moutons noirs broute sans fin la lande à mi hauteur des pentes douces. De loin en loin, les sentes sont ponctuées de vastes maisons de pierres de volcan et de granit, dont certaines portent encore d'antiques avis de vente peints sur un métal rouillé depuis quelque lurette. Les toits de tuiles rouges éventrés, les vaines tentatives de colmatage des portes et des fenêtres éclatées témoignent de l'abandon partiel de la région. Déjà, à la fin du XIXème siècle, de nombreux habitants de ces contrées parfois hostiles, notamment durant les longs hivers, avaient migré pour une vie meilleure, s’exilant vers le Nord, vers Paris, parfois un peu moins loin, à Clermont l’industrieuse ou Saint-Etienne la manufacturière.
Certains de leurs descendants étaient revenus de ce Paris plein de promesses avortées, plus riches ou plus pauvres qu'avant, mais en quête de racines perdues restées accrochées à flanc de puys; nombreux étaient restés toutefois dans cet ailleurs, plus pauvres ou plus riches que leurs parents, mais poursuivant un rêve qui ne leur appartenait plus. Ils revenaient, parfois, en touristes, quelques jours, puis repartaient sans regret.
Derrière la vitre, j'aperçois les monts de granit qui déchirent le ciel; des pentes tantôt arides, tantôt douces, meurtries de blocs de pierres, désolées par endroit, comme vomies du ciel, plantées çà et là sur le vert des prairies où paissent aussi des dizaines de vaches. Vomies du ciel... ou crachés par les enfers! Car c'est bien du centre de la terre que jaillit, jadis, ce paysage magnifique qui réveille en moi d’ataviques et improbables souvenirs.
Je frissonne.
- Tu as froid? s’enquiert Claire en me jetant un coup d’œil froncé!
Je bâille.
- Non... Un peu de fatigue seulement... Mais c'est vrai que pour un mois d’août, fait pas chaud!
- Tu parles... J'aurais dû m'écouter et prendre quelques pulls supplémentaires!
On éclate de rire. Claire sait très bien éclater de rire.
La 4L effectue une embardée quand un énorme poids-lourd chargé de billes de bois se met en devoir de la dépasser malgré l’étroitesse de la route et le rideau de pluie qui noie la visibilité. Claire freine pour laisser passer la cabine, qui, arrivée à la hauteur de la 4L, ne parvient plus à avancer. Le mastodonte émet un gémissement guttural et parvient enfin à se rabattre, projetant des paquets d'eau sale et de gravillons sur le capot de la Renault.
- Quel con! je m'exclame.
- Un fou-furieux tu veux dire...
Puis elle freine sec. Je suis projeté en avant. La pointe du parapluie me caresse l'oreille avant de venir se ficher dans un sac de draps de bain calé sur le tableau de bord.
- Ce crétin a failli me faire rater la sortie! lâche Claire en donnant un brusque coup de volant vers la gauche.
- J'ai bien failli ne pas rater la mienne, de sortie! je tempête, en filant un coup de coude au parapluie qui refuse toutefois de reprendre sa place, sans doute intéressé par le spectacle de la route auvergnate en temps de pluie.
Claire pose la main droite sur mon genou, tout en conduisant de l'autre.
- Excuse-moi... J'ai été surprise!
La Renault continue sa route, passant devant une auberge posée sur la Départementale. Cent mètres plus loin, une fourche et un autre calvaire, simple croix de métal plantée sur un socle de pierre. Claire braque à gauche, grimpe une route de plus en plus étroite, de plus en plus escarpée. Une ravine défile sous mes yeux tandis que la montagne reste plantée là, à ma gauche. Puis c’est un calvaire d’un autre genre qui nous accueille à Peyre. Banal panonceau de bois verni aux lettres tremblotantes. Peyre, son église du XIIIème siècle et ses vestiges de peintures murales, « étape sur le chemin de Compostelle » peut-on deviner sur le panneau de bois à moitié effacé. Une pancarte bercée par la brise indique également la présence d’un café-débit de tabac-restaurant et d’un gîte rural.
- C'est du côté de l'église, je crois...
Claire acquiesce sans mot dire. La Renault passe devant quelques ruines de granit, ignore le bistrot pour l’heure fermé, longe un bâtiment municipal anémique et tourne à gauche.
Sous la muraille du cimetière ceignant l'église sont nichés des... WC publics.
Avec en toile de fond, un clocher massif auquel on accède par un étroit et vertigineux escalier de pierres.
La Renault dépasse un puits fleuri, puis la dernière maison du village qui paraît nous observer de ses volets blancs fatigués auxquels manquent quelques lattes.
La Ferme se dresse à cinq-cent mètres de là, érigée au milieu de nulle part.
A l'autre bout du monde, murée dans sa digne solitude.
CÔTE PRATIQUE: CALVAIRES, éditions Books On Demand (BOD).
DISTRIBUTION SODIS. Ouvrage broché, format in-8, 240 pages, couverture illustrée en couleur, prix : 18 euros. N° ISBN 978-2-8106-1509-4. Ouvrage disponible en librairie ou sur commande en librairie. Egalement disponible sur le site www.bod.fr. Contact : Eric Chesneau, E-mail : chesneaueric@aol.com.