Ce sont mes derniers mots . § 5 .

scribleruss

Mémoires -

Mercredi 6 juillet 2014 - 8.34 -

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   La brouette    

           Cet essai de Mémoires n'est dicté par aucun sentiment, par aucune nostalgie, par absolument aucune prétention, la prétention on doit l'avoir à quinze vingt ans mais pas à ..

     Cette petite tentative n'est animée que par le plaisir d'écrire et celui de raconter des personnages que j'ai croisés, de fixer quelques traits, des tribulations que j'ai vécues comme le commun des mortels, recouvrant au fil du récit des sensations, l'agrément de témoigner un peu ..

     Comme je suis un velléitaire me lassant très vite je n'irai sans doute pas loin. 


         Lorsque je naquis, je naquis, marrant, je naquis ...

     Lorsque je naquis la deuxième guerre mondiale n'était pas terminée. Et quand je commençai à comprendre les choses, je ne connaissais de la première guerre mondiale que l'histoire de mon grand père qui partit deux fois au front et la deuxième fois de sa propre initiative alors qu'il avait donné quatre enfants à son épouse. 

     Je devais avoir dix douze ans quand mon grand-père mourut. Il passait ses journées sur une chaise à regarder par la fenêtre, mais il ne regardait rien puisque de l'autre côté du chemin, c'était un chemin, il y avait un mur, un mur ... et derrière le mur le hangar d'un charbonnier. On se chauffait alors au charbon donc il fallait des charbonniers qui livrait de gros sacs de charbon qui alimentaient les cuisinières et salamandres.

    A quoi pensait-il à longueur de journée mon grand-père. Je n'en ai connu qu'un, il avait le visage même des grand-pères que l'on rêve d'avoir, que l'on voit dans les cadres accrochés aux murs des vieilles maisons d'antan, en reste-il encore,  un visage rond avec cette moustache d'alors dont on savait s'orner.

    Il ne parlait jamais ; il grognait toujours. Et ma grand-mère blanchisseuse des bourgeois des hauts de Chantenay qui trimbalait sa brouette sur quatre kilomètres avec côte, jusqu'aux lavoirs du bord de la Loire, et qui avait le dos cassé par ce régime de forçat, dos à peine tenu par un douloureux corset de fer qui lui comprimait la poitrine, lui disait :

   -   Ah ! la barbe !

  et lui répondait ;

   -  Et les cheveux ! en me clignant des yeux

      Car mes grand-parents j'avais obligation d'aller leur rendre visite tous les jeudis après-midis, à cette époque le congé de la semaine c'était le jeudi.

    J'étais bien dans la bulle de ces après-midis là ; je feuilletais les dictionnaires Larousse à la reliure couleur grenat et gravée que je possède encore presque intacts veillant au respect de leur intégrité physique. Je lisais les définitions des mots, m'attardais sur les pages illustrées..

     Jamais il ne dit un mot de sa guerre, jamais la famille ne parla des affres de cette guerre sanguinaire et pas davantage d'ailleurs de ce qu'elle connut et vécut de la seconde guerre bien que l'ayant éprouvée, oncles prisonniers, père conduit en Allemagne au titre du service obligatoire du travail.

     Ces guerres ont décimé très vite des familles entières, la mienne n'eut aucun mort, aucun héros, j'en ressens bizarrement au moment où j'écris un petit pincement au coeur. Doit-on culpabiliser d'avoir été épargné ...

     L'on commémore à tour de bras ces temps-ci peut-être plus pour se refaire un brin de santé politique et s'écoutant faire de belles envolées lyriques qu'en pensant profondément aux millions de morts, millions d'hommes et de femmes que l'on sacrifia et qui se sacrifièrent pour le compte de tyrans immatures, de spécieuses notions de frontières et pour contrer de comportements irresponsables et barbares ...

     Qui peut imaginer aujourd'hui qu'une femme lavait le linge des autres dans l'eau des fleuves, à coup de battoir, ou dans d'énormes lessiveuses dont il fallait faire bouillir l'eau au feu de bois, et ce linge qu'il fallait transporter sur de lourdes brouettes tenues et roulées par des mains et des bras de femmes qui devait en outre aussurer les courses, la cuisine, l'habillement l'éducation de toute une marmaille...

      Jamais je n'entendis un plainte, une doléance de ma grand-mère ... jamais.

     Et je sais que lorsque j'écris le mot brouette j'écris presque un gros mot. ( et je ne pensais même pas à une position du kâma-Soutra ...) Mais cette brouette fut l'instrument de servage qui brisa, cassa, avilit, eut raison de la belle femme que fut, si j'en juge par sa photo de mariage, que fut ma grand-mère qui avant d'être grand-mère fut d'abord une femme.

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     A suivre 

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