Chanteur souterrain
Mélanie Arrès
À toi, tes yeux clairs et ta voix rocailleuse qui chantait dans le métro cet après-midi. Une voix écorchée, presque pourrie, qui nous montre un peu les vers qui te bouffent de l'intérieur. Tu es monté dans le wagon, tu t'es mis face a la porte, et ta voix a dit que tu allais chanter un vieux blues.
Ouais c'est ça qu'elle a dit, ta voix, et comme pour lui obéir, tu as fait jouer tes doigts sur le manche de bois pour l'accompagner, et tu nous l'as chanté, ce vieux blues. Mais tu l'as pas fait pour nous, tu l'as fait pour toi, en regardant doit devant, le mur sombre du tunnel qui filait trop vite pour ton regard. Il était bon ton blues, simple mais il voulait dire quelque chose, et surtout, ta voix rauque sur ces accords, c'était ce qu'il fallait. Voila, c'était particulier car c'était juste ce qu'il fallait. Les autres ne font jamais juste ce qu'il faut.
Ta voix est arrivée à la fin de la mélodie et elle a ralenti, et j'ai cru que comme celle des autres joueurs souterrains, elle s'arrêterait là. Mais elle a repris, pour un tour, puis deux puis trois. Et à chaque fois, sur la fin, une douceur inattendue, qui n'allait pas bien avec ta gueule peut-être, et puis de nouveau elle repartait, pas fatiguée, en voulant encore. Il m'est resté dans la tête, ton vieux blues, et même après être sorti de la rame, après avoir vu le gamin te donner une pièce, après avoir cherché moi même dans mes poches s'il en restait -et tu as eu de la chance- après te l'avoir mis dans la main et avoir reçu ton "merci", je l'entends qui continue dans ma tête.
Mon sac sur l'épaule, j'allais vers la gare, et comme toujours, a la bourre, et je me trompe de chemin, je tourne, je m'arrête, je fais demi-tour et je repars dans l'autre sens et la toi.
Je vois ta gueule avancer, tes cheveux blancs, ta clope au bec, et surtout tes yeux fixes, devant ou je ne sais où. Il n'y avait personne dans le couloir, à part moi. Tu n’étais pas la. Ta gueule était devant moi, mais par erreur. Toi, tu étais ailleurs. On s'est croisés, et ton regard n'a pas bougé, tu marmonnais je ne sais quoi, tu n’as jamais remarqué que tu avais croisé quelqu'un. Et tes yeux clairs, grand ouverts, fixes, absents. Je crois qu'ils voyaient des choses qu'eux seuls pouvaient voir. Dommage. Bonne route vieux fou, et merci pour ta chanson. Ah, et bonne Toussaint.