Carte postale n° 5
Richard Magaldi
La complainte des Wicklow.
Il était une fois, tout en haut des monts Wicklow, un joueur de violon qui s'appelait Padraig O'Neill.
Tous les jours en fin d'après-midi, Padraig quittait le village de Glencree où il travaillait, et montait avec sa petite voiture pour s'arrêter à Sally Gap. Là, seul au milieu de la lande déserte où l'on n'entendait que les gazouillis des ruisseaux, il sortait son violon et jouait, interminablement, jusqu'à ce que ses doigts rougis par les cordes ne puissent plus lui obéir.
Padraig jouait, et jouait, toujours et encore, pour se souvenir de Ruby, son petit ange de six ans montée bien trop tôt au ciel. Il savait que là-haut elle l'écoutait et chantait avec lui, comme elle faisait tous les jours en rentrant de l'école avant sa maladie. Elle avait été très malade Ruby, pas longtemps, les docteurs s'étaient bien trompés, ils pensaient que c'était cette petite grippe pas méchante, qu'il fallait rester à la maison bien tranquillement. Mais quand la fièvre avait été trop forte et avait trop mouillé ses longs cheveux bruns qui lui collaient au visage, ils s'étaient rendus compte que ce n'était pas une petite grippe et l'avaient prise à l'hôpital, seulement il était déjà trop tard. Ruby n'entendait plus les pleurs de son papa et de sa maman, elle les avait quittés pour toujours.
Alors sans un mot après avoir une dernière fois dit au revoir à son petit cercueil blanc, Padraig avait pris son violon et était monté seul pour jouer.
Tous les soirs on entendait les notes qui se perdaient au dessus des fougères au milieu des tourbières, incessantes et lancinantes. Il jouait Padraig, il jouait, son archet frottait les cordes à les faire craquer, mais il ne pouvait pas s'arrêter, il jouait pour Ruby, pour la faire revenir, pour la faire chanter et danser à nouveau.
Les saisons passaient, le bleu de la lande devenait orange, la pluie arrivait poussée par les rafales du vent qui règne en maître des montagnes de Wicklow, mais les grosses gouttes n'arrêtaient pas Padraig, elles se mêlaient à ses larmes et les bourrasques à ses cris, quelquefois on disait qu'on l'entendait jusqu'aux tours du monastère de Glendalough, et Padraig jouait de son violon, encore et toujours.
On pensait au village que Noël allait le faire revenir, mais rien n'y fit, même les premiers flocons de neige de janvier ne l'empêchèrent pas de jouer. Le soleil n'éclairait que quelque heures le paysage gelé, et Padraig continuait. Un jour il ne redescendit plus, on dit que les lutins et follets de la lande étaient venus danser autour de lui, envoûtés par sa sempiternelle complainte et l'avaient emmené très loin dans leur pays secret. Ou peut-être Ruby elle-même était venue le chercher, à force de musique et de larmes, elle avait décidé de le prendre avec elle.
Les soirs de grand vent, on entend toujours la complainte de Padraig sur les tourbières des Wicklow, mais personne ne sait vraiment au village si ce sont les notes de son violon ou les rires de Ruby.
balade matinale à Glencree grâce à toi, il y bruine aujourd'hui et cela s'accorde parfaitement à ta belle complainte...
· Il y a plus de 14 ans ·mc54