Ce vent étiré
Pierre Gravagna
Les nuits dernières avaient été nourries de ce vent étiré qui nous vient de la mer. Ce vent lointain qui récolte sur les flots les âmes perdues et qui porte parfois aussi le sable rouge du Sahara. Un jour il vient de la mer, le lendemain, il descend des collines. D'autres fois, on ne sait d'où il vient, le vent. Ces jours là, il rend fou même les plus vieux des Marseillais. Et leur ville allongée devant la Méditerranée, le vent la salit, la couvre des papiers gras des chichis-fregis de l'Estaque, envole les poubelles, donne des ailes aux sacs en plastique. Enguirlandées d'ordures ménagères, des rues entières sont prises de panique. Ceux qui ne savent pas croient que le vent la souille et la méprise, Marseille. Mais moi je sais qu'il fait briller ma ville, qu'il lui donne un air pur et cassant, un air de colline dévêtue. Un air pur et cassant que le soleil et sa lumière transpercent. Tout est si proche alors. Je me régale à contempler les îles, la Côte Bleue, les cargos en rade, les gabians dans le bleu du ciel très haut. Saturé d'iode et rafraîchi par l'écume, il m'enivre quand je le bois seul et sans modération. Il m'assomme d'abord avant de me donner la force du taureau, ce vent qui me pousse toujours à errer dans les nuits marseillaises.