Camp Mc'Arey
lenetlou
Synopsis détaillé
En Caroline du Sud, Alessandra McLain a un avenir tout tracé. Après sa dernière année d'études, elle sera psychologue. Elle sait déjà avec certitude où elle va faire ses premières armes. Dans la société de son futur beau père. Mais avant de se lancer dans la vie active, elle va épouser Christopher, son amour de lycée. L'évènement n'est plus qu'à quelques semaines quand Aly obtient un stage de deux mois en Écosse. Pile ce qu'il lui fallait pour finaliser son année. Officiellement. Pile ce qu'elle avait demandé pour pouvoir partir sur les traces de son père qu'elle n'a jamais connu. Officieusement. Contre l'avis de tous ses proches, elle part pendant deux mois au Camp Mc'Arey laissant le soin à la wedding planner de finaliser les derniers détails.
L'arrivée au Camp est mouvementée. Un feu s'est déclaré. Entre sirènes et gyrophares, elle réalise dans quoi elle a mis les pieds et est confrontée à la réalité de son futur métier. Les jeunes qui sont dans ce camp ne sont pas des enfants de chœur et ça ne sera pas la seule démonstration du séjour.
Au milieu du chaos, elle fait la rencontre de Brianna, la directrice du Camp, et de ses crises d'autoritarisme. Mais aussi de Jenny, Sam, Connor, Lee et Quinn, les autres éducateurs. Des personnalités très différentes qui semblent pourtant trouver un terrain d'entente dans ce lieu. Et il y a Nate. Le paradoxal. Avant même de croiser son regard pour la première fois, il intrigue Aly et les descriptions que lui en font les autres attisent sa curiosité. Leur première rencontre, quasi irréelle, bouleverse la jeune femme. Lui ne la voit que comme une enfant de plus à gérer, un poids. Son intégration sera compliquée, heureusement, Aly pourra compter sur la bienveillance intéressée de Sam et l'énergie inépuisable de Jenny, deux soutiens dont elle aura bien besoin.
Au Camp, il y a une tradition. Un carnet que l'on fait lire à tous les nouveaux arrivants. Retrouvé pendant des travaux de rénovation quelques années plus tôt lors du changement de direction, il contient l'histoire d'E. une ancienne pensionnaire du Camp. La lecture de ce journal intime va tenir Aly éveillée pendant de longues heures. Elle fera connaissance avec E. et sera un témoin de la relation passionnelle que celle-ci va développer avec l'un de ses éducateurs surnommé Mark. Personne n'a jamais pu retrouver qui était la jeune fille, le mystère reste entier mais les paris fusent sur l'identité réelle du fameux Mark. Nate, dont les activités sexuelles sont connues de tous, est sur la liste des suspects du fait de son ancienneté. Ce qu'il ne cherche pas à démentir.
Une altercation avec l'un des jeunes du Camp va forcer Aly et Nate à trouver un terrain d'entente afin qu'elle puisse acquérir les réflexes qui lui permettront de reprendre le dessus face aux jeunes qui s'amusent à la tester. L'occasion de passer du temps ensemble et de faire plus ample connaissance.
La lecture des pages du journal intime écrit par E. fera écho à sa propre histoire au sein du camp. L'avenir tout tracé d'Aly va s'en trouver bouleversé et la recherche de son père dans ce contexte s'avèrera compliquée.
Et si toutes ces embûches s'avéraient nécessaires au bonheur d'Aly ?
Présentation des
personnages principaux
Alessandra a grandi en Caroline du Sud dans un cadre strict, ce qui lui convenait tout à fait. Sa mère a tout fait pour qu'Aly ait une vie la plus normale possible et qu'elle obtienne une éducation convenable avant de former une famille. Pour que la jeune femme ne soit pas comme elle. A 22 ans sa vie est déjà planifiée, elle va devenir psychologue et épouser son amour de lycée. Et ça lui convient. Une seule ombre à ce tableau idyllique, elle n'a jamais connu son père et sa mère s'agace dès que le sujet est évoqué. À l'aube de son mariage, le manque se fait ressentir. Elle profite de devoir faire un stage pour finaliser ses études de psychologie afin de se rendre en Écosse, près du village natal de sa mère, et essayer d'en apprendre un peu plus sur le sujet. C'est aussi l'occasion pour elle de faire le point sur sa situation, de prendre du recul pour vérifier que ce qui est prévu est bien ce qu'elle veut. Aly est rarement sortie de son cocon et ce voyage sera une réelle épreuve pour elle et ses convictions.
Nate a été élevé dans un milieu aisé mais n'y a jamais trouvé sa place. Il a toujours refusé de suivre les traces de son père ce qui a créé des conflits au sein de sa famille. Adolescent violent, il a lui-même été envoyé au Camp Mc'Arey. Il y a trouvé sa voie et n'en est jamais reparti. C'est le plus ancien de l'équipe. Il est à présent éducateur et professeur de street fight. Il prend à coeur son rôle et met tout en oeuvre pour aider les jeunes en difficulté à trouver un équilibre. Côté coeur, il ne fait pas de sentiments. Il couche avec qui il a envie sans jamais créer de lien. Toutes savent dès le départ qu'elles n'auront de lui que du sexe même si la plupart d'entre elles espèrent plus, bien plus. Derrière ça, Nate cache un manque profond d'estime de lui et pense ainsi protéger ceux qui l'entourent en les tenant à distance.
E. est une adolescente comme les autres, sans trouble. Moyenne en cours, elle profite de son temps libre pour passer du temps avec ses amis et notamment des jeunes qui jouent dans un groupe de musique. Sa mère, très soucieuse de l'image qu'elle renvoie autour d'elle, ne juge pas d'un bon oeil ses fréquentations. Lorsque lors d'une fête, E. est arrêtée, sa mère saute sur l'occasion pour l'envoyer au Camp Mc'Arey. C'est le début de l'enfer pour E. qui n'a rien à voir avec les autres jeunes qui, eux, sont de vrais délinquants. Elle se replie complètement sur elle même jusqu'au jour où elle commence à tenir un journal. Elle y consigne son désarroi puis, rapidement, l'histoire d'amour passionnelle qui la lie à un des éducateurs qu'elle nommera Mark. Après son départ précipité du Camp, son journal intime est oublié sous une latte de parquet. Des années plus tard, il fera l'objet de toutes les spéculations. Qui sont E. et Mark ?
Début du roman
Prologue
« Je le regarde parfois sans qu'il le sache et je me demande ce qu'aurait été ma vie si je ne l'avais pas rencontré. Une suite de jours tristes et sans passion. Un enchaînement de platitudes et de conneries. Beaucoup diront sûrement qu'il a foutu ma vie en l'air. Moi je crois au contraire qu'il m'a sauvée. »
- Extrait du journal intime de E.
Chapitre 1
« Est-ce que, si je lui écrivais que c'est la meilleure expérience de ma vie, elle viendrait immédiatement me sortir de là ? Stopper tout ça ? »
- Extrait du journal intime de E.
Elle a toujours eu peur en avion. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle a ressenti ça. Elle arrive toujours plus ou moins à relativiser mais pas aujourd'hui. Les derniers jours ont été émotionnellement chargés et cet atterrissage sans douceur sous le vent et la pluie ne font que renforcer cette angoisse latente qui a pris son ventre en otage et qui ne la quitte plus.
À l'heure qu'il est elle devrait être en train de faire ses derniers essayages pour sa robe de mariée au lieu de quoi elle se retrouve à prier le plus fort possible pour ne pas venir grossir la liste de noms des victimes des crashs aériens. Il aura fallu de quoi pour que tout bascule ? D'une photo ?
Voilà, elle va mourir là maintenant au milieu des débris d'une carlingue en compagnie de gens qu'elle ne connaît pas, juste parce que sur un cliché, elle s'est vue triste, éteinte et que quand elle en a fait la remarque à Melly, sa témoin, celle-ci lui a juste jeté son regard le plus doux. Le plus sincère aussi.
« Ce n'est pas la photo… C'est toi Aly, juste toi en ce moment. »
Et soudain tout lui a sauté au visage. Violemment. De son futur job à ce mariage en grandes pompes. De ces dîners avec les amis de son fiancé à son abandon du dessin, de la danse. De la décoration aseptisée de leur appartement à ses cheveux longs qu'elle ne supporte plus.
Elle a regardé de nouveau son portrait, cherché dans le reflet de cette fille maussade, l'ancienne Aly. Comme elle ne l'a pas trouvée, bêtement, elle a posé cette question :
« Tu crois que je vais être heureuse Melly ? »
Et parce qu'en face on a hésité… Elle a paniqué.
Le bruit du train d'atterrissage la ramène à la réalité. À cette certitude qu'elle ne va pas s'en sortir. En vain, elle essaie de se rappeler les phrases tant de fois répétées par sa grand-mère le soir avant de dormir.
« Je vous salue Marie pleine de grâce, vous êtes bénie entre toutes les femmes »... mais la suite ne vient pas. Comme si Dieu condamnait son départ. Comme si la Sainte Vierge elle-même lui refusait un peu de rédemption. Un peu de pardon.
« Tu vas faire quoi ?! »
L'énervement de Christopher ne l'a pas surprise. La froideur de son regard bien plus par contre.
« - Je pars juste faire un stage. Ce n'est qu'une affaire de deux mois.
- À 6 000 kms.
- Ce n'est pas moi qui ai fait l'annonce je te signale.
- Mais c'est toi qui l'as accepté.
- C'est une excellente opportunité pour moi. Ça va me sortir de ma zone de confort. Sur mon C.V. ça aura du poids lors de ma recherche d'emploi et puis, lors de ma soutenance, j'aurai bien plus à dire que si je raconte mes deux mois passés au Rotary Club.
- La classe supérieure de notre société ne t'intéresse plus ? Je croyais que c'était ça, le sujet que tu avais choisi. Et puis pourquoi tu me parles de recherche d'emploi ? Tu as déjà un job Alessandra. Je te rappelle que tu as dit oui à mon père.
- J'ai besoin de tester différentes filières avant de m'engager.
- Tu parles toujours de ton avenir professionnel là ou ça s'applique à moi ? »
Elle a essayé de mettre toute la conviction dont elle était capable. De ne pas laisser la moindre part de doute transpercer. D'avoir presque l'air surprise, choquée même.
« - Mais qu'est ce que tu vas t'imaginer ? Évidemment que je parle de mon futur boulot. Ça n'a rien à voir avec notre relation tout ça !
- Un petit peu quand même, tu ne crois pas ? Tu comptes régler les derniers détails du mariage comment ? Par e-mail ? Par skype ?
- Pour le peu que mon avis compte de toutes les manières… Ta wedding planner n'a qu'à se mettre d'accord avec ta mère. Ça ne les changera pas. »
À l'instant même où elle a prononcé sa phrase, elle a senti que c'était une erreur. Foutue spontanéité. La réaction n'a pas tardé.
« - Ah c'est ça en fait. Tu me punis.
- Quoi ? Mais non, mais pas du tout.
- Si, c'est exactement ça. Parce que je n'ai pas pris ta défense sur la couleur des fleurs, tu traverses l'Atlantique. Tu ne penses pas que c'est puéril comme réaction ?
- Mais ça n'a strictement rien à voir. J'ai envie de faire ce stage c'est tout. C'est si compliqué à comprendre ?
- Que tu choisisses d'aller t'enfermer dans un camp de redressement pour jeunes en Écosse plutôt que de m'épouser ? Oui c'est un peu dur à avaler, pardonne-moi.
- Je ne savais pas que je devais choisir entre mon boulot et toi. Je ne t'ai jamais reproché tes déplacements que je sache ?
- Mes déplacements comme tu les appelles si bien payent notre loyer et ton crédit étudiant. »
Elle a encaissé le coup, tenté de sourire pour ne pas se montrer trop blessée.
« - Et bien tu vois à partir de maintenant je vais prendre en charge une partie des dépenses du foyer. Tu devrais t'en réjouir.
- Ne joue pas à ce petit jeu là, Aly.
- Oh mais je te jure que je ne joue pas. Maintenant tu m'excuseras mais comme je pars dans trois jours, j'ai quelques légers détails à régler avant.
- Ta décision est irrévocable ? »
Elle a ravalé ses larmes et ses doutes. Ne pas le laisser prendre le dessus. Être forte.
« Oui. »
Quand les roues touchent le sol au milieu de ce déluge, elle réalise que son voisin lui tend un mouchoir
Vous êtes saine et sauve.
Il lui sourit et il faut quelques secondes à Aly avant de comprendre que c'est à elle qu'il parle, que ses joues sont trempées et qu'elle sanglote même. Elle tente de lui rendre son sourire mais elle sent bien que ses lèvres ne partent pas dans la bonne direction. En marchant le long du couloir qui la mène au terminal pour récupérer ses bagages, elle croise de nouveau ce reflet triste et perdu qui lui fait face dans un miroir. Ses yeux sont sertis de rouge, gonflés. Pour une première impression, elle a sorti le grand jeu. Et pourtant au moment où elle attrape sa valise et qu'elle aperçoit une jolie rousse avec une pancarte “ Alessandra McLain”, elle décide de relever la tête. Après tout si elle doit faire ses preuves, c'est maintenant ou jamais. Elle avance l'air assuré et tend une main ferme.
- Bonjour je suis Alessandra, je viens pour le stage.
Si l'hésitation effleure le regard qui lui fait face, il disparaît rapidement.
- Bonjour Alessandra, moi c'est Jenny.
Elle grimpe dans le minibus et laisse son esprit vagabonder en regardant les paysages écossais défiler sous ses yeux. Elle a rêvé de ces endroits depuis qu'elle a été en âge de comprendre que l'accent bizarre de ses grands-parents venait de bien plus loin que de l'état voisin. Elle s'en est fait un monde imaginaire, merveilleux. Des étendues verdoyantes et des châteaux en ruine. Au lieu de quoi, elle découvre une ville industrielle, pauvre par endroits. C'est gris. Triste. Froid. Sa naïveté est donc sans limite…
Elle est fatiguée. Glacée. Elle voudrait pouvoir faire marche arrière et tout annuler. Elle a mal au coeur, au propre comme au figuré, et les mouvements du minibus ne font rien pour arranger son état. Elle se dit qu'elle devrait essayer d'engager la conversation avec son chauffeur, mais celle-ci, bien qu'aimable, a plutôt l'air de vouloir continuer à chantonner les tubes que crache une vieille radio. Elle a l'air relativement jeune mais fatiguée. Tendue. Elle devine facilement qu'elle s'est proposée pour venir la chercher. Pas par curiosité ni même par gentillesse. Juste pour échapper un peu au quotidien du Camp. Pour souffler. Les extraits d'articles qu'elle a lus et qu'elle a essayé d'occulter concernant ce qui va s'avérer être son lieu de villégiature pendant deux mois lui reviennent en mémoire. « Peut-on réellement inculquer la discipline et l'envie de s'en sortir à des mômes qui ne veulent rien », « L'intérêt pédagogique humain est indéniable mais il faut avoir les nerfs solides pour survivre ».
- Et merde.
La voix de Jenny la fait sursauter.
- Que se passe-t-il ?
- On vient de se faire doubler par trois voitures de flics… Et elles se dirigent toutes vers le Camp.
- Comment ça ? Qu'est-ce que ça veut dire?
- Que tu vas être directement plongée au coeur de l'action, j'espère que tu es prête.
Elle regarde le compteur de vitesse accélérer, instinctivement, elle s'accroche à son siège priant pour que tout ceci ne soit qu'une simple coïncidence mais à peine à deux cents mètres du Camp, elles aperçoivent une épaisse fumée noire s'élever au-dessus de leur tête.
Et tandis que la conductrice ouvre sa fenêtre pour présenter ses papiers aux policiers en faction devant l'entrée, elle sent son estomac se contracter.
Quand elle s'apprête à descendre de la voiture, au milieu d'un concert de sirènes et de gyrophares, elle sent la main de Jenny sur son épaule.
- Bienvenue à Camp Mc'Arey…
Chapitre 2
« Quand j'entends au loin le feu qui crépite alors je sais que la nuit est proche. Que bientôt toutes les lumières s'éteindront. Que le silence tombera sur le camp. Et que bientôt il viendra me rejoindre. Je retiens mon souffle et sous le drap je sens déjà mon corps qui réclame. »
- Extrait du journal de E.
Le lieu n'est que chaos. Ça crie, ça se bouscule et les policiers font preuve de peu de tendresse. Ce qu'elle voit l'horrifie. Tous les jeunes sont plaqués au sol les uns après les autres malgré les protestations des éducateurs. Elle s'apprête à intervenir quand un homme en uniforme de pompier lui barre la route.
- Je peux savoir pourquoi tu n'es pas avec les autres ?
- Excusez-moi ?
- On vous a demandé de tous vous regrouper. C'est si difficile d'intégrer un ordre simple ?
- Mais…
- Pas de mais, tu vas rejoindre tes petits camarades et répondre aux questions des flics. Vous croyez réellement que l'on a que ça à foutre que de passer notre temps à éteindre vos conneries ?
Elle essaie de comprendre ce qu'il lui raconte.
- Non mais je ne suis pas une délinquante moi.
C'est la seule phrase qui lui vient à l'esprit. Super pour quelqu'un qui est censé ne pas mettre les gens dans les cases. Il la dévisage. Ce type à les yeux bleus les plus glaçants qu'elle n'ait jamais vus.
- Mais qu'est ce que tu fous alors ? Tu crois que c'est un spectacle ?
À ce moment-là, Jenny refait irruption à ses côtés.
- Pourquoi tu ne m'as pas suivie ?
Elle ne sait même plus quoi répondre. La fumée lui pique les yeux, la gorge. Elle surprend un regard indéchiffrable entre Jenny et le pompier qui ne dure qu'une fraction de seconde.
- Elle bosse ici. Elle est en stage pour deux mois.
- T'es sérieuse là ?
Le ton est sarcastique. Presque méprisant. Et ça la renvoie de nouveau en arrière. Quand elle a annoncé à sa mère qu'elle partait.
Ça avait commencé par de nombreuses remarques visant à accentuer son irresponsabilité.
« On ne quitte pas le pays si peu de temps avant un mariage, tu te rends compte de ce que vont penser les gens ? »
Elle s'était abstenue de demander si dans l'échelle des erreurs à ne pas commettre pour faire bonne figure aux yeux de la société, son départ en Écosse était mieux ou moins bien placé que d'être fille-mère à 16 ans. Mais se fâcher avec sa mère n'était pas une option envisageable, pas maintenant et surtout pas sur ce sujet. Elle s'était juste contentée d'un :
« Je ne me marie pas pour “les gens” donc ce qu'ils en pensent… »
Mais sa mère n'avait pas eu la bonne intelligence d'en rester là. Non, comme à chaque fois qu'elle était inquiète, elle devenait virulente. Et c'est son travail qui en avait fait les frais.
« - Sois réaliste deux secondes ma chérie. Que crois-tu que tu vas réellement faire là-bas ? Qu'on va te laisser t'occuper des jeunes ? Ma douce… Tu t'es regardée ? On ne jette pas les agneaux au milieu des loups. Tu vas faire de l'administratif rien de plus. Alors pourquoi partir aussi loin ?
- Premièrement, je ne suis pas un “agneau”. Je suis une future psychologue sortie major de sa promo. Ensuite, je vais là-bas pour autre chose que pour classer des papiers. C'est sur la fiche de poste. Et quand bien même, je serai plongée dans un univers que je ne connais pas. Par contre en ce qui concerne ta dernière question, crois-moi… Tu ne veux pas la réponse à cette question. »
Sa mère avait eu ce regard blessé et apeuré qu'elle arborait à chaque fois qu'elle mettait le sujet sur la table. Et elle avait quitté la pièce.
- Allez, viens.
Jenny la tire par la veste et elle s'éloigne de ses souvenirs. Elle a limite l'impression qu'elle va se sentir mal mais elle ne leur fera pas ce plaisir. Pas ici. Pas devant ce pompier à l'ego surdimensionné.
- Tu devrais la remettre dans l'avion, Jen. Elle ne fera jamais le poids.
- Depuis quand tu t'y connais en psychologie, Callaway ?
- C'est ça, fait la maligne. Mais tu sais que j'ai raison.
- Donne-moi une semaine et je te promets qu'elle sera opérationnelle.
- Pari tenu ? Celui qui perd paye une bière.
- Eh ! Au cas où vous n'auriez pas remarqué, ELLE est là et ELLE n'apprécie pas vraiment cette discussion.
Le ton de sa voix la fait sursauter. Les deux autres la dévisagent. Le pompier arque un sourcil et lui adresse une sorte de sourire en coin particulièrement désagréable avant de tourner les talons.
- Bon courage Jen… Elle va te donner du fil à retordre.
Elle s'apprête à rétorquer mais Jenny la stoppe.
- Laisse tomber. Ce type est une tête de lard mais c'est un mec bien. Ne lui répète jamais que j'ai dit ça hein ?
- On ne doit pas avoir toi et moi la même définition de “mec bien”.
Le rire de Jenny la détend.
- Va falloir que tu t'y fasses ma jolie… Parce que je t'assure qu'ici, Matt fait presque office de gentleman. Allez suis-moi je vais te faire rencontrer le reste de la dream team.
- Et les jeunes… Est-ce qu'il y en a qui sont...?
- Non aucun blessé. Ils ont juste fait les malins. Rien de grave. Que du matériel, mais les “uniformes” du coin ont un peu tendance à sur-réagir quand il s'agit d'ici. Principe de précaution, je suppose. L'avantage c'est que comme Brianna vient de déclencher une réunion de service, tu auras tout le monde sous le coude pour nous déballer ton C.V.
Elle a du mal à avaler sa salive. Elle n'a pas du tout prévu ça. En fait elle se rend compte qu'elle n'a rien prévu du tout.
- Eh ! Détends-toi ! Tout va bien se passer. Si tu t'angoisses pour une phrase, on n'est pas au bout de nos peines.
La réunion est en fait un grand feu de camp autour duquel chacun a déjà pris place. Trois garçons sont en train de discuter pendant qu'à l'écart deux filles ont l'air d'avoir une conversation pour le moins animée et peu amicale. Avec Jenny, parité absolue. Son arrivée déséquilibre le tout. Et elle sent bien qu'elle n'est pas la seule à le penser.
Jenny justement est allée s'asseoir entre les jambes d'un brun de taille moyenne mais au sourire rassurant. Pas comme celui qui est juste à côté d'eux, du haut de son mètre quatre-vingt-dix, il a à peine daigné lui lancer un regard rempli de cette expression qu'elle commence à maîtriser “rentre chez toi petite tu feras pas le poids”. Le troisième représentant de la gente masculine est tout autre. Il lui a fallu à peine quelques secondes pour le cerner. Vu son sourire et sa façon de la détailler, lui, il est membre du club “je drague comme je respire” et elle n'est pas certaine que ce soit ce qu'elle cherche non plus. Encore que là, pour un peu de soutien, elle serait prête à mettre quelques principes de côté.
Elle ne sait pas très bien où s'installer alors elle finit par se poser à moitié en équilibre sur un morceau de rocher. Position totalement inconfortable mais elle n'a pas vraiment le temps de se questionner sur un changement de place hypothétique parce que Jenny la pointe du doigt.
- Je sais que ce n'est pas le moment idéal pour les présentations mais la petite demoiselle qui essaie de disparaître à l'intérieur du rocher c'est Alessandra, notre nouvelle stagiaire.
Elle agite timidement la main pour se signaler mais le silence qui fait face son intronisation la pousse à reprendre sa position quasi foetale. Ces deux mois vont être les plus longs de sa vie.
- On parlera de ça plus tard. Où est Nate ?
Une des deux filles s'est détachée et est venue prendre place devant. De toute évidence c'est elle la directrice du camp. Brianna Hamilton si elle se souvient bien. Elle aurait aimé la rencontrer avant. Ou au moins l'avoir au téléphone, mais tout est passé par les présidents de l'association. Et à coup sûr ça ne joue pas vraiment pour elle. C'est un peu comme si elle s'était imposée. Ce qui quand on y pense est quand même vrai. Elle a eu beau parler d'annonce à Christopher, ou de fiche de poste à sa mère, c'est elle, et uniquement elle, qui a insisté pour faire un stage. Une candidature spontanée uniquement motivée par un besoin de s'éloigner de chez elle et de se rapprocher de là où a grandi sa mère et qui sait… peut-être son père. Et même si ça ne donne rien, ça fera toujours bien sur son C.V.
- Je répète ma question ? Où est Nate ?
La voix de Brianna est montée d'un cran. Elle semble agacée, nerveuse et ça n'a pas l'air de concerner “que” les évènements de ce soir.
- Il n'est pas de garde.
La réponse du compagnon de Jenny, du moins elle suppose qu'il l'est vu comment il caresse avec douceur ses épaules, ne semble de toute évidence pas convenir.
- Comment ça il n'est pas de garde? Je l'ai vu tout à l'heure quand les pompiers étaient là. Et de plus dans une situation comme celle-ci, il n'est plus vraiment question de permanence !
- Et bien écoute. Quand tu le verras, on te laisse le soin de lui faire ton petit rappel à l'ordre. Parce que nous, on est tous là dont moi qui ne suis pas de service, donc si tu as autre chose à nous dire je t'écoute mais si c'est uniquement pour se faire engueuler à la place de Nate, je passe mon tour.
Et le grand à l'air aimable déplie son mètre quatre-vingt-dix et quelques, prêt à quitter le rassemblement.
- Pose tes fesses, Connor. Je n'ai pas fini. Et fais-moi confiance, je tiendrai Nate informé de mon mécontentement.
Il la regarde sans bouger. Il ne fait plus mine de vouloir partir mais ne se rassoit pas pour autant. Et il lui parait encore plus grand.
- Bien. Même si il n'y a pas de victimes, ni même de dommages matériels, je veux savoir exactement ce qui s'est passé ce soir. Pourquoi ça a dégénéré, où ils ont trouvé le matériel, ce qui a mis le feu aux poudres. Pourquoi ça ? Et pourquoi maintenant ? C'est pas normal que la situation puisse nous échapper aussi vite. Et surtout, j'ai pas envie de me coltiner les flics pendant deux mois à faire des rondes autour du camp parce qu'on va encore nous coller l'étiquette de danger public et que les jeunes vont encore plus s'agacer. Donc on agit et rapidement ! Je retourne à mon bureau pour régler les derniers détails administratifs. Lee, Quinn, faites-moi un inventaire de ce qui a disparu et de l'étendue des dégâts. Connor, repars en pause. Sam et Jenny, faites un tour de ronde pour voir si tout se passe bien. Et à partir de maintenant, tous les soirs après l'extinction des feux, on se retrouve pour un débrief. Pause ou pas pause. Permanence ou pas permanence. Si vous vouliez des horaires fixes et des récupérations, il fallait postuler ailleurs.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, tout le monde a évacué les lieux et elle se retrouve là, seule, quand une main se pose sur son épaule. Elle sursaute et se retrouve nez à nez avec Sam.
- Prête pour le grand tour ?
- Tu n'étais pas censé faire une ronde avec Jenny ?
- Tout à fait mademoiselle la bonne élève. Mais on t'emmène avec nous. Comme ça on joint l'utile… à l'agréable.
Il lui sort son sourire le plus charmeur. En temps normal ce genre de comportement l'agacerait au plus haut degré mais elle a tellement l'impression que ça fait des années qu'on n'a pas été gentil avec elle qu'elle pourrait presque l'embrasser. Spontanément, il lui a attrapé le bras. La sensation d'être enfin prise en main et épaulée fait qu'elle ne cherche même pas à se dégager. Jenny, a allumé une cigarette en les attendant. Elle hausse un sourcil en les voyant arriver bras dessus bras dessous.
Seules subsistent deux voitures de policie. Sans tous les gyrophares, le parc lui semble moins impressionnant. Tout comme le bâtiment où logent les ados. Si il n'y avait pas des agents en faction devant, elle en oublierait presque qu'elle est dans un endroit sécurisé. Tout ici ressemble à un camp de vacances. À l'exception faite que les touristes sont des repris de justice même pas majeurs et qu'ils allument le barbecue avec des pneus de voiture.
C'est immense. Presque trop pour seulement 14 jeunes. Mais entre les salles de cours, les chambres, les espaces communs et les appartements des éducateurs…
- Si on veut éviter la proximité, alors il faut étendre les mètres carrés.
L'explication de Jenny est logique, mais elle entend déjà les commentaires de certaines personnes affirmant que c'est bien trop luxueux pour de la “mauvaise graine”.
Ils arpentent tous les trois les couloirs et, à chaque lieu, ils lui racontent une anecdote. Généralement c'est drôle, parfois un peu inquiétant. Au fur et à mesure, elle se détend. L'atmosphère est loin d'être aussi pesante qu'elle ne le craignait. Pris individuellement dans leur chambre, les jeunes lui paraissent moins impressionnants… Peut-être que le service de sécurité aide aussi. Néanmoins pour la première fois depuis qu'elle a atterri, elle sent son pouls reprendre un rythme normal.
La visite touche à sa fin pour son plus grand regret. Elle a peur de trop réfléchir, sans le babillage de Sam et l'humour de Jenny. Elle n'est pas encore complètement certaine de vouloir rester. Et encore moins de commencer à chercher ce qui l'a conduite jusqu'au pays du monstre du Loch Ness.
- On se pose pour prendre un verre ?
Elle a envie de sauter au cou de la jeune fille pour avoir fait cette proposition. Il va falloir qu'elle se reprenne vite, parce que là, elle se sent prête à demander en mariage toute personne lui témoignant un minimum d'affection. Les dernières 24h l'ont malmenée. Ou plutôt, si elle est totalement honnête envers elle-même, ce sont les dernières semaines, mois, années qui ont entamé sa confiance en elle. Quand, petit à petit, elle a laissé tout le monde décider à sa place.
- Je te l'emprunte juste un petit quart d'heure.
Sam lui a de nouveau attrapé la main.
- Tu l'emmènes où ?
- Ça ne te regarde pas…
- Tu parles ! Je te connais. Elle est trop jolie pour que je te laisse seule avec elle.
Le jeune homme éclate de rire. Il doit avoir quoi… 30 ans ? Pourtant à chaque fois qu'il rit elle a l'impression d'avoir en face d'elle un enfant.
- Jen, Jen, Jen… Accorde moi un peu de crédit s'il te plaît. Je veux juste lui montrer le dojo et les écuries. Et au passage lui présenter Nate, si on le croise.
- Pourquoi tu veux lui faire ça ? Tu veux qu'elle fasse demi-tour de suite ?
- Ou qu'elle ait une autre raison de s'installer ici…
- Vous savez qu'ELLE est là ?! C'est une coutume locale de parler des gens devant eux en prétendant qu'ils n'entendent pas ?
Elle est intervenue une fois de plus un peu plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu mais elle se sent déjà invisible alors si en plus les gens ne prennent pas en compte sa présence, elle ne va pas s'en sortir ! Mais de toute évidence, ils ne lui en tiennent pas rigueur.
- Allez, suis moi.
Il l'entraîne et elle se laisse guider sur les recommandations de Jenny.
- Fais attention à lui Alessandra, ne le laisse pas te faire son numéro de charme ! Par contre Sammy, bonne idée de lui tenir la main. Si vous croisez Nate, ne la lâche surtout pas…
Alors qu'ils s'éloignent, elle se détache doucement et il a la délicatesse de ne pas retenir.
- Je peux te poser une question ?
- Bien sûr… Mais je te préviens tout de suite, la réponse est bien trop complexe pour que je puisse répondre en une soirée.
- Tu sais déjà ce que je vais te demander ?
- Absolument. Et si j'étais à ta place, je suis persuadé que je ferai exactement pareil. Ou plutôt je rectifie, quand j'ai été à ta place, j'ai fait exactement pareil.
- Tu es là depuis combien de temps ?
- Trois ans. Ce n'était pas exactement la même équipe mais il y avait déjà Lee, Brianna, Connor et bien évidement Nate. Et après 4h sur place, je faisais le même tour que toi mais avec Lee et j'ai formulé les mêmes interrogations.
- Alors vas-y, je t'écoute monsieur le devin.
- Si tu étais une fille sensée tu me demanderais si je suis célibataire et comment tu peux t'y prendre pour me séduire. Ce à quoi je répondrais que je ne suis pas un homme facile mais que si tu insistes je veux bien coucher dès le premier soir.
Elle éclate de rire et il lui fait un clin d'oeil avant de continuer.
- Mais vu le contexte et le sujet principal de la soirée et de toutes les soirées, ou presque, d'ailleurs… Et surtout vu que je viens de te dire que j'avais posé la même question à Lee il y a de cela 36 mois, ce n'est pas ça. Donc, tu vas me demander qui est Nate.
Elle accuse le coup. Écarquille les yeux.
- Je ne me suis pas trompé n'est ce pas ?
Elle acquiesce, sa curiosité encore plus exacerbée.
- Alors si c'est Brianna que tu interroges mais, un conseil d'ami, évite le sujet, elle fera semblant de n'évoquer que son côté insouciant mais pro. Elle parlera de tout ce qu'il met en place pour et avec les jeunes et elle omettra de te dire que, plusieurs fois par semaine, elle s'envoie en l'air avec lui dans son bureau. Qu'il ne lui a jamais rien promis mais qu'elle y croit quand même. Si tu demandes à Quinn, elle te dira que c'est un petit con arrogant qui n'est là que parce qu'il couche avec Brianna et elle oubliera de mentionner qu'elle est amoureuse de lui et qu'elle ne supporte pas l'idée qu'il s'en tape d'autres. Oui oui ma chère, d'autres avec un S. Jenny te dira que c'est vraiment un mec bien tant que tu ne tombes pas sous son charme et surtout qu'il fait du super bon boulot avec les gosses. Ce qui est vrai. Lee et Connor eux, axeront leur discours sur ses titres en street fight, sa capacité à descendre du whisky sans ciller et surtout, eux aussi, ne tariront pas d'éloges sur sa capacité à tirer le meilleur d'un môme même, ou plutôt surtout, si celui-ci arrive en miettes.
- Et toi ?
Malgré elle, elle a chuchoté, la gorge sèche. Ce type l'intrigue.
- Ah moi… Je te dirai que ce type est un sinistre connard. Mais que c'est aussi le mec le plus génial que j'ai rencontré. Que j'ai très souvent envie de lui coller mon poing dans la figure et que seule la trouille de me faire passer à tabac me retient. Mais que j'ai surtout envie de bosser le plus longtemps possible à ses côtés. Parce qu'il a une vraie part d'humanité. Il est entier. Il ne sait même pas ce que veut dire tricher.
- Et pourtant, il passe son temps à tromper ses copines !
Elle a argumenté plus vite qu'elle ne voulait. Elle ne sait même pas pourquoi ça l'a fait réagir aussi vivement.
- Tu ne m'as pas compris Aly… Je peux t'appeler Aly au fait ?
Elle hoche la tête rapidement, en attente de la suite.
- Il ne trompe personne. Il est honnête dès le départ. Il ne couvre personne de fleurs, de déclarations ou de promesses à la con. Les filles avec qui il couche le savent dès le départ. Il ne s'attache pas. Jamais. Et il n'a absolument pas envie de le faire.
- Mais pourquoi ? Tout le monde veut s'attacher un jour.
- Pour vouloir s'attacher, il faut s'aimer un minimum, tu ne crois pas ? Et le plus grand détracteur de Nate ma jolie, c'est Nate lui-même. Ce type est un mélange parfait de confiance absolue en lui et de mépris envers lui-même. Mix totalement détonnant. Mais un conseil… Manipule-le avec précaution, et ne te fais pas de fausses idées.
- De toute façon, je ne suis pas libre.
- Hum je vois… Tu as déjà craqué sur moi, c'est ça ? Je vais prendre ça comme une preuve de ton insistance et être obligé de te céder. On fait ça où ? Dans ton lit ? Dans le mien ? Dans les bois.
Elle rit de nouveau. Un rire franc, sincère. Il y a quelque chose chez lui qui la met à l'aise.
- Non désolée… Je suis fiancée.
Elle agite son doigt autour duquel trône cette bague qu'elle n'a jamais aimée mais qu'elle n'ose pas enlever. Trop imposante, trop lourde.
- Tu es à peine majeure ! Et surtout à des milliers de kilomètres de chez toi. Je te promets que je ne dirai rien. Mais en attendant je te fais rentrer dans l'antre de la bête… C'est là qu'il prépare les gamins au combat.
- Ce n'est pas “absurde” de leur apprendre à se battre ? Ce n'est pas leur donner une arme de plus ?
- Ah… Le débat permanent. Il faudra que tu évoques ça avec lui un jour. Sa théorie sur le sujet est très intéressante. Et pour le moment, elle a toujours fait mouche.
Le Dojo est vide… L'odeur qui s'en dégage est prenante. Le jeu des miroirs aussi. Soudainement, elle se sent moins sure d'elle et elle remercie Sam de ne pas s'attarder. Il y a quelque chose dans ce lieu qui la met mal à l'aise mais elle n'arrive pas à mettre le doigt dessus.
- Bon il n'est pas là. Je te montre les écuries et je te ramène auprès de Jenny pour boire un verre avant d'aller te border.
Elle ne sait pas si c'est à cause de la pluie, de l'absence de pollution ou simplement de son état de fatigue mais jamais son odorat n'a été aussi développé. Le purin, la paille, elle pénètre dans un tourbillon olfactif.
- Je te laisse regarder les bestiaux… Ca séduit toujours les filles… Je fais le tour par derrière voir si je vois le grand manitou.
Elle s'attarde devant les boxes, impressionnée par la taille et le nombre de chevaux. Elle a beau savoir que l'équitation est un des points forts de ce programme, elle ne s'attendait pas à un tel cheptel équin. Elle laisse son regard voguer sur les noms : Ellington, Ness, El padre, Tarantino, Miro… les influences sont nombreuses. Soudain elle est interpellée par un bruit sourd, comme un cri étouffé. Avant même de prendre le temps de réfléchir, elle fonce vers la source. Mais la situation lui échappe à l'instant même où elle parvient à en identifier la cause.
Chapitre 3
« Je ne sais plus qui je suis. Ou plutôt je ne veux plus être qui je suis. »
- Extrait du journal de E
Arrêt sur image..
En face d'elle se déroule une scène étrange. Indécente mais dont elle n'arrive pas à se détacher. Une fille se tient là, collée contre un des box à chevaux, la jupe relevée. Elle a passé ses bras autour d'un pilier pour ne pas tomber. Ses cheveux roux en bataille s'échappent d'un chignon rapide et se collent parfois à son visage en sueur. Sa bouche entrouverte gémit sous l'assaut de la personne qui lui fait face. Un homme est en train de la prendre, sauvagement, lui arrachant des cris de jouissance qui font monter le rouge aux joues d'Alessandra.
Elle sait qu'elle devrait regarder ailleurs. Partir même et les laisser. Mais elle est comme hypnotisée par l'érotisme de la scène. Par les muscles saillants de l'homme même au travers de son T-shirt. Par cette assurance et cette maîtrise avec laquelle il est en train de faire grimper sa partenaire au summum du plaisir. Elle regarde ses mains, fortes, viriles qui s'accrochent aux fesses de sa partenaire. Son ventre se crispe. Elle n'a jamais assisté à rien d'aussi impudique.
Soudainement elle réalise que l'homme la regarde. Il s'est rendu compte de sa présence et la fixe, droit dans les yeux sans cesser ses coups de reins qui provoquent un orgasme phénoménal et sonore chez sa partenaire. Elle se tétanise quand derrière elle une voix retentit.
- Aly ? Je suis désolé mais je ne trouve pas Nate.
La jolie rousse tourne alors la tête vers elle au moment où Sammy rentre lui aussi dans leur champ de vision.
- Ah si en fait… Il est là. Salut Kathleen.
La jeune femme n'a pas l'air plus perturbée que ça. Elle a encore le regard flou empreint du plaisir qui vient de la surprendre. Elle réajuste ses vêtements.
- Salut Sammy, tu vas bien ?
Le jeune homme rigole.
- Apparemment moins que toi, mais oui ça va, merci de demander.
Elle se tourne vers l'homme qui lui n'a pas bougé d'un centimètre, à peine pour se reboutonner et qui vient de s'allumer une cigarette. Elle hésite un instant comme si elle envisageait de l'embrasser mais se ravise.
- Salut Nate. Merci pour cette soirée.
- Tu veux que je te ramène ?
- Non, je vais me faire déposer par une des voitures de police. Ça sera plus rapide.
Elle s'apprête à sortir mais, au dernier moment, elle se retourne vers Aly en lui tendant la main.
- Moi c'est Kathleen.
Elle hésite un instant, encore sous le choc puis fini par saisir la main qui est devant elle.
- Alessandra.
- Enchantée Alessandra.
Présentation officielle dans un contexte à la limite du surréaliste. La demoiselle, elle, a déjà tourné les talons d'une démarche fluide, presque aérienne. Sammy ne cesse de sourire. Comme si tout ceci était follement amusant. L'homme continue de la regarder avec ce regard pénétrant, insondable. Il ne lui a toujours pas adressé la parole et ne semble pas décidé à le faire. C'est son guide qui rompt le silence.
- Nate, je te présente Alessandra McLain, notre nouvelle stagiaire. Alessandra je te présente Nate. Le seul et l'unique.
Il la dévisage, laisse son regard descendre sur tout son corps comme si il la déshabillait. Quand il a fini son inspection, il se tourne vers Sammy.
- Ils recrutent à la sortie du collège maintenant ?
Et il s'éloigne avant même qu'elle ne puisse répliquer.
Elle reste figée comme si son cerveau n'avait rien intégré de la scène. Encore troublée par ce qu'elle vient de voir. Choquée par sa désinvolture. Vexée par sa réplique.
Il lui faut quelques secondes avant de comprendre que Sam l'appelle.
- Aly ? Tu es toujours là ?
Elle se force à redescendre. À chasser les images de leurs deux corps en pleine action. À oublier le timbre de sa voix qui l'a faite frissonner.
- On va le boire ce verre ? Je crois que tu as besoin d'une bonne dose d'alcool.
- Je ne bois pas.
Elle a répondu machinalement. Alors que ce n'est pas vrai et que, surtout depuis tout à l'heure, elle n'attend que ça, de trinquer avec eux, d'apprendre à mieux les connaître en discutant, là elle a juste envie de réintégrer sa chambre. Ou mieux. De récupérer sa valise et de rentrer chez elle. Ces gens sont fous.
- Peut-être mais là je pense que c'est pas négociable. Tu es livide ma jolie. C'est l'effet Nate ça. Tu verras, quand on le connait…
- J'ai pas spécialement envie de le connaître mieux. La première impression m'a suffit.
- Pas envie de te rincer l'oeil à nouveau ?
- Je ne me suis pas rincée l'oeil. J'ai assisté malgré moi à une scène dont je me serais volontiers passée.
Elle sent bien que ses réponses sont agressives. Mais elle n'arrive pas à contrôler sa colère. Elle s'est sentie salie, humiliée. Pourtant si elle est rationnelle, il n'y a rien eu de dramatique. Il aurait suffi de rien pour qu'il désamorce la situation. Pour qu'elle puisse trouver ça drôle même. Mais son attitude supérieure presque perverse lui a retourné le ventre.
- Allez viens… Je plaisantais.
Il a repris une voix douce.
- Il est parfois déboussolant… laisse passer du temps. Et au pire, je te prends sous mon tutorat et je fais en sorte que tu n'aies pas à l'approcher. Deal ?
Elle laisse retomber la pression d'un cran et répond à sa gentillesse avec le maximum de conviction possible.
- Deal.
- Tu retournes auprès du feu avec moi alors ?
- De toutes les façons, je n'ai pas le choix. Je n'ai ni ma valise, ni les clés de ma chambre.
- Ah mais on ne t'a pas dit ? Ya pas de clé aux chambres.
- Pardon ?
Si c'est vrai, ça ne va pas fonctionner. Elle tient à son intimité par dessus tout. Et puis elle a besoin de pouvoir se lancer dans ses recherches sans se demander à tout moment si quelqu'un va venir fouiller dans ses affaires.
- Ya pas de clés aux chambres. Ça nous permet de passer de l'une à l'autre sans avoir à demander l'autorisation. Ça facilite l'échangisme et les relations sexuelles. On ne t'a pas parlé de ça pendant ton entretien ?
Elle éclate de rire et relâche définitivement la pression. Après tout, c'est idiot de se formaliser pour si peu. Elle n'est ni vierge, ni effarouchée. Le temps de revenir à leur lieu de rendez-vous, elle a retrouvé son calme. Pourtant elle accepte quand même la bière qu'on lui tend. Pour rentrer dans le moule peut-être. Parce qu'elle sent que ça lui fera du bien aussi.
- Alors cette petite promenade ?
- Elle est tombée sous mon charme ça y est !
- Je comprends mieux pourquoi elle a besoin de boire alors !
La voix de Quinn est tranchante. Ce qui pourrait passer pour une plaisanterie ressemble plus à une attaque. Le sourire de Sam prend pour la première fois une teinte sarcastique.
- Rien à voir avec moi. Elle vient de surprendre Kathleen et Nate en pleine action, forcément ça chamboule.
En face le visage se décompose et elle ne peut s'empêcher de penser que les mots étaient choisis. Il a voulu la toucher et il a réussi. Lee lui éclate de rire, pendant que Jenny se mord l'intérieur des joues pour ne pas le suivre.
- À ton dépucelage Natien… enfin si je peux me permettre l'expression. Au moins te voilà prévenue, il est des heures et des endroits où il ne faut pas se promener la nuit jeune demoiselle.
Connor a levé sa bouteille et l'entrechoque à la sienne.
- Au fait je ne me suis pas présenté. L'ambiance, la réunion, la leçon de morale… Tout ça, tout ça… Je m'appelle Connor et je suis en charge, ici, de tout ce qui touche aux repas et accessoirement, je donne aussi des cours de cuisine.
- Dis plutôt que tu nous exploites oui.
- Chère Jennifer, je ne t'exploite pas…J'essaie de te transformer en véritable esclave.
- Et ce pour mon plus grand bonheur. Moi c'est Lee et je tente, à mon échelle, de faire cohabiter animaux et animaux. Ou plutôt les jeunes et les chevaux. En essayant que les premiers ne traumatisent pas les seconds.
- Après ce qu'ils ont vu ce soir…
- Oh non sérieux ?! Il ne peut pas faire ça ailleurs que devant mes bébés…
- Quinn ? Tu t'en vas déjà ?
La voix de Sam stoppe la jeune femme dans son élan. Quelques centièmes de secondes. Puis elle reprend son chemin sans même se retourner. Jenny le dévisage sévèrement.
- Sérieux Sammy… Fous-lui la paix.
- Quoi ? Qu'est ce que j'ai fait ?
- Tu sais très bien… C'est pas parce qu'elle ne montre rien qu'elle ne souffre pas.
- Je prendrai en compte sa douleur le jour où elle arrêtera de se comporter comme une garce.
- Tu sais que c'est une carapace.
- Alors considère que ma manière d'agir en est une aussi.
- Elle est amoureuse de lui…
- Oui enfin si toutes les filles amoureuses de Nate se mettent à devenir exécrables, on n'est pas sortis de l'auberge.
- Je vais finir par croire que tu es jaloux…
Elle a prononcé sa dernière phrase presque comme une confidence et elle le voit se renfrogner.
- Je fus jaloux mademoiselle… Mais c'est du passé. Je voudrais juste qu'elle arrête de prendre tout le monde de haut et de prétendre être ce qu'elle n'est pas.
- Prends des notes, Alessandra, parce que sinon tu ne te souviendras pas de tout. Si tu veux, je tiens un carnet à jour avec qui a couché avec qui… Les lieux, les horaires, les conséquences… Il est rangé entre le poivre et l'huile d'olive dans ma cuisine. N'hésite surtout pas à le consulter. Ça t'aidera au quotidien.
- Des fois, Connor, tu me fais peur avec cette histoire de carnet… Je me demande quelle est la part de vérité dans tout cela…
- Ne t'inquiète pas Lee… Personne ne sait que tu es en couple avec Jen. Ton secret est bien gardé.
Les rires fusent pendant que Lee se tourne vers Jenny pour l'embrasser sans retenue.
- Me voilà rassuré.
Les discussions reprennent. Elle participe en essayant de rester le plus naturel possible. Elle aurait besoin de mettre son cerveau sur off. Le flot d'informations depuis son arrivée est trop important. Les liens entre les gens, leurs relations, leur passé, il faut réussir à prendre tout cela en compte. Malgré elle, elle ne peut retenir un bâillement.
- Oh… On a une demoiselle fatiguée à ma droite. Jen ? Tu me passes les clés que je lui porte ses valises ? J'essaie de remonter le niveau masculin en me la jouant gentleman.
Jennifer lui jette le trousseau et Aly suit Sammy après avoir souhaité une bonne nuit à tout le monde.
Le calme du parc contraste avec l'ambiance animée du feu de camp. Elle perçoit tous les bruits. Le craquement des cailloux sous ses pieds, le hennissement des chevaux au loin, les animaux dans la forêt. Elle prend pour la première fois conscience qu'ils sont loin de tout. Et elle ne sait pas encore si ça la rassure ou si au contraire ça l'inquiète.
Sa chambre se trouve au même niveau que celles des éducateurs. Bien malgré elle, elle se demande si celle de Nate est loin. Son regard planté sur elle pendant qu'il faisait l'amour à une autre ne la quitte pas alors que Sam dépose ses valises par terre.
- C'est spartiate mais tu verras on s'y fait rapidement.
Elle parcourt des yeux ce qui va être son “chez elle” pendant 8 semaines. Un lit, des murs blancs, rien de personnel… Elle regrette presque de ne pas avoir emporté quelques photos avec elle. Ou au moins une peinture de Melly.
Il s'apprête à quitter la chambre quand il fait demi-tour et prend sur la commode un cahier qu'il lui remet.
- Tiens. C'est la tradition ici…
- Qu'est ce que c'est ?
- Un journal de bord.
- Celui de Connor ?
- Non. On a trouvé ça sous une latte de parquet en faisant les travaux, il y a 5 ans. Ça a été écrit de toute évidence par une pensionnaire mais on ne sait pas quand exactement. Ce qui fait que le mystère reste entier sur l'auteur et les protagonistes de l'histoire. Mais tout le monde a sa théorie. Et si tu veux t'intégrer, il faut le lire… Et ensuite nous exposer quelle est la tienne.
Elle effleure du bout des doigts les pages jaunies par le temps et soulève la couverture.
« Journal de E. - Camp Mc'Arey. »
- Par contre, ne veille pas trop tard. Demain, on est sur le pont à 7h00. Je t'emmène avec moi si tu veux.
- Avec plaisir...
A peine est-il sorti de la pièce qu'elle se déshabille pour prendre une douche. Des heures qu'elle en rêve. Elle laisse couler l'eau longtemps sentant ses muscles se détendre un à un. Elle n'a que rarement vécu une journée aussi longue. Alors qu'elle vérifie l'heure sur son téléphone, elle se rend compte qu'elle n'a prévenu personne de son arrivée. Et les 25 appels en absence lui signifient que de l'autre côté de l'Atlantique l'accueil risque de ne pas être bon.
Lâchement elle envoie un mail à Christopher et un autre à sa mère. Presque le même contenu. Quelques mots d'amour en plus qui sonnent faux dans l'un, malgré elle.
Je viens juste de récupérer mes bagages.
Une sombre histoire d'incendie. Tout va bien.
Je vous raconte ça demain.
Bonne nuit.
Et elle passe en mode avion pour ne pas attendre la réponse. Elle doute déjà assez de sa place ici pour ne pas que d'autres en rajoutent.
Elle hésite à prendre son ordinateur pour relire ses notes et essayer de voir quand et où elle commencera ses recherches mais le projet ne lui a jamais autant semblé ardu. Peut-être pourrait-elle transformer une expression ancestrale et la faire sienne ? Elle ne cherche pas une aiguille dans une botte de foin mais son père dans un pays entier.
À la place elle se glisse sous les draps avec le journal intime et feuillette le journal sans vraiment bloquer son attention, quand un passage la retient.
« J'ai mal à en crever… Je refuse cette sentence prononcée par ses lèvres qui d'habitude me font tellement sourire. Pas le droit de m'aimer ? Mais comment peut on débiter des conneries pareilles. Le droit à rien à foutre la dedans merde. C'est une question de survie notre histoire.
J'ai envie de mourir… »
Alors elle se décide d'accorder à cet ouvrage tout le respect qu'elle lui doit. Et elle reprend depuis le début.
« Bonjour…
Cher journal…
Je ne sais pas comment commencer cette page. Ce n'est pas dans mes habitudes de tenir un journal intime. Est-ce que je dois m'adresser à quelqu'un tout en sachant que jamais je ne montrerai mes mots à une tierce personne ? Est-ce que je dois considérer ce carnet comme un être intelligent capable de me comprendre mais qui restera muet quoi que j'écrive ?
J'avoue que c'est cette dernière partie qui m'a motivée à piquer ce carnet dans la réserve. Il y a des choses dont j'aimerais parler mais je suis seule ici. Désespérément seule.
Alors je vais prétendre que je parle à mes copines. Ça doit fonctionner ça, non ? De toute manière, c'est moi qui fixe les règles sur ces pages. C'est bien le seul endroit où je peux le faire !
Tout a commencé il y a trois semaines.
Je passe souvent du temps avec mes amis. Enfin je passais. Parce qu'un jour, ma mère a décidé de m'envoyer ici, au Camp Mc'Arey autrement nommé le Camp de l'Enfer.
Si vous voulez mon avis, sa réaction a été surdimensionnée. Elle n'a pas compris. Personne n'a compris. Ils n'ont même pas essayé...
Le monde s'ouvre, les mentalités changent, … Mais non. Chez nous, on continue à juger l'autre sur son apparence et à prendre des raccourcis rapides. Ma mère a toujours été la première à me dire de ne pas juger un livre à sa couverture. Et pourtant, dès que l'occasion s'est présentée, elle a placé Todd, un de mes meilleurs amis, dans la catégorie des gens non fréquentables.
- Je m'en doutais. Tes notes baissent, tu passes ton temps hors de la maison et maintenant je te retrouve à traîner avec ce… dégénéré ! Pas besoin d'apprendre à le connaître pour savoir qu'il trafique certainement des choses pas claires. Tu peux t'estimer heureuse que je sois intervenue, encore un peu et tu finissais droguée à te prostituer dans une de ses fêtes de débauchés. Tu ne reverras plus ce jeune homme, compris ?
Elle nous a surpris au fond du jardin, sous le saule pleureur. Nous étions tranquillement assis en train de discuter. Elle n'était même pas censée être à la maison ce jour-là, elle avait rendez-vous avec la bande de commères du village comme chaque jeudi après midi. Ces vipères passent une après-midi par semaine à décrypter les faits et gestes de chacun et à classer la population locale dans des catégories. Si vous êtes comme elles, vous finissez dans la catégorie « fréquentables ». Si vous êtes mieux, vous êtes déjà suspect car vous avez certainement quelque chose à cacher, donc vous êtes des « intriguants ». Après il y a ceux qui ont fait des erreurs, qui se battent pour s'en sortir et dont elles attendent la rechute, les « rescapés ». Et enfin, il y a les « irrécupérables » qui englobent tout ceux qui ne trouvent pas grâce à leurs yeux. Autant dire qu'il y a du monde dans cette dernière. Le moindre fait de porter une cigarette à vos lèvres vous y propulse directement.
C'est ça qui a perdu Todd. Et son blouson en cuir noir, même s'il est à la dernière mode et qu'il lui a coûté la totalité de ce qu'il avait gagné pendant les vacances. La bière qui se trouvait entre nous n'a pas aidé non plus...
On ne faisait pourtant rien de mal, simplement assis à discuter. Il était presque quatre heures, Todd était passé un peu trop tôt pour m'accompagner à la répétition du groupe alors on s'était simplement posés en attendant. Je ne joue pas mais j'adore aller les voir s'exercer, il y a une énergie spéciale qui se dégage lorsque chacun est concentré sur son instrument, une ambiance presque magique. Dès que les premières notes flottent dans l'air, je m'envole vers un autre monde. Qu'est-ce que ça me manque… Ma mère m'aura aussi privé de ça…
Bref, ça s'est soldé par une punition interminable. Interdiction de sortie, corvées, devoirs surveillés, … Et bien évidement, je n'avais plus le droit de voir Todd. Je ne sais pas vous mais quand on m'interdit quelque chose sans raison valable, ça marche rarement. J'ai revu Todd comme je le faisais avant que ma mère ne découvre son existence à la différence près que je faisais un peu plus attention à la maison et que mes devoirs étaient à jour. Je pensais que ça suffirait. J'avais tort.
Un soir, j'ai dis à ma mère que j'allais dormir chez ma copine Sarah. Ça avait déjà marché plusieurs fois. Elle avait déjà rencontré Sarah devant le lycée et c'est le genre de fille qui termine dans la catégorie “fréquentable” sans avoir à produire le moindre effort. Depuis, elle me servait d'alibi à chaque fois que je voulais aller à une fête. Nous n'étions même pas vraiment amies à vrai dire, j'étais assise à côté d'elle en littérature, rien de plus. Je suis donc allée à cette fête. Il y avait Todd, le groupe et plusieurs autres personnes que je croisais régulièrement. La maison appartenait à l'un d'entre eux, j'aurais été incapable de dire qui. L'ambiance était sympa, la musique un peu forte et certains avaient un peu trop bu, d'autres trop fumé. Mais rien qui ne sortait de l'ordinaire. C'était une fête banale entre adolescents.
Tout a basculé quand la police a débarqué. C'était la panique, tout le monde se bousculait. Moi, je suis restée figée, je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Ce n'est que lorsque j'ai senti le métal froid envelopper mes poignets que je me suis débattue. En vain. J'ai fini au poste sans savoir pourquoi.
Je n'ai jamais fumé, ni pris de substances illicites. Le plus grave que j'ai pu faire, c'est boire quelques gorgées de bières et je sais très bien qu'on arrête pas les gens pour ça. Autour de moi, sous la lumière des néons, j'ai découvert les visages d'autres adolescents qui étaient à la même fête. Ils avaient l'air aussi perdus que moi.
Ma mère a été la première à débarquer. C'est en voyant son expression que j'ai compris qu'elle n'était pas surprise de me trouver là. Elle savait déjà avant même que les policiers ne l'appellent. Il y avait de grandes chances que ça soit elle qui les ait prévenus. Toutes ces journées où je pensais tromper sa vigilance après l'affaire Todd, j'étais en réalité sous la surveillance de la bande de commères. L'une d'entre elles a du apprendre pour la fête et s'empresser de partager l'information avec ma mère qui avait décidé de me donner une leçon.
Sauf que ça ne s'arrête pas là… Ils auraient pu me donner un avertissement et me renvoyer à la maison. À la place, ils m'ont gardée pendant des heures, planté une aiguille dans le bras, demandé un échantillon d'urine, pris les empreintes et fait des photos. Un agent m'a interrogé en présence de ma mère qui était furieuse de ne pas pouvoir le faire elle-même. Et on nous a expliqué. Dans une des chambres, un des invités que je ne connaissais pas était en train de faire une overdose quand la police est arrivée. À l'étage circulaient des drogues dont j'ignorai l'existence et il m'a fallut du temps pour le faire comprendre à la personne qui me posait les questions. Ma mère, elle, n'a jamais voulu me croire. Malgré mes analyses parfaites à quelques degrés d'alcool ridicules près.
Quand ils lui ont proposé un choix concernant ma sentence, elle n'a pas hésité une seconde. Pour elle, j'étais devenue une délinquante. J'avais basculé chez les “irrécupérables” et à défaut de me faire revenir chez les “fréquentables”, elle comptait bien m'inscrire au registre des “rescapés”. Après une longue discussion avec le juge elle a réussi à persuader tout le monde que j'étais sur une pente glissante et que je ne m'en sortirai pas. A moins que l'on ne “casse ma rébellion dans l'oeuf”. Alors quand ils lui ont parlé de suivi à domicile, je l'ai vu pâlir. L'idée même que sa propre fille soit l'objet de commérages encore plus importants était impensable. Alors elle a pris sa voix doucereuse et a demandé si, par hasard, il n'y avait pas moyen de me mettre dans un de ces endroits surveillés, pour “quelques temps seulement, le temps qu'elle se reprenne”. La juge, qui devait faire, elle aussi, partie d'un clan de commères adeptes de la “bonne conduite” a sauté sur l'occasion et lui a parlé du Camp.
- On l'y place pour 6 mois et selon son attitude on avise, cela vous va ?
Ma mère a souri en tapotant ses yeux du bout de son mouchoir… Elle a pris la feuille grise, sinistre avec tous les renseignements. Dans la voiture, elle n'a pas décroché un mot. À la maison non plus. Elle m'a juste demandé de faire mon sac.
Je me suis allongée sur mon lit et j'ai attendu que le temps passe. Immobile. Abattue. Excédée, elle a elle-même choisi mes futurs vêtements de bagnard avant de mettre la valise dans la voiture.
- Mets ton réveil. On part à demain 7h tapantes. et ne t'avises pas d'essayer de t'enfuir, ton père à mis des alarmes aux fenêtres.
Je l'ai regardée incrédule, cherchant quelque part un brin d'affection maternelle… en vain.
Le lendemain devant les grilles, elle m'a juste serré dans ses bras en m'assurant qu'elle faisait ça pour moi. Je n'ai même pas réussi à réagir tellement j'avais l'impression de m'être déconnectée de mon propre corps.
Ca fait maintenant une semaine que je suis là. Je n'adresse la parole à personne, j'assiste à ce qui est obligatoire, je prend mes repas et je rentre dans ma chambre dès que j'en ai l'occasion.
C'est Tess qui m'a conseillé de commencer un journal intime. Il paraît que beaucoup de jeunes en font ici. Tess, c'est une des éducatrices. A force de me voir muette dans mon coin, elle s'est inquiétée. Elle m'a convoquée dans son bureau pour savoir ce qui n'allait pas. Je n'ai pas décroché un mot. Je ne cherche pas de l'attention. Je voudrais juste retrouver ma vie. Mais ça elle ne peut pas le savoir si je ne lui dis pas.
- Je ne te forcerai pas à parler mais je veux que tu te sentes bien ici. Ce n'est pas une prison, tu devrais trouver un moyen de t'ouvrir aux autres. Ou au moins d'exprimer ce qui te pèse sur le coeur. Beaucoup commencent par un journal intime, peut-être que tu devrais essayer ?
Quelque chose me dit qu'elle en a lu quelques uns de ces journaux et qu'ils ne sont pas si intimes que ça. Hors de question que je cache ce carnet sous mon matelas. Je vais le garder avec moi tant que je n'ai pas trouvé la cachette idéale. Et une fois sortie du Camp de l'Enfer, je le détruirai. »
Elle voudrait poursuivre mais elle sent ses yeux se fermer malgré elle…
Chapitre 4
« J'ai toujours considéré les animaux comme venus tout droit des enfers. En voir ici ne m'avait pas surprise. Par contre, apprécier autant une escapade à cheval, si… »
- Extrait du journal d'E.
Il a eu du mal à s'endormir. Même sa séance dans les écuries avec Kathleen n'a pas réussi à lui vider le cerveau. Peut-être parce qu'ils ont été interrompus. Même si en toute honnêteté la prendre sauvagement en fixant la jeune stagiaire dans les yeux a plutôt eu tendance à décupler son excitation. L'espace d'une seconde, il s'est imaginé que c'était elle contre le pilier. Ses fesses à elle qu'il malaxait avec force. Il se demande si elle est du genre à être expressive ou au contraire timide et mijaurée. Mais cela restera de l'ordre de l'interrogation. Elle est trop jeune et sûrement trop fragile. Le genre à s'attacher et à pleurer. À faire des histoires. Bref… Pas le bon plan.
Non ce qui l'a empêché de dormir, c'est cette histoire de rébellion et de pneus brûlés. Ça avait l'air plutôt calme dernièrement. Comment il a pu passer à côté d'un truc pareil ?
Tandis que l'eau coule sur lui, il se demande comment il est censé gérer le truc. En les séchant à l'entraînement ? En leur faisant cracher leurs poumons ? En leur montrant que si ils ont cru en avoir bavé jusque là c'était juste une impression ? Ou au contraire en les ignorant. Leur montrer le peu d'intérêt qu'il porte à ce genre de mascarade.
Il passe un T-shirt et un jean, enfile ses chaussures dans le couloir et tombe nez à nez avec l'américaine en transit. En la voyant rougir, certainement au souvenir de la soirée précédente, il est presque tenté d'appuyer son regard. Mais une alarme retentit dans son cerveau. Il ne sait pas pourquoi mais il sent que jouer avec elle pourrait s'avérer dangereux. Alors il se contente de passer devant elle, en la saluant d'un bonjour rapide et en croisant les doigts pour ne pas la recroiser de suite sur son chemin. Mais bon… Connaissant Brianna peu de risques qu'elle lui colle dans les pattes une minette pareille.
Donc il est là, la chambre juste à côté de la sienne. Mur mitoyen. La douche qu'elle a entendue couler au réveil, c'est la sienne. Et avant même qu'elle se reprenne, son cerveau lui envoie des images de son corps nu. Elle rougit instantanément et vu comment il lui passe devant, à coup sûr il l'a grillée. Et merde. Déjà qu'elle n'a quasiment pas dormi, elle sent que la journée va être longue.
Le journal de E. l'a retournée. Elle s'est forcée à le poser au bout d'un moment mais depuis tout tourne en boucle dans sa tête. Qui est cette jeune fille ? Qu'est-elle devenue ? A-t-elle réussi à s'intégrer ? Elle ne veut pas brûler les étapes mais la première phrase qu'elle a vraiment lu la perturbe. “J'ai envie de mourir”... Comment peut-on aimer à ce point ? Elle essaie de se rappeler ses différentes amourettes avant Christopher mais aucune ne lui a procuré ce type de sentiment extrêmes. Et si Christopher la quittait maintenant ? Aurait-elle envie de mourir ? Aurait-elle “mal à en crever” ? Elle en doute. Et le malaise qui l'étreint à chaque fois qu'elle pense à lui se ravive. Peut-on au bout d'un moment n'aimer que par habitude ?
Elle essaie de se recomposer un visage dénué de stigmates insomniaques et tente de retrouver son chemin vers la salle de déjeuner dans le dédale des couloirs.
Quand elle y parvient ils ont presque tous terminé. Le planning est fait et ils sont sur le départ.
Elle murmure un vague :
- Désolée je me suis perdue.
Brianna lui jette à peine un regard, Quinn par contre la fixe hautaine pendant que Jenny et Lee lui sourient. Sammy, juste derrière, lui tend un café et une sorte de gâteau étrange.
- Tu passes la journée avec moi. C'est pas une aubaine, ça ?!
Elle lui rend son sourire le plus sincèrement possible.
- On commence par quoi ?
- Aujourd'hui on met le nez dans les comptes.
- Pardon ?
- Mon job à moi ici, c'est d'apprendre aux jeunes à gérer un budget mais aussi à faire en sorte que l'on ne soit pas nous-mêmes dans le rouge.
- T'es comptable ?
- Oh mon dieu… Dans ta bouche cette phrase est anti-sexy au possible.
- J'ai pas dit ça.
- C'est sûr que c'est moins “youhoooo” que Professeur de Street Fight.
Elle lève les yeux au ciel.
- Pourquoi tu ramènes tout à lui en permanence ?
- J'anticipe, poupée.
- Poupée?
- Quoi ? Le surnom ne te plaît pas ?
- Je ne sais pas. Mais si tu tentes de le réutiliser, il est possible que je prenne des cours de Street Fight justement pour te faire passer l'envie.
Il lui prend la main dans un geste qui finit presque par devenir naturel.
La matinée se passe de façon studieuse. Elle essaie de comprendre les chiffres. De suivre le fil de sa pensée. C'est étrange cette plongée dans un univers si loin du sien. Et pourtant, elle intègre vite à quel point c'est indispensable. Un centre comme celui-là ne vit pas d'amour et d'eau fraîche. Ou plutôt, si elle en croit ce qu'elle boit, depuis hier “de sexe et d'alcool”. La notion financière a sa place. Elle ne voit pas l'heure passer quand soudain des éclats de voix retentissent. Elle se crispe. Sam lui se contente de sourire.
- Chut… Ne dis rien et écoute. Ça va devenir très instructif.
Elle lui lance un regard interrogateur quand peu à peu les phrases de l'autre côté du mur deviennent explicites.
- Ce n'est pas toi qui décide, Nate. Tu ne peux pas faire ce que tu veux ici. Il y a des règles.
- Je m'en cogne des règles. Ce tournoi est important et il doit le faire.
- Tu n'auras jamais l'accord du juge.
- Alors je m'en passerai.
- Et tu prendrais le risque de faire fermer le centre ? Juste pour un môme ?
- Non pas juste pour un môme. Pour Zack. Il lui faut un objectif. Ce tournoi en est un.
- J'ai dit non.
- Mais je ne t'ai pas demandé ton autorisation. Ni même ton avis d'ailleurs. Je te tenais juste au courant.
- Tu… Mais à quoi tu joues là ? Au cas où tu l'aurais oublié, la directrice de ce lieu c'est moi. Pas toi.
- C'est vrai ? Et bien merci de me le rappeler parce que dernièrement ce n'était pas vraiment limpide.
- Pardon ? Tu peux préciser un peu ta pensée, là ?
- Tu diriges que quand ça t'arrange. Tu n'es pas venue voir les gosses depuis quand ? Tu vis dans ta paperasse. Planquée dans ton bureau. Tu gueules pour asseoir une autorité que tu n'as pas. Tu nous prends tous de haut. Quinn, Connor, Lee… Même Sammy. Putain, ce mec tient ton centre à bout de bras. Il jongle avec les chiffres pour pas qu'on coule et toi tu ne daignes même pas le traiter avec respect ?
Elle sent à côté d'elle que le fameux héros du jour se gargarise. Elle le regarde effectuer en silence une danse de la joie et se mord les lèvres pour ne pas rire. Quand la suite l'interpelle.
- Et je te parle même pas d'Alessandra.
Elle sursaute. Elle ne s'attendait pas à entendre son prénom dans sa bouche.
- Qui ça ?
- Alessandra. Ta stagiaire. 10 jours que tu sais qu'elle va arriver et tu es incapable de l'accueillir.
- Excuse-moi mais au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, on a dû gérer un léger incident hier.
- L'incendie ? J'étais là oui.
- Ah tiens… Tu n'étais pas déjà en train de t'envoyer en l'air avec la serveuse du pub ?
- Ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas…
- Parce que tu crois vraiment que ça ne me regarde pas ?
- Oh mais oui, je le crois et je te le réaffirme. Je baise qui j'ai envie ma chère. Toi ou une autre. Je ne dois rien à personne. Si ça ne te convient pas, le marché peut ne pas être reconduit.
Le silence se réinstalle. Pesant. Elle n'ose même plus appuyer sur les touches de la calculatrice de peur qu'ils l'entendent. Quand la voix de Brianna reprend, elle est bien moins assurée.
- Tu es injuste avec moi.
- Non. Au contraire. Tu as peut-être décidé de te la jouer Dieu tout puissant dans ton bureau. Mais ne compte pas sur moi pour rentrer dans ton moule. Je ferai ce tournoi que ça te plaise ou non.
- Tu as besoin de quoi pour y aller ?
- D'une autorisation du juge pour laisser sortir Zack du camp pendant 10h.
- Pas de nuit sur place ?
- Non je gérerai l'aller-retour.
- Ok… Je t'obtiens ça. Autre chose?
- Non. Demande aux autres. Parle-leur. Sors de ta bulle. Et occupe-toi de ta stagiaire.
- Mais pourquoi son cas te préoccupe tant ?
- Son cas ne me préoccupe pas. Si tu veux mon avis, je trouve complètement absurde d'avoir fait venir une gosse, qui plus est de l'autre bout du monde, pour gérer d'autres gosses.
- Je te signale que ce n'est pas mon idée. Elle a postulé directement auprès du siège.
- Oui et bien maintenant qu'elle est là, occupe-t-en avant que sa présence ne représente un grain de sable dans l'engrenage.
- Comment ça ?
De l'autre côté du mur elle se pose la même question. Comment peut-il, en ne l'ayant vue que quelques minutes, la considérer comme un danger potentiel ?
- Elle est jeune, elle est mignonne, tu remarqueras d'ailleurs que Sammy ne s'y est pas trompé. Et ici c'est un camp composé de mecs qui en mangent des comme elle tous les matins avant même de prendre leur petit-déjeuner. Donc avant qu'elle ne se sente pousser des ailes, parte faire ses propres expériences et nous déclenche une émeute… Cadre-la.
- Tu la trouves mignonne, toi ?
- Arrête ça Brianna. Je t'assure le côté jaloux c'est tout sauf excitant.
Elle entend les pas se rapprocher, elle se fige. Le dialogue reprend et la voix de Brianna lui fait presque de la peine.
- Nate ? On peut se voir ce soir ? Vers 22H ?
- Je sais pas. Je te tiens au courant...
Il passe devant leur porte sans même les apercevoir. Elle retient sa respiration pendant encore quelques instants. Sam lui est parfaitement détendu et continue de remplir des tableaux excel. Elle a du mal à se replonger dedans et elle voit l'heure du repas arriver avec un soulagement éphémère quand elle constate que la seule place libre est à côté de Quinn et face à Nate. Elle ne sait pas où fixer son regard. Les discussions vont bon train mais elle n'arrive pas à s'intégrer complètement, une fois encore. Elle aurait presque envie de manger au calme dans sa chambre, en compagnie du carnet. Cette histoire l'obsède. Depuis ce matin, elle se demande comment une mère peut agir ainsi envers son enfant.
- Alors ? tu as fait connaissance avec E. ?
La voix de Lee semble faire écho à ses propres pensées.
- Très peu. Mais assez pour que cela m'intrigue.
- Ah le mystère de la douce E… Tu as déjà fait la connaissance de...
- Chut ! Ne la spoile pas !
C'est étrange la manière dont ils en discutent tous… Comme si c'était un simple personnage de feuilleton, alors qu'elle, elle y perçoit toute la douleur d'une ado en péril.
- Moi aussi je l'aime bien cette môme… Et souvent j'espère qu'elle s'en est sortie.
L'intervention de Connor contre son oreille la surprend. Son propos ne cadre pas avec son physique contrairement aux autres. Ils semblent presque tous être des caricatures d'eux mêmes. Entre Sammy le charmeur sapé à la dernière mode ou Jenny l'artiste en pantalon large et dread locks, Quinn la fille parfaite, hautaine et blonde, très certainement ex-cheerleader en chef. Jusqu'à Nate qui… Alors que discrètement elle s'apprête à tourner la tête vers lui, elle se rend compte qu'il a déjà disparu. Ce type est pire qu'un courant d'air.
- Ca te dit de venir en cuisine cet après-midi ?
Elle hoche la tête avec enthousiasme.
- Désolée de contre-carrer tes plans Connor mais Alessandra vient avec moi pour que je lui explique le fonctionnement exact de ce lieu. Ensuite je vous remettrai à tous un emploi du temps pour vous expliquer sur quel temps de votre planning elle interviendra. C'est un stage. Pas des vacances où l'on choisit ses activités.
Elle a prononcé sa dernière phrase en la regardant droit dans les yeux. Comme si elle lui reprochait d'être responsable de sa non prise en charge. Comme si elle lui en voulait personnellement de la prise de position de Nate dans son bureau ce matin.
- Il me reste quelques soucis à régler et je te retrouve dans mon bureau à 13h40 tapantes.
- Et en attendant ?
- En attendant, tu fais ce que tu veux. Tu es adulte, non ? Tu n'as pas besoin que l'on te chapeaute.
Quand elle se retourne vers la grande table, Sammy la regarde, l'air contrit, et Jenny lève les yeux au ciel, apparement exaspérée par le discours de leur chef.
- Ca commence à devenir pénible ses coups d'autoritarisme.
- En tout cas moi, il est hors de question que je la prenne avec moi. J'ai déjà assez à faire avec les mômes pour ne pas m'en accrocher volontairement au mollet. En plus, je suis prête à vous parier 10 livres qu'elle y connait rien en littérature. Génération internet et sms. Ca lit pas, ça surfe. Ca écrit pas, ça textote. Je me trompe ?
Le regard de la blonde sur elle la tétanise. Elle cherche quelque chose à répliquer en vain.
- Et zéro répartie avec ça. Elle est belle la relève, moi je vous le dit !
- Quinn ? ferme la.
La voix de Sam est dénuée de chaleur. Elle a presque du mal à reconnaître le timbre chantant et affectueux.
- On défend sa petite copine ?
- Je la refais plus explicitement par qu'apparement tu n'as rien compris. Ferme ta gueule. Là, maintenant. Tu avales toute ta bile et ta méchanceté à deux balles et tu fous la paix à Aly.
- Aly ? Ouhhh vous en êtes déjà aux petits noms ? Et elle, elle t'appelle comment pendant l'amour ?
Sam a sûrement continué sur sa lancée mais elle ne l'entend pas. Elle a fui. Elle a besoin de calme et de silence. Et surtout d'intimité pour pouvoir pleurer. Elle accélère le pas, droit devant elle, les yeux brouillés de larme, quand sa course est interrompue soudainement par un corps en plein milieu de son chemin dans lequel elle rentre de plein fouet.
Il s'est barré au milieu du repas. À partir du moment où ils ont commencé à parler du journal. Il ne comprendra jamais l'intérêt que peut susciter cette histoire. Ni leur enquête stupide pour savoir qui est qui ? Ce qui l'agace par dessus tout c'est que certains sous entendent que, peut-être, il est impliqué dans cette affaire. Ok, il est le seul à avoir connu le Camp à l'époque. Du temps où celui-ci était mixte. Mais à peine un an. Et surtout à cette période là, c'était Will qui dirigeait. Un ancien éducateur qui avait repris les rênes. Et franchement, la différence entre quelqu'un du métier comme ce type et une politico administrative comme Brianna est flagrante. Quand 5 ans auparavant, il lui avait annoncé qu'il partait, il avait senti de suite que les conditions de travail allaient se dégrader. Il se demande d'ailleurs pourquoi il n'a pas accepté sa proposition de partir avec lui. Il avait quoi à l'époque, 20 ans ? La peur du changement sûrement. Mais il va falloir qu'il y songe sérieusement parce que, là, tout l'épuise et surtout il n'est pas certain de supporter longtemps des scènes comme celle de Brianna ce matin. D'ailleurs, il va mettre fin à leurs rendez-vous. Elle a beau avoir un corps des plus bandants au final ses analyses permanentes et son besoin viscéral d'affection fait qu'il en retire de moins en moins de plaisir. Il n'a jamais sacralisé l'acte sexuel. Pour lui, ça n'engage pas plus que d'aller acheter du pain. Mais de toute évidence, pour Brianna, ça a dépassé ce stade-là. Et il a du mal à lui faire comprendre que la sauter sur son bureau ne l'a pas rendu amoureux.
Tout à ses pensées, il est percuté par une demoiselle qui de toute évidence fuit quelque chose.
Par réflexe, il passe ses mains autour de sa taille pour éviter qu'elle tombe. Il sent son buste qui tremblote, sa poitrine appuyée contre lui. Alors il s'éloigne légèrement pour la laisser respirer mais il garde un contact physique. Sa main posée au creux de ses reins.
- On ne court pas dans les couloirs. Ils ne vous apprennent pas ça à l'école aux Etats-Unis ?
Malgré lui, sa voix a pris une tonalité bien trop sèche. Quand elle lève son visage vers lui, il ne sait pas ce qui le surprend le plus. Ses joues baignées de larmes ou le fait que celles-ci soient toutes rouges. Il se demande si le simple fait de sentir ses mains à la limite de ses fesses lui rappelle la petite sauterie d'hier soir. Si pendant qu'elle le regarde, elle revoit Kathleen jouir.
Elle doit être maudite, elle ne voit pas d'autres explications. Il a fallu que dans sa course effrénée pour fuir les autres fous, elle tombe sur le plus dangereux d'entre eux. Et qu'en plus, elle s'affale contre lui. Elle ne sait pas pourquoi il a laissé sa main posée sur elle. Peut-être qu'il s'attend à ce qu'elle ne puisse résister ? Peut-être qu'il va lui proposer de coucher avec elle, là maintenant ? De la prendre contre le mur au milieu du couloir ? Puisque apparemment ce type ne connait pas les limites. Bien malgré elle, elle revoit le mouvement de son corps pendant qu'il envoyait sa compagne au 7e ciel. La puissance avec laquelle il empoignait ses fesses. Le va-et-vient de son sexe en elle et…
Elle vire rouge écarlate. Elle espère qu'il ne pense pas à la même chose, qu'il n'a pas idée de ce qui est train de lui traverser la tête.
Elle ne prend pas la peine de répondre à ce qu'il vient de lui dire. Elle s'écarte de lui et repart vers sa chambre. Sans même lui adresser la parole. Elle l'entend lui dire quelque chose, de toute évidence en rapport avec la politesse. Sur le même ton condescendant que précédemment. De toute évidence, il la considère comme une gamine alors qu'il ne doit pas être beaucoup plus vieux qu'elle. Pendant qu'elle s'imagine des débats sauvages, il lui explique comment marcher sans percuter personne.
Arrivée dans sa chambre, elle s'écroule sur son lit. Elle prend son téléphone et se décide à appeler Christopher. Elle a peine le temps de dire « allo » que la réponse fuse :
- Je suis en réunion.
- Je peux te rappeler vers quelle heure ?
- C'est moi qui te rappelle.
Et il a déjà raccroché. Même pas un mot doux. Même pas un « comment tu vas ? ». Elle sait que, quand il est dans le cadre professionnel, il ne s'étale jamais mais quand même. Ca fait presque 48h qu'ils ne se sont pas parlé. Elle a une voix remplie de sanglots… Il aurait juste pu faire un effort. Elle hésite à appeler Melly mais elle sait qu'elle va craquer. Et elle ne fera pas le plaisir à Brianna d'arriver les yeux encore plus rougis qu'ils ne le sont. Alors à la place, elle décide de se caler et de reprendre le journal de la jeune fille.
« C'est bien beau de commencer un journal mais je ne sais absolument pas quoi écrire dedans.
Je passe mes journées seules, je ne parle à personne, évite tout contact visuel, … C'était ennuyeux au début mais ça me permet de réfléchir à ce que je ferai une fois sortie d'ici. À commencer par me faire émanciper pour vivre ma vie comme je l'entend.
Ma mère m'a envoyé une lettre cette semaine, elle a fini directement au feu sans être décachetée. Qu'est-ce qu'elle croyait ? Qu'on allait redevenir les meilleurs amies du monde alors qu'elle m'a exilée loin de la maison ?
Si elle savait où elle m'a envoyée… Je ne parle pas mais j'écoute et la plupart des autres “incarcérés”, comme je les appelle, est coupable de ce dont on les accuse et ils s'en vantent.
Je ne suis pas comme eux, je ne veux pas le devenir. Hors de question que je me mélange à eux. Même si ça veut dire que ce stupide journal restera presque vide... »
Elle perçoit dans chacun de ces mots toute la peur et la souffrance de la jeune fille. Elle se demande pourquoi l'équipe en charge à l'époque n'est pas intervenue pour la faire sortir de là. C'est le genre de situation qui peut rapidement dégénérer, contraindre quelqu'un à fuguer ou à s'exposer à toutes sortes de dangers pour défier l'autorité. Elle jette un coup d'œil à l'horloge. Elle a encore 10 minutes devant elle avant de repartir affronter les lions. Elle peut encore lire un passage et même se remaquiller un peu pour se redonner une petite contenance. Elle a envie de reprendre plus loin dans sa lecture pour répondre à toutes les questions soulevées hier mais elle s'oblige à faire les choses dans l'ordre. Pour cette adolescente que, de toute évidence, personne n'a écouté.
« J'en reviens pas… Je croyais que Tess était de mon côté. J'aurais dû me méfier ! Elle vient de me faire le pire des coups bas. Selon elle, je dois arrêter de rester dans mon coin, je dois m'intégrer, communiquer.
Tout ce que je veux, c'est avoir la paix pendant le temps où on me force à être ici. C'est si dur à comprendre ?
Pour elle, visiblement ça l'est. Elle veut me forcer à participer. Du coup, demain, je vais devoir animer l'une des activités avec un des éducateurs. Je ne sais même pas quoi, ni avec qui. Je m'en fiche ! Croyez-moi, ça sera l'animation la plus ennuyeuse qu'ils n'ont jamais vu. »
- Aly ?
Elle reconnait la voix de Jenny au travers la porte. Bien malgré elle, elle pose le manuscrit et se lève pour ouvrir la porte.
Un énorme paquet de bonbons. Voilà la première chose qu'elle voit. Il est si gros qu'il cache toute la tête de sa visiteuse. Et ce simple geste lui fait du bien.
- Je suis venue voir comment tu allais ?
- J'ai pas encore refait ma valise si c'est la question.
- Quinn est une garce. Je la défends parfois face à Sammy parce qu'entre eux le passif est lourd mais son attitude de toute à l'heure était à vomir. Je te promets qu'on est pas tous comme ça.
Elle hoche la tête sans vraiment répondre. Elle repense au discours de Brianna, à l'attitude de Nate… Ils ne sont peut-être pas tous à mettre dans le même panier mais y a quand même une bonne dose de spécimens.
- Ce lieu t'apprendra plein de choses si tu lui en laisses le temps. Et je suis certaine que tu sortiras d'ici grandie. Et surtout, regonfle moi ton égo jeune demoiselle. On ne laisse pas les gens nous mettre plus bas que terre. On relève la tête et on prend son glaive de gladiateur pour aller tuer du lion.
Elle finit par sourire devant l'expression conquérante et caricaturale de Jenny.
- Allez va te mettre de l'eau sur la figure et je t'escorte jusqu'au bureau de notre grande chef. Il ne s'agirait pas que tu te perdes encore une fois.
- J'ai combien de temps devant moi ?
- 8 minutes et 33 secondes. Je vais fumer une cigarette dehors et je t'attends.
Elle se dépêche de se redonner une tête convenable. Détache ses cheveux, asperge son visage et se fixe dans le miroir. Jenny a raison. Elle ne se laissera pas faire si facilement.
3 minutes à peine se sont écoulées et le journal sur le lit la nargue… Allez juste une page…
« Cette animation était géniale ! Enfin… Non. Pas l'animation, c'était une vraie catastrophe. C'était un cours de musique. Tess a lu mon dossier, les conditions de mon arrestation, et elle était persuadée que je savais jouer… Ce n'est pas le cas. Et pour couronner le tout, j'ai laissé tomber la guitare qu'elle m'avait donné quand il est arrivé.
Comment le décrire… Grand, musclé et un charme défiant toutes les lois. Ah rien que de penser à lui…
Je l'appellerai Mark ici, même si ce n'est pas son vrai nom.
Donc Mark… Il devait encadrer l'activité avec moi. Le pauvre a passé son temps à essayer de rattraper mes catastrophes. Je n'ai jamais été aussi maladroite de toute ma vie. Après avoir endommagé la guitare, j'ai réussi à faire tomber un des autres “incarcérés” de son tabouret. J'ai bien cru qu'il allait me frapper d'ailleurs. Heureusement Mark était là. Il a une autorité naturelle qui fait que tous le respectent. Ca m'a sauvé la vie aujourd'hui.
Je savais que c'était une mauvaise idée que je me lie à mes compagnons mais peut-être que je vais changer d'avis vis à vis de Mark. Il pourrait être l'exception...
Bonne nouvelle ! Je crois que j'ai finalement trouvé de quoi parler dans ces pages ! »
Dehors, la voix de Jenny l'interpelle. Elle s'arrache à contre coeur à la lecture du journal tout en se promettant d'y revenir dès que possible.
bien vite la suite!!!
· Il y a plus de 9 ans ·Amandine Etienne
Ce n'est que le début et il y a déjà tellement de questions qu'on se pose. Les personnages sont intéressants et comme l'héroïne on a d'office un sentiment d’attraction/répulsion avec Nate.
· Il y a plus de 9 ans ·Et on n'a pas encore abordé la question du père...
Et ce journal...
Ce début nous accroche et nous tient en haleine. Je veux lire la suite!
mulderb
Si l'intégralité du texte etait disponible, je pense que je serai partie pour une nuit blanche !!
· Il y a plus de 9 ans ·L'histoire m'intrigue, d'autant plus que le contexte m'est familier.
J'ai vraiment hâte de lire la suite.
elodielodie
J'ai beaucoup aimé le début et je suis frustrée de ne pas avoir la suite! On est tout de suite pris dans l'histoire, les personnages sont déjà attachants, l'histoire d'E est bien amenée. Comme Aly qui ne peut s'empêcher de lire le journal, moi je n'ai pas pu m'empêcher de lire ce qui est publié d'une traite, impatiente de lire la suite!
· Il y a plus de 9 ans ·gilmory
Le début est prometteur. C'est une bonne base, des personnages attachants pour certains assez antipathiques pour d'autres mais chacun a ses secrets. Hâte d'avoir la suite, de savoir qui est E. Et surtout de voir la confrontation entre Ali et les gamins.
· Il y a plus de 9 ans ·Le style est agréable, fluide, facile à lire.
Margaux Baïle
Histoire très sympa à lire ! C'est un bon début ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·arween
L'univers est posé.. on découvre les personnages et on se demande qui est E. !
· Il y a plus de 9 ans ·Et entre Christopher, Sammy et Nate, le coeur (et le corps!) d'Aly semble hésiter.
julienp
La suite, la suite!
· Il y a plus de 9 ans ·Virginie Ga
encore! on reste sur notre faim là!
· Il y a plus de 9 ans ·lafianceedujedi